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Malaisie-France : l'huile de la discorde

La Malaisie est le deuxième producteur mondial d'huile de palme avec 39% de la production globale. (Source : Asia Nikkei)
La Malaisie est le deuxième producteur mondial d'huile de palme avec 39% de la production globale. (Source : Asia Nikkei)
Depuis son retour au pouvoir en mai 2018, le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed s’était montré relativement modéré vis-à-vis des États occidentaux. Il a brusquement changé de ton le 23 janvier dernier en menaçant la France de réduire le commerce entre les deux pays. La raison ? L’interdiction assortie d’une taxe votée par l’Assemblée nationale d’intégrer l’huile de palme dans la production de biocarburant d’ici 2020. Or, la Malaisie est le deuxième producteur mondial de cette huile avec près de 16,5 millions de tonnes exportées en 2018, soit 39 % de la production globale.
Accusée depuis de nombreuses années par les militants et associations écologistes d’être responsable de la déforestation sur l’île de Bornéo, l’industrie de l’huile de palme malaisienne est sous pression depuis la fin 2018. A l’instar de la France, la Norvège a également rayé cette huile des composants de ses carburants végétaux. Cette disposition avait également été votée, avant d’être retirée, par le Parlement européen. L’Europe est certes un marché relativement secondaire pour l’huile de palme malaisienne : un peu plus d’1,9 millions de tonnes ont été exportées en 2018 dans les 27 pays de l’UE, soit presque autant que pour la seule Chine et prêt de deux fois moins que l’Inde. Certes, la France est un marché marginal avec seulement 604 tonnes exportées en 2018. Mais ces premières restrictions inquiètent Kuala Lumpur : d’autres pays pourraient suivre. Surtout, ces réglementations ont été adoptées alors même que les cours de l’huile de palme s’avéraient instables, la concurrence de l’huile de soja américaine jouant à la baisse.

Nuage polluant

Début janvier 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié sur son site une étude très critique sur l’huile de palme. Ce ne sont pas tant les qualités nutritives de l’huile qui sont remises en cause, mais les conséquences de son exploitation sur l’homme. En effet, les agriculteurs qui exploitent les palmiers à huile ont recours à l’agriculture sur brûlis très polluante. Chaque année, les îles de Bornéo et de Sumatra dégagent d’importantes fumées formant ce que les Malaisiens et les Singapouriens appellent le Haze, un nuage de particules fines très dense qui se répand sur toute la péninsule malaisienne. Selon les scientifiques, cette pollution serait responsable de morts prématurées, de maladies respiratoires et d’accidents cardio-vasculaires. Le rapport dénonce également les techniques de lobbying des exploitants de l’huile de palme, qui seraient comparables à celles des lobbys du tabac et de l’alcool, et s’étonne que cela n’attire pas plus l’attention de l’opinion publique.
Le gouvernement malaisien a immédiatement réagi à cette publication. Teresa Kok, ministre des Ressources primaires, a dénoncé le caractère « biaisé » de cette étude et en a demandé son retrait immédiat. Il faut dire que l’huile de palme est un sujet sensible dans le pays puisqu’elle est devenue le symbole du développement agricole de la Malaisie.
*E. Lafaye de Micheaux, The Development of Malaysian Capitalism. From British Rule to Present Day, Strategic
Information and Research Development Centre (SIRD), Petaling Jaya, 2017. **Ibid.
Introduit par les Britanniques dans les années 1870, le palmier à huile n’est exploité à l’échelle industrielle qu’à partir de 1917 lorsque le Français Henri Fauconnier ouvre dans le Selangor la première plantation de palmiers. Durant la colonisation, l’huile de palme était très en retrait par rapport à l’exploitation du caoutchouc et de l’étain, principales ressources de la colonie à l’époque. Il faut attendre l’indépendance de la Malaisie en 1957 pour que le secteur de l’huile de palme prenne son envol. La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) encourage alors le gouvernement à investir dans l’huile de palme afin de diversifier sa production agricole*. Ce conseil ne restera pas sans effet puisqu’en 1985, l’huile dépasse en terme de valeur le caoutchouc comme premier produit agricole d’exportation. Elle devient ainsi le produit malaisien d’exportation par excellence**. Secteur dynamique puisque appelé à devoir remplacer certains acides gras interdits par l’OMS d’ici 2023 dans l’industrie agroalimentaire, l’huile de palme est produite à 40 % par des petits producteurs indépendants. La part des terres allouées à sa production en 2012 représentait 15,4 % du territoire malaisien et peut parfois couvrir plus d’un tiers du territoire de certaines régions comme dans l’État du Johor au sud de la Malaisie (38,8 % de sa superficie en 2016).

Double stratégie

Dans ces conditions, pas étonnant que le gouvernement malaisien prenne très au sérieux la levée internationale de bouclier contre l’huile de palme. Le pouvoir a adopté deux stratégies pour redorer l’image de son produit phare d’exportation. La première présente l’huile de palme comme compatible avec la logique du développement durable. Ainsi les autorités ont-elles introduit en 2015 le certificat Malaysian Sustainable Palm Oil (MPSO) auquel tous les petits producteurs vont devoir se conformer d’ici la fin de l’année 2019. L’objectif est d’encourager le développement de solutions alternatives à la déforestation afin de maintenir à 50 % le ratio d’espaces forestiers alloués à la production d’huile de palme. Au 30 septembre dernier, plus d’1,2 million d’hectares avaient été certifiés. En outre, les autorités malaisiennes avancent que l’huile est une énergie renouvelable pouvant remplacer à long terme le pétrole puisqu’elle rentre dans la composition de certains biocarburants. Le gouvernement a ainsi récemment annoncé vouloir faire passer de 10 à 20 % la part d’huile de palme dans les biocarburants malaisiens afin de montrer l’engagement de la Malaisie pour un développement durable… et faire remonter les cours mondiaux en réduisant les stocks disponibles.
*Le gouvernement joue ici sur la double signification du MY : « mon » mais aussi acronyme de « Malaysia ».
La seconde stratégie est plus offensive. Elle vise à défendre les intérêts de l’industrie malaisienne de l’huile de palme dans le monde. Appuyant le puissant Malaysian Palm Oil Board, le gouvernement utilise tous les moyens pour stopper la « diabolisation » de ce secteur. La ministre des Ressources primaires Teresa Kok a ainsi encouragé les lobbyistes malaisiens à redoubler d’efforts auprès des institutions européennes. Pour montrer son mécontentement face à l’interdiction de l’huile de palme votée par l’Assemblée nationale, Teresa Kok a plusieurs fois pris pour cible la France et dénoncée une décision « injuste » et « injustifiée » qui affecterait les petits producteurs. En signe de protestation, le ministre malaisien des Affaires étrangères a quant à lui remis une lettre à l’ambassadeur français à Kuala Lumpur afin d’inciter Emmanuel Macron à empêcher l’adoption de l’interdiction. Surtout, la Malaisie a lancé le 9 janvier dernier la campagne « Love MY Palm Oil »* pour vanter les mérites de ce secteur en mettant en avant les aspects socio-économiques positifs de la production de l’huile de palme. Le Premier ministre Mahathir Mohamed lui-même a apporté sa contribution à cette campagne en postant une courte vidéo sur les réseaux sociaux pour prendre la défense de l’huile de palme.

Enjeu électoral

Cependant, la défense du secteur de l’huile de palme ne répond pas seulement à un objectif économique. Il s’agit aussi d’un impératif politique pour le gouvernement. En majorité d’ethnie malaise, les petits producteurs représentent environ 55 % de la population du pays et représentent donc un électorat très courtisé. Or ces électeurs ont le moins voté pour la coalition du Pakatan Harapa, arrivée au pouvoir le 9 mai 2018 lors de la première alternance de l’histoire de la Malaisie. Quelques jours après la défaite du candidat du gouvernement dans une circonscription rurale, un sondage est paru mi-janvier : plus de 60 % des Malais jugent négativement l’action gouvernementale.
En défendant l’huile de palme, le gouvernement cherche à s’assurer l’appui des agriculteurs qui se montrent aujourd’hui de plus en plus défavorables à la coalition au pouvoir. L’opposition tente elle aussi d’instrumentaliser la question de l’huile de palme. Ainsi, Najib Razak, l’ancien Premier ministre défait le 9 mai 2018, a déclaré sur Facebook que depuis son départ des affaires, les exportations malaisiennes d’huile de palme n’auraient fait que décroître. La réaction gouvernementale ne s’est pas faite attendre : la ministre des Ressources primaires a accusé Najib Razak « d’induire le peuple en erreur ». Cependant, malgré les joutes verbales, l’opposition et le gouvernement s’accordent sur une commune défense de l’huile de palme qui demeure un secteur vital pour l’économie malaisienne.
Par Victor Germain

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A propos de l'auteur
Spécialiste de la Malaisie, Victor Germain est chargé d'études à l'Institut de recherche stratégique de l’École Militaire (IRSEM). Diplômé de Sciences Po Paris en science politique et relations internationales, il a également étudié à l'Universiti of Malaya à Kuala Lumpur. Il est l'auteur d'un mémoire universitaire à l'IEP de Paris sur le populisme dans la politique étrangère de la Malaisie.