Politique
Fenêtre sur les Corées

Rapprochement intercoréen : la diplomatie des agrumes (et des champignons)

Le 11 novembre 2018, la Corée du Sud a envoyé quelque 20 000 cartons de mandarines de l'île de Jeju à la Corée du Nord, en réponse à l'envoi gracieux de champignons de pin par Pyongyang le 20 septembre 2018. (Source : Korea Times)
Le 11 novembre 2018, la Corée du Sud a envoyé quelque 20 000 cartons de mandarines de l'île de Jeju à la Corée du Nord, en réponse à l'envoi gracieux de champignons de pin par Pyongyang le 20 septembre 2018. (Source : Korea Times)
Le ballet des hercules C-130 aura duré deux jours. Depuis ce dimanche 11 novembre, ce sont près de 200 tonnes de mandarines sud-coréennes qui ont été livrées à Pyongyang via un pont aérien destiné à renforcer le rapprochement intercoréen. Un échange de bonnes intentions après les deux tonnes de champignons des pins envoyés par le Nord à Séoul en septembre dernier.
*Le palais présidentiel à Séoul.
Ce sont des fruits dont on retrouve la trace dès le XIIIème siècle à la table des rois de Corée. Un fruit de saison rarement consommé en Corée du Nord, a expliqué le porte-parole de la Maison Bleue*, et qui n’entrerait pas dans la liste des produits sous embargo de l’ONU. Un avis que ne partagent pas les conservateurs à Séoul. Au total : 20 000 cartons d’agrumes ont été avalés par les avions cargos de l’armée sud-coréenne pour être transportés en Corée du Nord. Une telle quantité s’apparente à de l’exportation, estiment celles et ceux qui voient d’un mauvais œil la politique de rapprochement vis-à-vis du voisin nord-coréen, menée par le président Moon Jae-in, et donc un geste qui violerait les sanctions imposées au régime de Pyongyang.

400 000 euros de mandarines

Ni une ni deux, beaucoup ont dégainé la calculette ! A lire les journaux sud-coréens du 12 novembre, on se croirait presque sur le marché. Car il ne s’agit pas de n’importe quelles mandarines, mais bien des fruits de Jeju dont il est question. La grande île volcanique située à la pointe méridionale de la Corée du Sud est réputée pour ses pêcheuses de perles, ses oranges qui ressemblent à des grenades, et ses fameuses gamgyul : des mandarines élevés en plein air pour la récolte de l’automne et qui ont longtemps fait la fortune des insulaires. Un mandarinier dans le jardin payait l’université des enfants aux États-Unis, racontait les habitants de Jeju il y a encore quelques années. Aujourd’hui avec la concurrence des mandarines de Nouvelle-Zélande, ce serait plutôt le jardin d’enfant ou l’école primaire, plaisantent les guides auprès des vacanciers.
La bouteille de Maotai servie par le président chinois Xi Jinping à Kim Jong-un lors de leur rencontre en Chine, à Dalian en mars 2018. Le flacon d'alcool de sorgho fermenté avait alors été évalué à 1 280 000 yuans, plus de 160 000 euros. (Copie écran du Joongang Ilbo)
La bouteille de Maotai servie par le président chinois Xi Jinping à Kim Jong-un lors de leur rencontre en Chine, à Dalian en mars 2018. Le flacon d'alcool de sorgho fermenté avait alors été évalué à 1 280 000 yuans, plus de 160 000 euros. (Copie écran du Joongang Ilbo)
Pour leur brin d’amertume ou au contraire leur saveur ultra sucrée en fonction des cultures, les consommateurs continuent toutefois d’y mettre le prix. Les gamgyul s’échangent autour de 20 000 wons, un peu plus de 15 euros le carton de dix fruits emballés sous papier de soie au marché de gros du port de Seogwipo – près du double dans les épiceries haut de gamme. Le prix moyen pour ces 200 tonnes de mandarines envoyées à Pyongyang approche donc les 500 millions de wons, environ 400 000 euros selon le journal Joongang, sans compter le transport. La diplomatie à un coût. Cela fait penser à la bouteille de Maotai servie par le président chinois Xi Jinping à Kim Jong-un lors de leur rencontre à Dalian en mars dernier. Le flacon d’alcool de sorgho fermenté avait alors été évalué à 1 280 000 yuans, plus de 160 000 euros.

« Champignons de la fin du monde » et Maotai

A ce prix-là, le geste n’est évidemment pas anodin. Cela n’a strictement rien à voir avec un échange marchand, c’est un don, s’est justifiée la présidence sud-coréenne, auprès de ceux qui feignent de ne pas comprendre. Un geste diplomatique et sous bonne escorte. Une délégation de plusieurs hauts fonctionnaires, dont le vice-ministre sud-coréen de l’Unification était du voyage, pour accompagner ce cadeau à Kim Jong-un. L’envoi des précieux agrumes venant répondre à l’expédition de deux tonnes de curieux champignons, cette fois dans le sens Nord-Sud, suite au sommet intercoréen de septembre dernier. Là aussi, la Corée du Nord n’avait pas mégoté sur le prix. Les champignons des pins gris sont rares et chers. Leur chair blanche fibreuse et parfumée étant particulièrement appréciée des gourmets.
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a envoyé à la Corée du Sud pour l'équivalent de 1,62 million d'euros de champignons de pin, le 20 septembre 2018. (Source : Straits Times)
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a envoyé à la Corée du Sud pour l'équivalent de 1,62 million d'euros de champignons de pin, le 20 septembre 2018. (Source : Straits Times)
Tout cela est très bien, sauf que 2 tonnes ne font pas 200 tonnes. Sur la balance des étrennes diplomatiques, le Sud semble donc perdant. Détrompez-vous ! C’est même tout le contraire, s’est défendue la présidence en Corée du Sud ! « Les champignons de la fin du monde », comme les appellent Anna Lowenhaupt Tsing, sont bien plus onéreux que les mandarines. Pyongyang en avait déjà offert à Séoul pour les sommets intercoréens de 2000 et 2007. Au prix du kilo, dans les centres commerciaux de la capitale nord-coréenne, les deux tonnes de champignons du mythique mont Paekdu approcheraient les 1,2 million euros, soit près de trois fois le prix des agrumes récoltés au pied du mont Halla, à l’extrême-sud de la péninsule coréenne. Là aussi, le lieu n’est pas choisi au hasard. La région natale de la mère de Kim Jong-un devrait être le prochain terrain de promenade des dirigeants du Nord et du Sud, main dans la main si tout va bien, lors d’un quatrième sommet intercoréen annoncé pour « bientôt » par Séoul.
Par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.