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Le Japon dans tous ses états à la foire Asia Now à Paris

"Second Floorism", l'installation de l'artiste japonais Makato Aida, à Asia Now, la foire d'arts asiatiques de Paris, le 17 octobre 2018. (Source : Artsy)
"Second Floorism", l'installation de l'artiste japonais Makato Aida, à Asia Now, la foire d'arts asiatiques de Paris, le 17 octobre 2018. (Source : Artsy)
Ce mercredi 17 octobre, la 4ème édition de la foire Asia Now, dédiée aux arts asiatiques, a ouvert ses portes sous le signe du Japon. L’événement s’insert à merveille dans « Japonismes 2018 » : cette grande manifestation interculturelle célèbre 160 ans de relations diplomatiques entre le pays du Soleil Levant et la France, mais aussi les 150 ans de l’ère Meiji, époque charnière où l’archipel s’est ouvert au reste du monde. S’il en fallait une confirmation un siècle et demi plus tard, le Japon est toujours diablement à la mode ! C’est qu’il n’a jamais cessé de fasciner l’Occident. Le terme même de « Japonisme » rappelle cette vive influence, allant des estampes (ukiyo-e) qui éblouirent les impressionnistes en leur temps, à cette culture riche et polymorphe où la pop culture survitaminée et une tradition vivante forment un mélange unique, terrain fertile pour les créateurs de tous bords, de Comme des Garçons à Tadao Ando, de Takashi Murakami à Ryoji Ikeda. Asia Now a justement voulu refléter cette « nouvelle révolution artistique », selon les mots d’Alexandra Fain, créatrice de la foire. Avec Emmanuelle de Montgazon, commissaire associée de la programmation japonaise, elle a conçu Asia Now comme une clé pour comprendre la « scène artistique japonaise des vingt dernières années ». Visite guidée.
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Espace intimiste

Alexandra Fain est tombée amoureuse de la scène asiatique après un voyage à Shanghai en 2010. Dès 2014, elle a établi une nouvelle plateforme pour promouvoir les artistes de cette partie du monde pendant la période où l’art à Paris bat son plein, c’est-à-dire pendant la FIAC. Bien sûr, Asia Now possède un format plus modeste que la Foire internationale d’art contemporain. Mais c’est peut-être là ce qui fait son charme. Installée dans un bel hôtel particulier de l’avenue Hoche, la foire offre un écrin agréable à la fois aux œuvres et aux visiteurs.
« Au-delà d’une foire, Asia Now est un lieu de découverte, de dialogues et d’échanges que nous avons voulu créer, explique Alexandra Fain. Un espace intimiste qui favorise les rencontres entre collectionneurs, commissaires d’expositions, galeries asiatiques et occidentales, et artistes. Cet hôtel particulier de l’avenue Hoche, que nous occupons depuis 2016, permet ces rapprochements. » Depuis le lancement d’Asia Now, sa fondatrice a observé la croissance fulgurante de la Chine, de l’Inde et de l’Indonésie, la multiplication des écoles d’art et des centres culturels, notamment les centres d’art et musées privés, sur l’ensemble des territoires asiatiques. Autant de mutations qui ont nourri dans l’esprit d’Alexandra Fain une stratégie de long terme pour sa foire :
« En l’espace de cinquante ans, l’Europe puis les États-Unis ont cédé leur suprématie sur le marché de l’art mondial, souligne la fondatrice d’Asia Now. Une nouvelle révolution artistique, qui s’est démarquée dès le début des années 1990, est en cours, à travers l’émergence des scènes particulièrement dynamiques dont nous nous devons de rendre compte en Europe. »
Ouverture de Asia Now, la foire d'arts asiatiques à Paris, avec une performance de Teppei Kaneuji, le 17 octobre 2018. (Crédit : Asia Now)
Ouverture de Asia Now, la foire d'arts asiatiques à Paris, avec une performance de Teppei Kaneuji, le 17 octobre 2018. (Crédit : Asia Now)

Perspectives japonaises dans l’espace haussmannien

Cette année, le rez-de-chaussée de l’hôtel particulier de l’avenue Hoche est occupé par une « plateforme japonaise », une scénographie de vides et de pleins réalisée par l’architecte Sou Fujimoto. Ce dernier adapte les panneaux de l’intérieur japonais à l’espace haussmannien. Cette plateforme accueille 6 galeries de Tokyo, Kyoto et Paris.
« J’ai fait un choix de projets qui permettent de donner des clefs de compréhension sur la scène des vingt dernières années, commente Emmanuelle de Montgazon, commissaire associée de la programmation japonaise de la foire. Une scène que j’ai vue évoluer à travers des influences culturelles, artistiques et politiques complètement renouvelées. J’ai également voulu faire le lien entre cette scène émergente qui a ses propres codes et celles des époques plus historiques et déjà bien connues de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au passage de l’an 2000″, poursuit Emmanuel de Montgazon qui est également commissaire pour la Saison Japonaise toujours en cours au centre Pompidou.
L'artiste japonais Masayuki Kawai : Video Feedback Live Performance. (Copyright : Masayuki Kawai)
L'artiste japonais Masayuki Kawai : Video Feedback Live Performance. (Copyright : Masayuki Kawai)
Dans la plateforme, se distingue, entre autres, la galerie Mori Yu, représentante de Masayuki Kawai. L’artiste y expose une gigantesque pièce composée de câbles et de moniteurs vidéo, sorte de matérialisation physique du son que Masayayuki Kawai pratique à plein volume sous forme de performances. Héritier des premiers expérimentateurs du son analogique à l’époque où le Japon produisait sampleurs et camcoders, Kawai nous renvoie à la préhistoire des médias avant qu’ils ne se noient dans le grand tout digital.

Monde néo-pop

Plus loin, chez Pierre-Yves Caer, les quadrillages parfaits de la jeune Aya Kawato nous évoquent les trames du tissage traditionnel et côtoient les motifs de Fantasista Utamaro. Ce proche de Takashi Murakami nous plonge dans un monde néo-pop aux couleurs roses acidulées et peuplé de personnages « cartoonesques », sorte de vision d’une société en forme de bulle de savon.
Pierre-Yves Caer présente Aya Kawato à Asia Now, la foire d'arts asiatiques à Paris, le 17 octobre 2018. (Crédit : Asia Now)
Pierre-Yves Caer présente Aya Kawato à Asia Now, la foire d'arts asiatiques à Paris, le 17 octobre 2018. (Crédit : Asia Now)
L’espace qui jouxte la plateforme japonaise montre un tableau plus anarchique de la création nipponne. « Second Floorism », l’œuvre in situ de Makoto Aida, est quant à elle un véritable manifeste contre l’hégémonie de la construction au Japon. Victime de fréquentes catastrophes naturelles, l’archipel est en effet pris dans une spirale de ré-urbanisation permanente, à la fois polluante et déshumanisante. L’artiste, lui, exhorte sous forme de « dazibao » les constructeurs et les scientifiques à reconstruire avec de nouveaux matériaux, dérivés du carbone et qui offrent des solutions moins couteuses et plus écologiques. Ce type de problématique et d’appel à l’action trouve bien sûr un écho dans nos sociétés occidentales à l’heure où la dégradation environnementale est avérée. A la différence qu’au japon, les grèves sont interdites et les manifestations très souvent associées à des mouvements d’extrême-droite. Dans ce contexte, des artistes activistes comme Aida endossent d’autant plus le rôle d’exutoire pour une société qui ne se plaint que rarement.
"Second Floorism", l'installation de Makato Aida à Asia Now, la foire d'arts asiatiques à Paris, le 17 octobre 2018. (Crédit : Asia Now)
"Second Floorism", l'installation de Makato Aida à Asia Now, la foire d'arts asiatiques à Paris, le 17 octobre 2018. (Crédit : Asia Now)
La proposition d’Aida est suivie d’un fragment issu de la riche exposition triennale « Roppongi Crossing » qui se tiendra au Mori Art Museum à partir de février prochain. Cet événement propose un panorama de la scène contemporaine à travers une sélection d’artistes au « croisement » des générations et des pratiques créatives. Ici « Transitional » met le focus sur l’existence transitoire des choses. Parfois d’une manière déroutante, comme avec la pièce de Nobuko Tsuchiya, une forme en silicone remplie de coton censée représenter un instant fugace tiré de ses rêves ; ou à travers « the War is Over », la pièce plus engagée de Masaharu Sato, une vidéo où l’artiste crie son mécontentement contre la permanence des bases américaines au Japon devant de grands espaces vides. Sa voix se perd dans l’espace et rappelle le souvenir de l’après-guerre dans le pays, dont les traces sont encore visibles.
En 2018, la création japonaise n’a rien perdu de sa vitalité. « Sans doute grâce à cette manière unique de considérer Manga, photographie, film, arts traditionnels, performance, son et image comme des répertoires de formes et de signes sans hiérarchie », constate Emmanuelle de Montgazon. Ce corpus hors catégorie donne une grande liberté d’esprit aux artistes et permet de dépasser l’opposition binaire entre minimalisme zen (Mono-Ha) et déferlante « Kawaï-Pop » que l’on brandit trop souvent pour résumer l’archipel.
Saluons la programmation toute en nuance de l’équipe d’Asia Now qui à travers l’écrin commercial d’une foire, a réussi à faire transparaitre les grands thèmes qui interrogent le Japon aujourd’hui : résistance, place de l’individu dans la société, sa relation avec la nature, les medias ou encore la notion de communauté. Pour compléter, une série de performances réalisées par des artistes de la scène japonaise active depuis le début des années 2000, se déroule tout au long de la foire (jusqu’au 21 octobre), accompagnée d’un cycle de vidéos et de conférences.
Et bien sûr, même si le Japon est à l’honneur cette année, vous trouverez chez Asia Now plus d’une trentaine de galeries asiatiques et occidentales engagées dans le rayonnement des artistes d’Asie à l’international. Notons parmi d’autres la présence de MadeIn (Chine), Soso Galerie (Corée), Danysz Gallery (France-Chine) et bien d’autres !
Par Léo de Boisgisson

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A propos de l'auteur
Basée en Chine pendant 16 ans où elle a passé sa post adolescence au contact de la scène musicale pékinoise émergente, Léo de Boisgisson en a tout d’abord été l’observatrice depuis l’époque où l’on achetait des cds piratés le long des rues de Wudaokou, où le rock était encore mal vu et où les premières Rave s’organisaient sur la grande muraille. Puis elle est devenue une actrice importante de la promotion des musiques actuelles chinoises et étrangères en Chine. Maintenant basée entre Paris et Beijing, elle nous fait partager l’irrésistible ascension de la création chinoise et asiatique en matière de musiques et autres expérimentations sonores.