Politique
Expert - Indonésie plurielle

L'Indonésie candidate aux JO de 2032 : enfin sur la scène mondiale ?

Le président indonésien Joko Widodo lors du relais de la torche des jeux Asiatiques, qui ont eu lieu du 18 août au 2 septembre à Jakarta et Palembang en Indonésie. (Source : Tabloid Bintang)
Le président indonésien Joko Widodo lors du relais de la torche des jeux Asiatiques, qui ont eu lieu du 18 août au 2 septembre à Jakarta et Palembang en Indonésie. (Source : Tabloid Bintang)
Le 1er septembre 2018, l’Indonésie a créé la surprise en annonçant sa candidature pour accueillir les Jeux olympiques de 2032. Jusque-là, les candidats étaient l’Allemagne, l’Australie, la Chine et l’Inde. Comment expliquer cette candidature ? Il faut rappeler le succès des 18èmes Jeux asiatiques qui ont eu lieu entre le 18 août et le 2 septembre derniers à Jakarta, la capitale, et à Palembang, la capitale de la province de Sumatra du Sud. Leur organisation a suscité les éloges enthousiastes du quotidien hongkongais South China Morning Post. Ce qui a conduit le gouvernement indonésien à faire cette proposition au président du Comité international olympique, Thomas Bach, et au président du Conseil olympique d’Asie, le Koweïtien Ahmad Al-Fahad Al-Sabah.
Le succès de cet événement multisports, considéré comme le deuxième plus grand dans le monde après les Jeux olympiques, n’allait pas de soi. Fin 2012, c’était Hanoï qui avait été désignée pour accueillir les Jeux asiatiques en 2019, après un retrait de dernière minute de Dubaï. Surabaya, la deuxième ville d’Indonésie, avait été écartée. Mais moins de deux ans plus tard, en avril 2014, le Vietnam se rétracte, expliquant qu’il ne peut financièrement se permettre la construction d’équipements dont il ne pourrait pas profiter une fois les jeux terminés. En septembre de la même année, on annonce que ce sera l’Indonésie qui les accueillera. Elle demande que la date en soit avancée à 2018, car 2019 sera l’année d’une élection présidentielle. Le pays avait donc moins de quatre ans pour se préparer.

L’Indonésie n’était pas novice en matière d’organisation d’événements sportifs internationaux. Elle avait déjà accueilli les 4èmes Jeux asiatiques, mais c’était en 1962, à l’époque du président Soekarno. Plusieurs fois, les Jeux d’Asie du Sud-Est (Southeast Asian Games ou SEA Games), qui ont lieu tous les deux ans, s’y sont tenus, dont ceux de 2011. En 2013, le pays avait été l’hôte des Jeux de la solidarité islamique. Ceux-ci devaient initialement se dérouler en Iran, et avaient failli être annulés. En cause : les pays arabes contestaient l’appellation de « Golfe persique » pourtant internationalement utilisée, à commencer par les Nations Unies, et que l’Iran avait inscrite sur le logo des jeux. Or, les pays arabes le nomment « Golfe arabique ».
A l’époque de l’annonce de sa désignation, les équipements les plus modernes de l’Indonésie se trouvaient à Palembang, où s’étaient déroulés les SEA Games de 2011 et les Jeux de la solidarité islamique de 2013. Mais ils étaient insuffisants pour un événement où seraient attendus plus de dix mille athlètes. Le Gelora Bung Karno qui avait accueilli les Jeux asiatiques de 1962 avait plus de cinquante ans et demandait une rénovation. Toutefois, ce n’est qu’en 2015 que le gouvernement indonésien parvient à dégager des fonds pour le financement des travaux. En outre, les embouteillages et la pollution légendaires de Jakarta suscitaient des inquiétudes. Néanmoins en mars 2018, les organisateurs se déclaraient confiants. Mais alors que les attentats terroristes à Surabaya en mai derniers soulèvent de nouvelles craintes, les autorités indonésiennes prennent des mesures de sécurité draconiennes. La police se lance notamment dans une campagne contre les trafiquants de drogues, dénoncée par Amnesty International.
Les jeux sont finalement inaugurés le 18 août, jour de la proclamation de l’indépendance de l’Indonésie, avec une extravagance que même la presse française remarque. De nouveaux sports ont été introduits, dont le pencak silat, un art martial indonésien, et le sepak takraw, une sorte de « foot-volleyball », dont l’origine est revendiquée à la fois par la Malaisie et la Thaïlande. L’Indonésie a terminé 4ème au classement des médailles, derrière la Chine, le Japon et la Corée du Sud, grâce entre autres au pencak silat – ce qui a suscité les protestations de l’Iran.

Cette réussite révèle d’autres choses. Le gouvernement affirme qu’il a dépensé moins que le budget d’1,6 milliard de dollars prévus pour la modernisation et la constructions d’équipements ainsi que l’organisation de l’événement, grâce notamment au sponsoring et aux ventes de billets et de marchandises. Pour mieux comprendre, il faut se souvenir du refus du gouvernement de cautionner la candidature soumise par la fédération indonésienne de football pour la Coupe du monde de 2022, considérant qu’il y avait d’autres priorités que d’investir des milliards de dollars dans la dizaine de stades requise pour l’événement. Une bonne partie des stades pour lesquels le Brésil avait investi 3 milliards de dollars pour la Coupe de 2014 ne sont guère utilisés.
Les équipements multisports des Jeux asiatiques de 2018 seront bien plus utilisables compte tenu de leur diversité. Mais surtout, les Jeux de 2018 ont été une motivation pour accélérer la construction d’infrastructures, en premier lieu un métro, même si ce dernier n’est pas encore terminé, et procéder à des aménagements urbains dont Jakarta avait grand besoin. Quant à Palembang, même si elle n’est que la 10ème ville d’Indonésie avec un peu plus d’1,3 million d’habitants, elle a désormais grâce aux Jeux un métro léger, le premier du pays – à la réalisation duquel l’entreprise française d’ingénierie Egis a d’ailleurs participé.
Une comparaison avec les Jeux de 1962 s’impose. Soekarno avait été critiqué pour sa décision de les accueillir compte tenu de la situation économique de l’Indonésie à l’époque. Or, les équipements qui avaient alors été construits ont rendu de bons et loyaux services pendant plus de cinquante ans. En outre, les Jeux avaient aussi été le prétexte pour des constructions qui sont devenues emblématiques de Jakarta : l’hôtel Indonesia, le grand magasin Sarinah, l’échangeur routier de Semanggi, sans compter la première station de télévision d’Indonésie. Après tout, la tour Eiffel, construite pour l’Exposition universelle de 1889, qui n’avait aucune utilité fonctionnelle et devait être ensuite démontée, est devenue le symbole de Paris.
Enfin, les Jeux de 2018 ont joué un rôle symbolique dont il ne faut pas minimiser l’importance. Leur succès a des chances de profiter au président Joko Widodo lors de l’élection de l’an prochain. Ils ont suscité la fierté d’une nation que le reste du monde a tendance à ne pas voir. Mais surtout, ils ont instillé un sens de l’unité au pays, en ces temps où l’intolérance islamiste menace son caractère pluraliste. Ce n’est pas le moindre de leurs mérites.

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.