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Malaisie : quelle stratégie internationale avec Mahathir Mohamad ?

De retour au pouvoir, Mahathir Mohamad compte rééquilibrer les relations de la Malaisie avec la Chine. (Source : Asia Times)
De retour au pouvoir, Mahathir Mohamad compte rééquilibrer les relations de la Malaisie avec la Chine. (Source : Asia Times)
C’est une avalanche de sourires et de poignées de mains. Des photos publiées en cascade sur le compte Twitter du nouveau Premier ministre malaisien. Depuis son arrivée à la tête du gouvernement, Mahathir Mohamad reçoit beaucoup. Les diplomates étrangers cherchent à en savoir plus sur les intentions de celui qui a mené la coalition Pakatan Harapan (Le « Pacte de l’Espoir ») à une victoire historique le 9 mai dernier, marquant la première alternance en Malaisie depuis son indépendance en 1957. Clic, clac ! Photos avec l’ambassadeur d’Australie, des États-Unis, de Grande-Bretagne, puis en fin de semaine dernière avec les ambassadeurs japonais, chinois et russe. Un tour du monde en images, qui pour l’instant est resté muet. Mahathir Mohamad ne s’est pas encore exprimé sur la politique extérieure, sachant que l’actuel gouvernement restreint ne compte pas encore de ministre des affaires étrangères.
Cette absence de prise de position sur la politique étrangère malaisienne s’explique par la crise politique qu’a connue le pays à la veille des quatorzièmes élections générales. Contrairement aux batailles électorales précédentes, les questions internationales n’ont pas été abordées pendant la campagne. Ou alors pour faire peur aux électeurs : l’ancien Premier ministre Najib Razak agitant une hypothétique menace sioniste contre le pays, tandis que le Pakatan accusait son principal adversaire, en l’occurrence le Barisan Nasional de vouloir céder la souveraineté du pays à la Chine. Les débats se sont concentrés notamment sur les affaires de corruption et les soupçons de détournements de fonds publics entourant Najib Razak. Élu pour y mettre fin, le nouveau gouvernement concentre ses efforts avant tout sur les questions intérieures délaissant donc l’international.
Mahathir Mohamed avec l'ambassadeur de la Fédération de Russie. (Compte Twitter officiel)
Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed avec l'ambassadeur de la Fédération de Russie. (Compte Twitter officiel)

Héraut des pays du Sud

Pourtant, dans le jeu politique malaisien, l’international a longtemps servi à l’exécutif à renforcer sa légitimité. Mahathir Mohamad a été le premier à en jouer quand il était chef du gouvernement sous d’autres couleurs* entre 1981 et 2003 (*Il était alors membre du principal parti du Barisan Nasional, la United Malay National Organisation qu’il quitte en 2016 pour rejoindre le Pakatan Harapan). Le Docteur Mahathir se faisaient à la fois le chantre des musulmans en soutenant les causes palestiniennes et bosniaques notamment, mais aussi le porte-parole des petits pays d’Asie face aux grandes puissances, dénonçant la domination de l’Occident sur le système international. Jusqu’à la crise financière de 1997, la Malaisie de Mahathir est ainsi souvent apparue en héraut virulent du Sud, n’hésitant pas à s’en prendre violemment aux États-Unis sur les questions des droits de l’Homme ou de l’environnement. Loin de vouloir renverser le système international, Kuala Lumpur demandait alors sa réforme pour garantir aux États du Sud leur indépendance politique et économique et ainsi assurer leur développement. Dans le même temps, le pays cherchait à diversifier ses sources d’investissements pour ne pas trop dépendre de l’Occident.
Cette stratégie a été efficace car jamais Mahathir n’a été critiqué par ses opposants sur sa politique étrangère. Il avait aussi le soutien des pays du Sud. Un appui de poids qui a permis à la Malaisie d’être reconnue sur la scène internationale et d’être élue deux fois en dix ans au Conseil de Sécurité de l’ONU. Cette politique de confrontation avec l’Occident n’est certes pas allée sans quelques errements autour du conflit israélo-palestinien. N’hésitant pas à franchir la frontière entre antisionisme et antisémitisme, le Premier ministre malaisien interdit en 1983 l’orchestre philharmonique de New York de jouer une œuvre composée par un musicien juif. C’est lui aussi qui plus tard va exiger la censure de La Liste de Schindler, qualifiant le film de Steven Spielberg de « propagande juive ». Avant ce dérapage dix ans plus tard, lors d’un sommet des États musulmans en 2003 : « Les juifs, déclarait-il alors, dirigent le monde par procuration. »

Le mouvement des « modérés »

L’arrivée au pouvoir d’Abdullah Badawi en 2003 fait cesser les provocations mahathiriennes. Il met au contraire en avant le thème de la modération qui doit permettre au pays de mieux s’insérer dans la mondialisation. Il met entre parenthèses les récriminations face à l’Occident. Il tente aussi un rapprochement avec les États-Unis, malgré la persistance des tensions sur les questions palestiniennes et iraniennes. Washington a longtemps reproché à Kuala Lumpur ses bonnes relations politiques et économiques avec l’Iran. A partir de 2009, Najib Razak va poursuivre cette politique d’apaisement. La Malaisie s’affiche alors en exemple de pays musulman développé et modéré. C’est notamment le lancement depuis la tribune de l’ONU en 2015, du « Global Movement of Moderates ».
Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed avec l'ambassadeur de Chine. (Compte Twitter officiel)
Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed avec l'ambassadeur de Chine. (Compte Twitter officiel)
L’objectif est également de garantir le développement économique du pays et d’assurer la stabilité du régime. Pour cela, Najib se rapproche de la Chine. L’objectif est d’intégrer la Malaisie aux « Nouvelles Routes de la Soie », le projet lancé par Pékin devant connecter l’Asie au reste du monde. Les investissements chinois pleuvent. Le pays doit accueillir un grand parc industriel, une ligne de chemin de fer reliant l’est et l’ouest de la péninsule, ainsi qu’un nouveau port dans la ville de Malacca. Mais le changement de ton est de courte durée. En 2015, suite à la révélation d’un transfert de 700 millions de dollars provenant du fonds d’investissement publique 1MDB sur le compte personnel de Najib, celui-ci renoue avec une certaine véhémence. Il défend publiquement les Rohingyas, la minorité musulmane de Birmanie victime d’un nettoyage ethnique, et accuse l’ONU d’impotence face à la tragédie pour son inaction.

Crédibilité internationale

*Banque Mondiale, « Turmoil to Transformation, 20 Years after Asian Financial Crisis », in Malaysia Economic Monitor, décembre 2017.
Le retour de Mahathir au pouvoir sous les couleurs de l’opposition va-t-il marquer un retour aux grandes heures de la défense des pays du Sud face à l’Occident ? Rien n’est moins sûr. La Malaisie peut être aujourd’hui considérée comme une puissance moyenne. Ce statut implique donc un certain nombre d’attentes pour ne pas être déconsidérée sur la scène internationale. Pour ne pas effrayer ses partenaires et apparaître comme crédible, Kuala Lumpur doit rester mesuré dans ses propos, d’autant que le plan d’orientation 2016-2020 du ministère des Affaires étrangères fait de la crédibilité internationale la ligne directrice de son action diplomatique. Surtout, la Malaisie atteindra bientôt le stade des économies à hauts revenus, comme l’indique la Banque Mondiale*, et devrait compter parmi les 25 premières économies mondiales en 2050. Pour ne pas briser cette dynamique économique, le pays ne peut pas se permettre d’être pointé comme un dissident voire un déviant à l’international. Cela ne pourrait qu’avoir des conséquences désastreuses pour son économie.
Bien que toutes ses priorités et orientations aient été annoncées par le précédent gouvernement, il est bien peu probable que la nouvelle administration revienne dessus. Alors même qu’il cherche à tourner définitivement la page des années Najib (2009-2018) et à remettre de l’ordre dans l’économie et la politique intérieure de la Malaisie, Mahathir ne peut pas se permettre d’ouvrir un second front sur l’international. La victoire du Pakatan Harapan offre aujourd’hui une crédibilité exceptionnelle au pays. Elle est désormais perçue comme une véritable démocratie. La vice-premier ministre Wan Azizah a ainsi fait savoir que le nouveau gouvernement suivrait la ligne diplomatique du Barisan Nasional sur la question palestinienne : le rejet de Jérusalem comme capitale d’Israël et la recherche d’une paix à deux États.
Mahathir Mohamed et les investissements chinois en Malaisie. (Crédits : DR)
Mahathir Mohamed et les investissements chinois en Malaisie. (Crédits : DR)
Seule la question des relations avec la Chine pourrait marquer une rupture en politique étrangère avec Najib Razak. Mahathir Mohamad a violemment dénoncé la politique d’investissement chinois dans le pays. Pékin a lancé une opération de séduction le 23 mai en envoyant un émissaire auprès du nouveau Premier ministre et son ambassadeur a rappelé les relations anciennes et prospères entre les deux pays depuis 1974. Mais ces efforts semblent vains. Le 26 mai, Mahathir a déclaré que son gouvernement cherchait à renégocier à moindre coût les termes du contrat pour le super projet chinois East Coast Rail Link devant traverser la péninsule malaise. L’objectif de Kuala Lumpur est de recouvrer la souveraineté que Najib aurait cédée à la Chine et surtout de s’assurer que le chantier soit bénéfique à l’économie du pays. Comme souvent chez les puissances moyennes d’Asie du Sud-Est, les capitales économiques sont mises en concurrence pour essayer d’en tirer le meilleur parti. L’histoire pourrait bien bégayer. A son arrivée au pouvoir en 1981, Mahathir avait fait du Japon l’un des principaux partenaires du pays. Selon un communiqué de l’agence de presse malaisienne, le nouveau Premier ministre effectuera son premier déplacement officiel en juin prochain à… Tokyo.
Par Victor Germain

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A propos de l'auteur
Spécialiste de la Malaisie, Victor Germain est chargé d'études à l'Institut de recherche stratégique de l’École Militaire (IRSEM). Diplômé de Sciences Po Paris en science politique et relations internationales, il a également étudié à l'Universiti of Malaya à Kuala Lumpur. Il est l'auteur d'un mémoire universitaire à l'IEP de Paris sur le populisme dans la politique étrangère de la Malaisie.