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​​Expert - Economie chinoise

La Chine, laboratoire géant du nouveau commerce

Scanner un produit et le payer sur mobile en plein supermarché, un geste de plus en plus "normal" en Chine. (Source : The Economist)
Scanner un produit et le payer sur mobile en plein supermarché, un geste de plus en plus "normal" en Chine. (Source : The Economist)
Face à l’émergence du e-commerce dans le monde entier, il eut été facile de prédire la disparition des magasins physiques. Mais l’évolution des comportements des consommateurs et les progrès technologiques renforcent plutôt leur intérêt et permettent la révolution de « l’expérience client ». La Chine l’a bien compris et apparaît comme un précurseur dans le développement d’une nouvelle ère du commerce « physico-numérique ».

Le new retail, le futur du commerce

L’accélération de cette transformation est liée à la digitalisation, elle aussi accélérée, de la société chinoise. En effet, sa population est la plus connectée au monde. Si les Chinois ont longtemps transporté sur eux de l’argent liquide à l’étranger, ils préfèrent désormais le paiement sur mobile, par QR code. Grâce à l’émergence d’application telles que WeChat, où tout est possible – de la réservation d’un billet d’avion à l’achat d’un parfum – les Chinois ne peuvent plus se passer de leur smartphone.
Alibaba, leader du e-commerce en Chine, a bien compris l’importance de la redéfinition du commerce en intégrant les nouvelles technologies. C’est pourquoi en 2016, la firme de Jack Ma annonce sa stratégie de « new retail » ou « nouvelle distribution ». L’objectif est d’allier le big data et les technologies pour transformer le commerce, aussi bien en ligne que hors ligne. A terme, le résultat sera une absence de frontière entre ces deux mondes, avec une fusion « physico-numérique » totale.
Dans son numéro de février dernier, le magazine Marketing saluait « un nouveau modèle de distribution combinant online, offline, logistique et data dans une seule chaîne de valeur : un parcours et une expérience d’achat ». C’est ainsi qu’Alibaba a créé les supermarchés Hema : chaque produit est scannable, pour obtenir des informations sur sa composition, la façon de le cuisiner et des suggestions d’articles similaires ou additionnels sont proposés aux consommateurs directement sur leur smartphone. Les achats sont ensuite payés à l’aide d’un QR code lié au porte-monnaie virtuel Alipay.
Ces supermarchés sont aussi des entrepôts et des centres de logistiques. Les acheteurs résidant à moins de 3 kilomètres de Hema peuvent se faire livrer leurs courses à domicile en 30 minutes. Les supermarchés de Pékin et Shanghai proposent même un service de livraison 24h sur 24, sauf pour les produits frais.

« Online to offline », ou quand l’expérience client monte en gamme

Signe que cette fusion a de beaux jours devant elle, l’alliance de l’expérience en ligne et du hors ligne a maintenant son acronyme, « O2O » pour « online to offline ». Bientôt, les villes chinoises verront d’ailleurs fleurir des BingoBox, magasins de proximité 100% automatisés. Le smartphone sert de clé pour entrer, toujours à l’aide d’un QR code, et des puces RFID intégrées à chaque produit permettent le contrôle des achats. Plus besoin de caissier, tout est vérifié par vidéosurveillance.
La révolution de l’expérience client ne limite pas à l’agroalimentaire. Des innovations sont à prévoir dans le secteur de la mode. Il est déjà possible d’en définir une partie, grâce au concept de See now buy now. Dévoilé lors des « See now buy now show » d’Alibaba en 2016 et 2017, il surfe sur la vague du live streaming très présente en Chine, et la frénésie d’achats, notamment de produits de luxe, de la jeune génération chinoise. Les défilés de marques telles que Guerlain, Adidas, Victoria’s Secret ou encore Ralph Lauren sont diffusés sur plusieurs plateformes sociales (Youku, Weibo ou les applications de Taobao). Le public peut, en secouant son smartphone dès qu’il voit un produit qui l’intéresse, accéder à un lien Alibaba lui donnant la description du produit et permettant son achat, toujours à l’aide de son mobile et d’Alipay. L’acte d’acheter s’apparente maintenant à un loisir et devient bien plus simple et rapide qu’avant.
Un exemple en avril 2016 : Angelababy et un certain nombre d’influenceurs chinois ont permis la vente de 10 000 tubes du nouveau rouge à lèvres de Maybelline, lors d’un live streaming de 2 heures de la conférence de presse de la marque sur Meipai (application de partage de vidéos).
Dernier exemple en date, le partenariat entre Alibaba et Ford, qui permet aux Chinois de tester une voiture à la demande avant de l’acheter. Cela se décline sous la forme d’un distributeur géant de voiture, installé à Canton durant tout le mois d’avril cette année. Aucune intervention humaine n’est requise. De l’enregistrement par reconnaissance faciale au choix de la voiture sur son smartphone, jusqu’au choix des options et son achat sur Tmall via paiement avec Alipay, l’ensemble de l’opération peut se faire en quelques minutes, à l’aide seulement de son smartphone.

Les données, éléments-clés de la révolution du commerce

L’alliance du « O2O » avec les nouvelles technologies et intégration des habitudes des consommateurs permet de renforcer la relation client. Elle lui offre ce qu’il désire en temps réel, de manière simple et ludique. Ces méthodes et concepts accroissent également la quantité et la qualité des informations auxquelles ont accès les marques et les distributeurs.
Revenons aux supermarchés Hema. Les données collectées y concernent l’historique des achats, l’adresse, l’âge et le numéro de téléphone. En les analysant, l’objectif est de pouvoir fournir des offres aussi bien en matière de prix que de produits, adaptées aux besoins et habitudes du client. De même, grâce aux caméras à reconnaissance faciale, Alibaba prévoit d’offrir des coupons de réduction lorsqu’un client sourit devant un produit. Ces données s’intègrent également à la gestion de la logistique. Elles permettent aux distributeurs d’anticiper les besoins et la gestion des stocks. Les fluctuations de la consommation sont ainsi mieux prises en compte avec une diminution du surplus de produits.
La transformation du commerce met donc le consommateur au centre de toutes les attentions. Les marques et distributeurs se doivent de connaître et de comprendre l’ensemble du processus qui conduit à l’achat puis à la fidélisation. Le parcours client est étudié au millimètre près grâce aux technologies de reconnaissance faciale et aux historiques d’achats, permettant de proposer des offres et produits personnalisés.
La révolution digitale en place en Chine depuis plusieurs années, le développement de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle ont permis un bond en avant de la distribution. En comparaison, le paysage occidental fait pâle figure, notamment à cause de l’absence de solutions de paiement en ligne homogènes entre tous les commerçants. En Chine, l’enjeu des données est au centre des stratégies « O2O » : elles permettent d’affiner la connaissance client et de proposer des concepts innovants, pour améliorer et simplifier le parcours du client à tous les niveaux, sans démarcation entre le online et le offline.
L’omniprésence du smartphone dans la vie des Chinois facilite la mise en place de nouveaux processus de vente. Leur aisance avec les technologies digitales transforme le pays en laboratoire grandeur nature pour le commerce du futur.
NB : Cet article est inspiré de la conférence donnée par Shuo Digital à l’École de Guerre Economique le 28 mars 2018, intitulée « Comment naviguer entre contrôle de l’Internet et opportunités commerciales en Chine ? »

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A propos de l'auteur
Spécialiste de la Chine, Elodie Le Gal est chef de projet en intelligence économique. Son focus se porte sur les problématiques socio-économiques et politiques chinoises, ainsi que sur la scène digitale et technologique du pays.