Culture
Témoin - la Chine crève l'écran

Chine : la question LGBT toujours plus censurée au cinéma

Extrait de la websérie chinoise "Accro", mettant en scène l'histoire d'un couple homosexuel. (Source : Viki.com)
Extrait de la websérie chinoise "Accro", mettant en scène l'histoire d'un couple homosexuel. (Source : Viki.com)
Lesbien, gay, bi ou trans, la question reste un tabou en Chine dans les salles de cinéma comme dans les webséries. Si l’organisation de festivals est permise, la censure est de plus en plus sévère.
C’est seulement en 1997 que la Chine a légalisé l’homosexualité. Et ce n’est qu’en 2001 que Pékin l’a retirée de la liste des maladies mentales. Cependant, les couples de même sexe n’ont pas le droit de se marier, ce qui leur interdit la procréation ou l’adoption. C’est aussi le cas en Corée du Sud, au Japon ou au Vietnam. La situation en Chine est même meilleure qu’en Inde où il est illégal d’avoir des relations homosexuelles. Seul Taïwan, qui reconnaîtra à partir de 2019 les mariages de même sexe, fait figure d’avant-garde en Asie.
*State Administration of Press, Publication, Radio, Film and Television.
Depuis la réouverture de la Chine au monde, quelques films chinois ou séries télévisées ont mis en scène des homosexuels, le plus célèbre étant Adieu ma concubine de Chen Kaige, palme d’or en 1993. Mais si « les médias chinois parlent de plus en plus positivement, ou du moins avec rigueur, de la question LGBT, les séries ou films chinois eux n’abordent pas la question », regrette Wei Xiaogang, fondateur du collectif pékinois « Queer Comrades ». En effet, la loi s’est durcie : au début de l’année 2016, la SARFT* a décidé qu’il fallait protéger le public contre les « côtés obscure de la la société ». Elle a donc interdit de représenter à l’écran une relation homosexuelle, mais aussi des aventures d’un soir, des relations hors mariage ou des relations sexuelles entre mineurs.
Ainsi la websérie Accro (上瘾shangyin), mettant en scène l’histoire d’un couple homosexuel, a-t-elle été retirée en plein milieu de diffusion par Iqiyi, le Netflix chinois. Et cela au grand désespoir du public qui avait placé cette création originale dans le top 2 des visionnages. Peu de gens élevèrent une voix contre cet arrêt car à part quelques stars hongkongaises, il n’existe qu’une seule personnalité LGBT en Chine : Jin Xing. Ancien danseur de l’Armée Populaire de Libération (APL) devenue femme, elle travaille maintenant à la télévision et présente entre autres le jeu de télé-réalité « Rencontres chinoises » (中国式相亲 – zgongguo mianshi qin) : un jeu où les parents choisissent pour leur enfant les candidats au mariage. L’émission est tout ce qu’il y a de plus traditionnel : Jin Xing n’a jamais souhaité devenir une porte-parole de la communauté LGBT.
Voir la bande-annonce de la série « Accro » (上瘾 – shangyin) – 2015 :
S’il est devenu très difficile de produire des films et documentaires consacrés à cette question, certains continuent de vouloir faire parler du sujet dans la sphère publique. C’est ainsi que des manifestations comme le Beijing Queer Film Festival, la Shanghai PRIDE ou le Shanghai Queer Film Festival ont vu le jour. Pour Raymond Phang, directeur du festival de cinéma de la Shanghai PRIDE, la décision de créer cet événement avait pour but de « montrer au public des films LGBT que nous ne pourrions voir dans une salle commerciale du fait de l’interdiction de montrer publiquement ce type de film dans un cinéma ». Les séances ont donc pour obligation d’être gratuite afin de ne pas rentrer dans la catégorie projection commerciale. Ce qui rend difficile d’attirer les spectateurs en nombre, reconnaît-il : « Il est vrai que le public se rendant à ces projections est très petit comparé à l’ensemble de la population de Shanghai, voire même de la communauté LGBT résidente. » La faute, selon Tingting Shi, fondatrice et directrice du Shanghai Queer Film Festival, a l’impossibilité d’aller dans des endroits conventionnels : « Les lieux de projection étaient des bars, des cafés, des espaces de co-working ou des écoles, » explique-t-elle. Pour les deux manifestations, près d’un bon millier de personnes ce sont déplacées, dont une très grande majorité de Chinois, mais cela reste assez dérisoire face au 24 millions d’habitants de l’agglomération shanghaïenne.
L'affiche du Shanghai Queer Film Festival. (Copyright : Alejandro Scott)
L'affiche du Shanghai Queer Film Festival. (Copyright : Alejandro Scott)
Si personne n’est en mesure de produire un long-métrage faute de moyen, les court-métrages chinois sur la question LGBT sont bien représentés. Par exemple, sur les 19 court-métrages sinophones projetés pour l’édition 2017, 14 provenaient de Chine continentale. Mais ce sont le plus souvent des projets de passionnés ou d’étudiants que l’oeuvre de professionnels qui peuvent en vivre. Une réalité économique qui correspond cependant à l’ensemble des personnes travaillant sur ce type de projets en Asie comme dans le reste du monde.
L’un de ces court-metrages, Une fille couverte (搁浅的鱼 – geqian de yu) raconte l’histoire d’une jeune femme envoyée dans une clinique chargée de « guérir » des personnes de leur penchant homosexuel par des méthodes coercitives (électrochoc, médicaments, « activités » avec des garçons). Cette histoire est fondée sur des faits reels. Xin Geng, sa réalisatrice, a pu la monter grâce à l’aide de son école de cinéma et de sa famille. « Nous n’avions presque pas d’argent pour tourner ce court-métrage, confie-t-elle, et c’est encore plus dur de faire ce type de film quand on travaille sur des sujets sensibles ou des films d’auteur. »
Les cinéastes chinois ne sont pas les seuls à réaliser des films sur le sujet. Des militants LGBT peuvent aussi maintenant se former au media vidéo à Pékin au sein de l’université « queer » du collectif « Queer Comrades ». « Les films représentant des personnes LGBT ne leur donnent jamais de traits positifs et nous devons changer cela, affirme Wei Xiaogang, le fondateur du collectif. C’est pourquoi nous avons formé plus de 40 personnes qui ont tourné plus d’une dizaine de films, principalement du documentaire et du court-métrage. » Le réalisateur Fan Popo a participé à cette formation. Avec le soutien de « Queer Comrade », il a réalisé le film documentaire Maman Arc-en-Ciel (彩虹伴我心 – caihongbanwoxin) qui raconte comment certains parents chinois découvrent l’homosexualité de leur enfant.
Voir la bande-annonce de Maman Arc-en-Ciel (彩虹伴我心) :
Diffusé sur plusieurs plates-formes chinoises comme Youku ou 56.com avec plusieurs millions de vues, le film fut en 2014 retiré du jour au lendemain, sans explication. Ce qui fut alors le début d’un procès kafkaïen : Fan Popo assigna en justice la SARFT afin de savoir pourquoi son film tombait sous le coup de la censure et pouvait donc être légalement condamné par la loi chinoise. S’il « gagna » son procès car la justice confirma que la censure devait justifier sa décision, l’administration refusa néanmoins de donner plus d’informations et le film ne fut jamais remis en ligne.
Si le tournage de films de fiction et documentaires sur la question LGBT n’est donc pas en soi interdit, les difficultés de diffusion et de rémunération rendent actuellement délicate la création de projets cinématographiques ambitieux en la matière. Et avec la confirmation que l’équipe au pouvoir reste en place plus longtemps que prévu, il y a fort a parier que peu de choses évolueront dans les années qui viennent.

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A propos de l'auteur
Aladin Farré est Producteur et Réalisateur. Après avoir travaillé dans le documentaire historique et le transmédia, il s'est expatrié en Chine où il espère percer les secrets du mandarin et des coproductions internationales.