Economie
Entretien

David Baverez : "Et si le président Macron avait peur de la Chine ?"

Le président français Emmanuel Macron lors de sa première rencontre avec son homologue chinois Xi Jinping en marge du sommet du G20 à Hamburg, le 8 juillet 2017. (Crédits : AFP PHOTO / IAN LANGSDON)
Le président français Emmanuel Macron lors de sa première rencontre avec son homologue chinois Xi Jinping en marge du sommet du G20 à Hamburg, le 8 juillet 2017. (Crédits : AFP PHOTO / IAN LANGSDON)
Quelle est la stratégie d’Emmanuel Macron face à la Chine ? A quand sa première visite ? Le président français n’a encore jamais mis les pieds dans l’Empire du milieu et pour l’instant, il n’a pas livré de vision précise à son sujet. Macron a certes rencontré pour la première fois son homologue chinois Xi Jinping le 8 juillet dernier au G20 de Hambourg. Les deux dirigeants avaient alors réaffirmé leur engagement à mettre en œuvre l’accord de Paris sur le climat, tandis que Donald Trump laissait déjà entendre qu’il ne l’appliquerait pas. Un peu plus tôt le 23 juin, le président de la République avait échoué à convaincre ses partenaires de l’Union européenne de laisser plus de pouvoir à la Commission de Bruxelles pour contrôler les investissements étrangers, et notamment chinois en Europe. Mais depuis, l’ancien ministre de François Hollande n’a plus émis un son audible sur le pays de Xi. C’est bien ce que lui reproche David Baverez, investisseur basé à Hong Kong et auteur de Paris-Pékin Express (François Bourin, 2017). Sorti quelques semaines avant l’élection présidentielle, le livre exhortait le prochain locataire de l’Élysée à prendre le premier avion pour la capitale chinoise, plutôt que pour Berlin ou Washington. Six mois après l’élection d’Emmanuel Macron, David Baverez appelle toujours à la même prise de conscience.

Entretien

David Baverez est un investisseur privé, basé à Hong Kong depuis 2012, d’où il conseille diverses start-up s’est concentré sur les opportunités d’investissement en Asie. Diplômé de HEC et de l’INSEAD, il a notamment été gérant de portefeuille chez Fidelity Investments à Londres et à Boston, puis associé fondateur de KDA Capital. En 2015, il publie chez Plon Génération tonique, un ouvrage dans lequel il estime que « l’Occident est complètement à l’Ouest ». Il devient aussi chroniqueur pour plusieurs journaux français, dont L’Opinion ou Les Echos, mais aussi pour Forbes et Medium.

Dans son dernier livre, Paris-Pékin Express, la nouvelle Chine racontée au futur président (Francois Bourin, 2017), David Baverez se donne pour mission de révolutionner la politique étrangère du président français avec des formules choc. A ses yeux, il faut analyser la réalité politique de la Chine hors des catégories classiques : le pays est une « démocrature », selon l’investisseur, un « mix de « cyberdémocratie » d’une part, à travers l’essor des réseaux sociaux mettant quotidiennement le pouvoir sous pression, et de « dictature » d’autre part, contrôlée par une méritocratie à la tête du pouvoir central. Ce modèle unique de pouvoir fort – bien diffèrent de celui de la Russie ou la Turquie – est hautement fluide et instable. »

L'essayiste et investisseur français David Baverez. (Copyright : William Furniss, 2017)
L'essayiste et investisseur français David Baverez. (Copyright : William Furniss, 2017)
Vous qui appeliez en avril dernier dans votre livre Paris-Pékin Express le futur président à partir en Chine dès le lendemain de son élection, comment jugez-vous les premiers pas d’Emmanuel Macron ?
David Baverez : Jusqu’à présent, force est de reconnaître que la stratégie diplomatique française vis-à-vis de la Chine brille surtout par son absence ! Ce qui est difficilement compréhensible quand on a l’intelligence et l’opportunisme du président Macron. C’est d’autant plus regrettable qu’existe à la fois une opportunité et une urgence. Le président a donné priorité aux États-Unis et au Moyen-Orient, tout en fixant la réinvention de l’Europe comme la base de sa politique étrangère. Il rate ainsi une opportunité historique, offerte par l’effondrement du soft power anglo-saxon – dont le seul gagnant est du coup la Chine, et non pas l’Europe continentale. Soyons réalistes : on ne peut pas rêver d’une reconstruction européenne sans avoir réfléchi au positionnement du « Vieux Contient » par rapport a la montée en puissance de la Chine. Or, Emmanuel Macron esquive la question précisément au moment ou il y a urgence.
Comment définissez-vous cette « urgence » chinoise ?
Les « Nouvelles Routes de la Soie » en sont une illustration criante ! Ce projet est en fait une réhabilitation essentiellement politique de cette route historique, bien plus qu’économique, contrairement à la propagande chinoise. Depuis le début de l’année, la Chine aura investi seulement moins de 10 milliards de dollars dans les pays qui jalonnent cette nouvelle Route de la Soie. « En même temps », elle y construit un soft power incroyable, si bien que la partie Est du globe semble ne se plus tourner que vers elle. Un coup de génie ! Ainsi, le président Macron fait l’impasse sur la Chine au moment-même où il y a urgence à répondre à ce soft power qui lui permet de réaliser ce « hold-up » diplomatique fabuleux. Moins de 10 milliards de dollars sur la table, pour « annexer » de facto près de la moitié du globe, qui, de l’Afrique au Pakistan en passant par l’Iran, ne regarde désormais plus que vers la Chine.
Au même moment, apparait également un caractère d’urgence, cette fois-ci positif, sur le plan économique. De façon très paradoxale, la Chine semble vouloir chasser les sociétés occidentales au moment même où elle n’a jamais eu autant besoin de l’Occcident. Comme tous les dix ans, son modèle économique aujourd’hui touche à ses limites : contrairement à la propagande gouvernementale, le rééquilibrage par l’accélération de la croissance de la consommation domestique s’avère plus complique que prévu. La dernière décennie de croissance s’est faite au prix d’un emballement de l’endettement deux fois plus rapide qu’en Occident, rajoutant plus de 100 points de dette sur le PNB, ce qui n’est pas soutenable. Ainsi, le crédit a la consommation représente désormais près de 100% des revenus des ménages. C’est d’ailleurs le récent message de Zhou Xiaochuan, le très respecte gouverneur de la Banque centrale chinoise, l’homme qui depuis quinze ans a sans doute le plus contribué a sauver la planète financière. En marge du 19ème Congrès du Parti communiste à Pékin, Zhou a appelé son successeur à se préparer a faire face à un « moment Minsky », le point où un système surendetté se retrouve finalement contraint de faire face a ses déséquilibres.
Quel est donc, selon vous, le levier pour rééquilibrer l’économie de la Chine ?
Le salut ne peut venir que de l’amélioration de la productivité qui permettra une réacceleration des salaires, et par la même de la consommation intérieure. Augmenter la productivité à la fois du capital et du travail, doit passer par le recours à la technologie. Or, aujourd’hui, dans de nombreux domaines, c’est encore l’Occident qui la domine. Et le problème pour les Chinois, c’est qu’ils ne peuvent plus aller la chercher auprès de l’Amérique de Donald Trump. Ces dernières semaines, le fameux Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) vient de prendre des mesures encore plus protectionnistes vis-à-vis de la Chine. Seule reste disponible pour Pékin la technologie américaine largement surévaluée comme Tesla : Tencent a, certes, eu l’autorisation récemment d’y investir 2 milliards de dollars… que Tesla s’est empressé de brûler à hauteur de 1,6 milliards en seulement un trimestre ! Tesla ne produit par an que 100 000 véhicules à 100 000 dollars l’unité, alors que la Chine a besoin de 20 millions de voitures électriques annuelles coûtant au maximum 5 à 10 000 dollars !
Que peut faire le président français ?
Il y a en réalité potentiellement un boulevard pour Emmanuel Macron ! Le probleme tient au fait que n’ayant jamais mis les pieds en Chine, sa peur d’affronter Xi Jiping à domicile trahit son ignorance de ce qui s’annonce comme la première puissance économique mondiale du siècle. Cela dit, les Français doivent cependant garder espoir : leur Premier ministre, Édouard Philippe, s’y est rendu chaque été une semaine depuis 2010, en tant que maire du Havre, ville jumelée avec Dalian. Lui sait ce qui arrive à la France quand elle ne s’adapte pas à la mondialisation : le port du Havre n’est exploité qu’à 25% de ses capacités ! Tandis que le président Macron préfère parader face à l’effondrement historique du soft power anglo-saxon et jouer sur l’usure du pouvoir d’Angela Merkel… Mais il lui est certainement plus dangereux de se confronter aux trois ingrédients qui font la réussite des dirigeants chinois depuis trente ans : la vision – la Chine sera la première puissance mondiale en 2049 -, la détermination – la reprise en main aujourd’hui du Parti et de l’armée, puis des sociétés étatiques chinoises demain – et le courage – faire de la politique pour les jeunes et pas pour les vieux. Quel paradoxe de voir un pays comme la Chine dirigé par des vieux pour les jeunes, alors qu’en France, si rien ne change, nous courrons le risque d’avoir un président jeune menant toujours une politique de vieux, en refusant de traiter le problème de la dette et des dépenses publiques !
Quelle doit être la stratégie commerciale de la France en Chine ?
Il faut changer de logiciel ! Soit on se complait dans l’arrogance en se disant : « De toute façon, l’économie chinoise va dans le mur. » Soit, comme Macron, on avoue : « Ils sont trop forts, j’abandonne. » Je recommande personnellement plutôt une analyse dépassionnée de la Chine, en étudiant à la fois ses forces et ses faiblesses. Certes, il faut reconnaître que quant aux forces, il est déjà trop tard. Mais il convient aussi de faire la liste des faiblesses du système chinois, auquel nous avons encore quelques remèdes à proposer. La principale, c’est la faible productivité du travail, à seulement 25% de celle de l’Occident, et la faible productivité du capital – les entreprises d’État chinoises n’ont qu’un rendement de l’ordre de 3%. La solution, Carlos Ghosn nous en a montré le chemin récemment. Le patron de Renault vient en effet de conclure un accord de joint-venture avec le groupe Brilliance, l’un des meilleurs constructeurs automobiles chinois, partenaire notamment de BMW. Carlos Ghosn a bien identifié que la voiture électrique se développera en Chine d’abord sur le segment des véhicules utilitaires, notamment par les commandes d’entreprises d’État. D’où cette alliance avec Brilliance : Renault a pris 50% de son activité utilitaire, mais pour un seul yuan symbolique ! Les deux parties se sont engagées à investir chacune 150 millions de dollars en cash, mais avec le groupe français aux commandes !
La preuve que si l’on prend la peine d’analyser les faiblesses chinoises et si on leur parle dur, on peut encore gagner ! Mais si l’on attend de négocier en position d’ultime faiblesse comme la famille Peugeot face à Dongfeng Motors, on laisse ainsi les Chinois accéder pour un prix dérisoire à la première Recherche et Développement française. Donc le message pour le président Macron est clair : l’industrie automobile illustre splendidement à la fois l’urgence et l’opportunité en Chine. Si vous ne vous y rendez pas maintenant, vous finirez, aux côtés de Jean Yanne avec « les Chinois à Paris » !
Quels sont les secteurs les plus porteurs pour la France en Chine ?
Il faut faire une analyse approfondie du plan « Made in China 2025 », qui détaille une dizaine d’industries prioritaires fixées par le gouvernement de Pékin. Dans chacune, à nous d’identifier où la France possède encore un savoir-faire unique dans un goulot d’étranglement au sein de la chaîne de valeur. C’est ce qu’a su analyser Carlos Ghosn avec la voiture utilitaire électrique, qui fait partie des axes du plan chinois. Autre secteur, l’environnement : là encore, en l’absence de concurrence américaine crédible, identifions dans la chaîne de valeur chinoise les goulots d’étranglement où nous, Français, restons leaders mondiaux. Ensuite, facturons ce savoir-faire au prix fort, reflétant la valeur ainsi ajoutée.
Quels sont les autres secteurs ?
Potentiellement toutes les activités de service. Prenez l’éducation : toutes nos grandes écoles sont aujourd’hui en faillite virtuelle car elles dépendent de subventions publiques insoutenables à l’avenir. La Chine compte 7 millions de diplômés par an, qui rêvent tous d’aller à l’étranger pour échapper au système éducatif chinois. Or seuls 7% auront cette chance. Reste donc un marché « adressable » de 93% de diplômés chinois pour le secteur naissant en plein boom de l’education en ligne, seul modele économique viable pour éduquer la future élite des pays émergents. De même dans le domaine de la culture : le Louvre d’Abu Dhabi va rapporter un milliard d’Euros à la France tout en contribuant à faire rayonner un peu plus notre culture. La Chine a ouvert ces dernières années un nouveau musée chaque jour, mais n’a malheureusement que peu de pièces a montrer, compte tenu de la Révolution culturelle. A Paris, Beaubourg exhibe seulement 1% de sa collection chaque année : organisons la même coopération avec la Chine… mais pour un milliard d’euros !
Quelle attitude adopter à l’égard des investissements chinois en France ?
L’idée ne doit pas être d’interdire les investissements chinois en France. Réjouissons-nous plutôt si les Chinois rachètent nos sociétés au prix fort pour les développer par la suite. Prenez l’exemple dans l’hôtellerie de la Société du Louvre. Elle appartenait à la famille Taittinger qui préférait ses dividendes aux investissements. Depuis 2015, Jinjiang International en est le nouveau propriétaire, finançant les investissements nécessaires à la plus grande satisfaction de la direction française. Groupe étatique, JinJiang est en fait géré par la mairie de Shanghai comme une société privée, avec une approche industrielle, à long terme. Avec à la clé pour la Société du Louvre, 350 hôtels Campanille attendus en Chine dans les trois ans à venir !
Je prendrais un autre exemple en Allemagne avec Kuka, le dernier leader européen indépendent spécialisé dans le domaine de la robotique. Il a été racheté en 2016 par le Chinois Midea pour 4,5 milliards d’Euros. Les Allemands avaient précédemment quadruplé la valeur du groupe en trois ans en robotisant toute l’industrie automobile chinoise. Ils sont donc arrivés à imposer aux Chinois la prime de la croissance de leur propre marché dans un des axes prioritaires du pays ! Tout en s’assurant que le siège reste en Allemagne jusqu’en 2022 et que les emplois allemands soient garantis dans une industrie en plein boom. C’est comme cela que nous construirons la « Nouvelle de la Route de la Soie Digitale » entre Europe et Chine. Il nous faudra juste rappeler à nos amis chinois qu’une route n’est en réalité profitable que si son trafic fonctionne de manière fluide dans les deux sens.
Propos recueillis par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).