Politique

Thierry Mariani : "Finançons les jeunes Français qui créent une entreprise en Asie"

Thierry Mariani, député Les Republicains (LR) de la 11ème circonscription des Français de l'étranger en Asie-Océanie, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris le 14 février 2017. (Crédits : AFP PHOTO / ALAIN JOCARD)
Thierry Mariani, député Les Republicains (LR) de la 11ème circonscription des Français de l'étranger en Asie-Océanie, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris le 14 février 2017. (Crédits : AFP PHOTO / ALAIN JOCARD)
Thierry Mariani garde un ton mesuré. Alors qu’Édouard Philippe vient tout juste d’être nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, le député Les Républicains de la 11ème circonscription des Français de l’étranger ne veut surtout pas paraître déboussolé. « J’espère que ce Premier ministre a été choisi pour ses compétences et non par pur choix tactique. Parce que pour le moment, on a l’impression que l’étape 1, c’était de faire exploser le PS et que l’étape 2, c’est de faire exploser LR ! J’attends maintenant la politique proposée. » A moins d’un mois des législatives où il se représente, Thierry Mariani reçoit Asialyst au Bourbon, la brasserie située juste derrière l’Assemblée nationale, ce lundi 15 mai après 15h, avant de décoller le soir-même pour Moscou.
Car c’est en député qui maîtrise l’ensemble de « sa » circonscription, 49 pays de l’Ukraine à la Nouvelle-Zélande, qu’il veut s’imposer à nouveau. Comme une évidence. Critiqué pour sa proximité avec la Russie de Vladimir Poutine ou son soutien au dialogue avec Bachar al-Assad en Syrie, il revendique sa liberté. L’important à ses yeux pour les Français d’Asie ? Davantage de crédits pour l’enseignement du français et de l’aide financière pour les jeunes entrepreneurs qui favorisent la création d’emplois dans l’Hexagone. Entretien.

Contexte

C’est l’une des circonscriptions qui compte le moins d’électeurs, mais l’une des plus vaste en terme de superficie. Mieux vaut aimer l’avion, si un jour vous souhaitez être candidat à la députation pour la onzième circonscription des Français établis hors de France. Créée en 2010 à la faveur d’un redécoupage, la circonscription Asie-Océanie comprend 49 pays, pour 92 707 inscrits sur la liste électorale consulaire au 31 décembre 2016, indique notre partenaire lepetitjournal.com, soit la 9ème circonscription en terme d’électeurs. Au deuxième tour de la présidentielle 2017, les Français d’Asie et d’Océanie ont voté à 87,51 % pour Emmanuel Macron et à 12,49 % pour Marine Le Pen. Au premier tour, ils étaient 39,2 % à se prononcer pour Emmanuel Macron, 29,6 % pour François Fillon et 13,7 % pour Jean-Luc Mélenchon. Quatorze candidats sont en lice dans la onzième circonscription pour ces législatives 2017, dont les premiers et deuxièmes tours se dérouleront les dimanches 3 et 17 juin pour les Amériques et les 4 et 18 juin dans le reste du monde. Demandez les programmes ! Asialyst leur ouvre ses colonnes.

Quelle est votre position depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?
Le nouveau président a été élu en partie pour ses qualités et en grande partie grâce un candidat de la droite abîmé par les affaires. Héritier de la majorité sortante, Emmanuel Macron a une position ambigüe. Quelle sera sa politique étrangère, sur la sécurité et sur l’immigration ? Mais il ne faut pas oublier qu’en dehors de quelques prérogatives dont celles de la Défense, le président a des pouvoirs mais le parlement a aussi d’énormes pouvoirs. Est-ce qu’on choisit de laisser sa chance au nouveau président ? Telle est ma position : ni opposition obstinée ni soutien inconditionnel.
J’ai été l’un des 8 députés de droite qui ont dit être prêts à voter la loi Macron. Tous les petits pas sont bons à prendre. A l’époque, je disais que c’était une loi insuffisante mais qui faisait un petit pas dans la bonne direction. Même si j’étais dans l’opposition, j’ai voté un certain nombre de textes de la majorité sortante. On est toujours libre de son vote, personne ne me l’a imposé. Mon attitude sera la même : je voterai les textes qui me semblent aller dans le bon sens. Si on a la France en tête, on ne doit considérer qu’une chose : est-ce positif ou négatif ? Le reste appartient à des débats dépassés.
Pensez-vous que les Républicains gagneront la majorité à l’Assemblée ?
Je l’espère, mais aujourd’hui il faut surtout que la France se réforme. Si les Républicains sortent victorieux des prochains législatives, cela assurera des réformes nettes. Si c’est la victoire de la République en Marche, à mon avis, nous aurons surtout des demi-mesures. Je pense qu’il y a de fortes chances qu’il n’y ait aucune majorité claire. Car en réalité, nous nous retrouverons avec les partis traditionnels, plus En Marche !, plus le Front National. Donc ce sera une assemblée avec des majorités d’idées possibles mais pas de majorité classique. Chaque député se retrouvera face à des choix personnels. Vous pourrez soutenir des textes dans certains cas. La question aux législatives, c’est : « Doit-on donner un chèque en blanc à Emmanuel Macron ? » Car son objectif, c’est surtout de faire exploser la droite. Et c’est une erreur car cela va donner l’impression d’une force unique face au FN. S’il n’y a pas d’opposition, si c’est une sorte de magma, la seule opposition dans cinq ans, ce sera le Front National. Donc cela ne va pas dans l’intérêt de la France.
Pourquoi vous représentez-vous à la députation des Français d’Asie-Océanie ?
De 2000 à 2014, j’ai été « LE » responsable des Français de l’étranger pour le parti de droite à l’époque où il n’y avait pas de députés pour les représenter à l’Assemblée. J’ai accompli le premier mandat lorsque les sièges de députés ont été créés par Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs une idée que j’ai poussée auprès de lui. Pour mon premier mandat, j’ai réussi a être à la fois un des députés les plus actifs à l’Assemblée nationale et présents à l’étranger. Je pense que la France a besoin d’une autre politique et je veux apporter ma contribution. Quand on s’occupe des Français de l’étranger, on a une autre vision de la France. Beaucoup mieux que nos collègues de métropole, on voit la nécessité de réformer ce pays dans le sens d’une mondialisation inéluctable qui impose aux États de se réformer, avec de nouvelles règles, de nouveaux concurrents et de nouvelles situations.
Comment rester prêt de ses électeurs dans une circonscription qui couvre 49 pays ?
Voici ma semaine type : je pars de Roissy le mercredi dans la nuit ou le jeudi en milieu de journée, ce qui me permet d’être 2 à 3 jours à l’Assemblée et les 4 ou 5 jours qui restent à l’étranger. En général, j’arrive à Paris par le vol du mardi matin qui permet de se rendre directement au palais Bourbon. On n’a parfois même pas le temps de se raser. Au total, cela fait entre 160 et 180 vols par an. En 2016, j’en ai fait 159. Cela nécessite une santé de fer. Depuis 2017, j’ai déjà effectué 67 vols et je prends cette nuit [le lundi 15 mai] le 68ème à 23h. J’arrive à 4 heures du matin à Moscou puis je redécolle à 15h pour Perth, puis Singapour, Phuket, Bangkok…
Je crois que beaucoup de candidats n’ont pas compris deux choses. Primo, être député, c’est une activité à plein temps qui implique d’abandonner toutes les autres pour être en règle avec la loi. Je m’y étais engagé : je n’ai plus aucune activité personnelle. J’étais le président du festival d’opéra d’Orange, à titre bénévole. Et j’ai démissionné l’année dernière après 20 ans. Secundo, être député, cela impose des déplacements incessants si on veut réellement couvrir sa circonscription. Administrativement, elle compte 49 pays et de fait, il y a des Français présents dans une quarantaine de pays. Par exemple, les îles-États du Pacifique hébergent très peu de Français, souvent inaccessibles. Je ne peux pas aller aux Îles Salomon où vivent 12 français sur 12 îles différentes.
Qui sont vos électeurs ? Quelles sont les évolutions de la communauté française en Asie ?
Il y a une évolution dans la composition de cette communauté : elle s’est globalement appauvrie. En effet, on compte de moins en moins de packages d’expatriés et de plus en plus de contrats locaux, de plus en plus de couples mixtes avec des personnes très souvent bloquées dans le pays – le conjoint ne parlant pas français ou avec une connaissance trop rudimentaire, il est difficile de retourner en France. L’image de l’expatrié avec un contrat englobant le logement et l’école, c’est la minorité. C’est une communauté qui s’est précarisée. De plus en plus sont en contrat local et n’ont donc pas les moyens de payer une assurance et ont des difficultés à payer l’école. C’est aussi une communauté où deux générations explosent : les très jeunes et les retraités. Les très jeunes parce que la persistance du chômage en France en entraîne de plus en plus à tenter l’aventure en Asie ; les uns avec une réussite exemplaire en créant des startups qui font fortune, les autres avec des drames tout aussi exemplaires comme tel jeune qui s’est fait pillé par son associé asiatique dans une entreprise où il avait mis toute son activité. En parallèle, de plus en de retraités s’installent en Thaïlande ou dans les pays de l’ex-Indochine. Cette population n’a plus grand-chose a voir avec ce qu’elle était il y a dix ans.
Quels sont désormais vos dossiers prioritaires ?
Aujourd’hui, c’est sur l’éducation que je suis le plus sollicité. Mon mandat s’achève avec une première pour les expatriés : un gouvernement qui a baissé les moyens pour la scolarité des Français de l’étranger. Les crédits à l’AEFE [l’agence pour l’enseignement français à l’étranger, NDLR] ont été diminués ainsi que les bourses, alors même que les élèves sont de plus en nombreux ! Il se produit de plus en plus de cas de déscolarisation. D’où la nécessité d’encourager les programmes FLAM et les petites écoles qui peuvent être montées par des expatriés.
La deuxième problématique, ce sont les Français sans assurance et particulièrement les jeunes. Chaque semaine, j’ai un drame d’un garçon de 25 ans qui se fait renverser sur un deux roues au fin fond du Vietnam ou d’ailleurs en Asie. Troisième problématique : celle des jeunes entrepreneurs. De plus en plus créent une entreprise, réussissent, mais rencontrent un vrai problème de financement car ils sont à la fois des étrangers dans le pays asiatique donc sans droit d’accès au financement local, et des « étrangers » pour la France donc sans possibilité de bénéficier des financements français. Il faut donc un financement de la BPI, la Banque publique d’investissement, quand il y a un « retour » pour la France. Par exemple, Mixel, une entreprise lyonnaise qui fabrique des agitateurs pour station d’épuration, a monté une filiale en Chine grâce à laquelle son bureau d’études de Lyon crée des emplois en France. Je pense qu’il faut que les entreprises françaises à l’étranger qui bénéficient à la France aient accès au financement français.
Quand on est à l’étranger, il y a 3 choses qu’on sait et que les Français de métropole ne savent pas : on sait combien coûte l’école parce qu’on la paie, combien coûte la protection sociale parce qu’on la paie, et combien coûte sa retraite car on la paie. En France, on ne fait pas l’acte de payer tout cela et on ne s’aperçoit pas que tout cela a un coût.
Vous êtes membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Quel bilan tirez-vous de la politique asiatique de François Hollande ?
Il y a eu une prise de conscience de l’importance de l’ASEAN trop longtemps négligée. La Chine est certes l’acteur majeur mais pas l’acteur unique. Tout en développant les relations avec elle, il convient de ne pas négliger le Japon car plus d’emplois en France sont créés par des entreprises japonaises que par des chinoises. Sans oublier que les choses avancent vite sur l’AEC, la communauté économique de l’ASEAN. La politique asiatique de Hollande, c’était surtout une politique économique. Sur les conflits en mer de Chine, la France suit les décisions et les arbitrage internationaux, ce qui est logique. Sur la Corée du Nord, nous sommes solidaires de nos alliés japonais et sud-coréens. Mais ce qui compte encore en priorité pour la politique étrangère de la France, c’est le bassin méditerranéen et l’est de l’Europe.
Dans les discours, une place a certes été faite pour l’Asie dans la politique étrangère française, mais les moyens n’ont pas suivi : l’écrasante majorité des crédits dont dispose l’Agence française de développement restent toujours consacrés à l’Afrique. Dans la région asiatique, il y a quelques pays avec lesquels nous avons des relations très fortes comme la Malaisie, l’Inde ou la Corée du Sud. En Chine, la France n’est pas un acteur majeur, elle est largement derrière. Prenez aussi toute l’ex-Indochine : on s’aperçoit que le Japon et la Chine y sont beaucoup plus présents que nous. N’oublions pas les pays où nous avons des liens historiques et où les moyens mis par la France sont extrêmement faibles.
Qu’attendez-vous du président Macron pour la France en Asie ? Faut-il coopérer davantage avec la Chine, notamment sur son projet de « Nouvelles Routes de la Soie » ?
Il n’y a pas le choix ! Il y a une impérieuse nécessité de coopérer sur les grands projets dans cette région du monde. En 2015, nous nous sommes faits avoir par les Britanniques sur la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures lancée par les Chinois. La question est de savoir comment et à quel niveau on peut s’engager davantage en Asie. En France, il y a un discours selon lequel les plus fortes croissance se trouvent en Afrique. C’est vrai sur le long terme mais aujourd’hui, bien avant l’Afrique c’est en Asie que cela se passe. Sur la Route de la soie, la France a une carte individuelle à jouer par moment, et pas seulement en passant par l’Europe. Car trop souvent, c’est l’Allemagne qui tire les marrons du feu. La France doit se servir de son siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU pour affirmer son rôle sur la scène internationale. Sinon on disparaît complètement. En ex-Indochine, dans certains pays, nous sommes les seuls à avoir une tradition. En Thaïlande, quand vous discutez avec les élites juridiques, une grande partie d’entre elles a été formée en France. Pendant des années, on a envoyé en France via des bourses des étudiants étrangers qui de retour dans leur pays étaient un investissement pour la France. Aujourd’hui, dans tous les postes en Asie où je passe, je constate que ces crédits ont quasiment disparu ou sont en chute en libre. Ce que j’attends du gouvernement d’Emmanuel Macron, c’est qu’on dépasse le stade de la prise de conscience et qu’on passe aux actes concrets.
Propos recueillis par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).