Environnement
Analyse

Mongolie : l'éducation à l'environnement, question de survie

La "feuille de route" des Ecovengers, groupe d'écoliers pour l'environnement, à l'école internationale d'Oulan-Bator.
La "feuille de route" des Ecovengers, groupe d'écoliers pour l'environnement, à l'école internationale d'Oulan-Bator. (Copyright : Christofer Jauneau)
La Mongolie est un pays au climat difficile et à la nature fragile que le développement moderne compromet. Le pays se transforme rapidement en économie minière et en société de consommation, faisant peser de lourdes menaces sur l’environnement et le bien-être de la population. Comment y faire face ? En préparant l’avenir. C’est tout le sens des initiatives pour la formation des jeunes au développement soutenable qui apparaissent depuis quelques années dans le pays.
La Mongolie profite ainsi du programme ad hoc de l’UNESCO : l’organisation onusienne a lancé en 2005 la « Décennie de l’Education au développement soutenable », afin de soutenir les pays qui en intègrent les principes dans leurs programmes scolaires et même dans toute la société. Le contenu se concentre sur les problèmes majeurs : changement climatique, biodiversité, réduction des risques de catastrophes, eau, diversité culturelle, urbanisation et modes de vie soutenables. En Mongolie, en dehors des programmes officiels, quelques écoles privées s’engagent dans des pratiques plus vertes sous l’impulsion d’enseignants déterminés à ouvrir l’esprit des élèves. Analyse et reportage à Oulan-Bator.

Contexte

La Mongolie connaît une croissance démographique sans précédent (plus de 45% de la population âgée de 0 à 24 ans) qui malmène des ressources naturelles rares et fragiles. Au cœur du problème, la faible capacité de charge du pays – c’est-à-dire le nombre maximum de personnes qu’un écosystème peut faire vivre sur une surface donnée. Cette capacité est ici bien inférieure à celle d’autres pays.

Comparons avec la France : selon la Banque mondiale, l’Hexagone disposait en 2013 de 0,28 hectares/personne de terres arables pour 65 millions d’habitants, alors que sa superficie représente seulement un tiers du territoire mongol. Peuplée de 2,9 millions d’habitants, la Mongolie ne comptait, elle, que 0.2 hectares/personne de terres arables – sachant que le terme arable n’implique pas que la terre soit très fertile. Le pays ne jouissant que de 3 à 4 mois de saison cultivable, doit importer la majorité de sa nourriture, hormis la viande et les produits laitiers.

Quels outils pour améliorer le système académique ?

L’éducation au développement soutenable est un élément essentiel dans la compréhension des enjeux planétaires et la construction de sociétés vertueuses pour les jeunes générations du monde entier. Cela passe par une réforme des systèmes éducatifs. L’UNESCO a fourni des outils d’intégration de l’ESD aux décideurs, aux enseignants et aux étudiants. Différents projets d’ESD ont été menés depuis l’engagement de l’UNESCO.
Par une approche holistique fondée sur la participation communautaire, l’agence gouvernementale allemande pour la coopération technique internationale (GTZ) a lancé un projet en Mongolie entre 2008 et 2010. Il faisait partie du programme « Changement climatique et biodiversité » déjà en cours à ce moment-là et impliquait la population sur trois niveaux : médias, éducation et gouvernance. Cela devait permettre une meilleure prise de conscience de la soutenabilité (ou durabilité) et faciliter la transmission du savoir et les initiatives. Le travail se concentrait sur des sujets sélectionnés par les parties prenantes : pollution de l’air, pollution et raréfaction de l’eau, élimination des déchets solides, forêt (gestion forestière, déboisement illégal et braconnage) et dégradation des pâtures. La partie « éducation » du programme était conjointement portée par le ministère mongol de l’Education et celui de la Culture et de la Science dans 11 écoles (5 en zone rurale et 5 à Oulan-Bator). Le GTZ s’est associé avec l’Université de l’Education (qui forme les enseignants) pour développer des programmes scolaires fondés sur les principes de la soutenabilité, pour tout le pays. Finalement, le nombre d’enseignants utilisant l’ESD en classe est passé de 0% en 2009 à 55% en 2010.

L’ éducation à l’environnement prend de l’ampleur

L’ESD est maintenant incorporée dans les programmes pédagogiques de l’Université de l’Education. Le gouvernement de Mongolie et l’Agence suisse de développement et de coopération (SDC) ont signé un mémorandum d’entente en 2013 pour assurer la pérennité de l’ESD dans les écoles mongoles, du 1er au 12e niveau (de 6 à 18 ans) ainsi que dans les formations des enseignants. Cela devrait bénéficier à 500 000 écoliers et lycéens, et 26 000 instituteurs et professeurs. De plus, la SDC a noué un partenariat avec le ministère mongol de l’Education et des Sciences sur le projet « Lutte contre la désertification » (CODEP) initié en 2008, pour intégrer le problème de la désertification dans les écoles. Le phénomène est de plus en plus inquiétant en Mongolie. En effet, d’après l’Agence nationale de météorologie, d’hydrologie et d’environnement, 35 à 50 tonnes de sol par hectare de surface cultivées ont été perdues rien que par l’érosion éolienne ces 30 dernières années. En cause, les facteurs humains tels que le surpâturage, la déforestation et la mise à nu des sols cultivés.

A la suite du mémorandum d’entente, la SDC a lancé un nouveau projet d’ESD pour 2015-2017, qui inclut le programme international « Eco-schools ». L’ESD est désormais intégrée à la loi de développement vert votée en 2016, qui se veut un cadre général pour « faire avancer le développement de la Mongolie par des moyens soutenables », selon l’assertion officielle. L’ESD n’est pas liée uniquement au système éducatif, elle vise aussi à sensibiliser les entreprises, les communautés et l’ensemble de la société. A travers une approche fondée sur la communauté, le projet donne aux participants des indications sur les principes de soutenabilité, en termes de méthode et de contenu. A ce jour, 468 000 élèves et 25 000 enseignants dans les 628 écoles primaires et secondaires publiques de Mongolie travaillent à l’intégration de l’ESD dans leurs programmes.

De plus, 2 680 enseignants seront formés et habilités à promouvoir l’ESD à travers les 117 Eco-schools déjà existantes. La Mongolie a rejoint le mouvement international de ces « écoles vertes » en 2011. Ce dernier vise à laisser les enfants choisir les thèmes qu’ils souhaitent aborder et leur donner un enseignement pertinent pour qu’ils puissent, avec les adultes qui les suivent, prendre des mesures concrètes quant à la gestion des déchets, l’eau ou l’énergie dans leur école. Le programme Eco-school insiste sur le besoin d’améliorations perpétuelles des réponses apportées aux questions environnementales.

Le charbon, principale source énergétique du pays, a hissé Oulan-Bator au rang des villes les plus polluées.
Le charbon, principale source énergétique du pays, a hissé Oulan-Bator au rang des villes les plus polluées. (Copyright : Christofer Jauneau)

Surcharge écologique

Non chauffée, une serre passive est construite exclusivement en matériaux recyclés. Grâce à sa très bonne isolation, elle permet la culture de légumes quasiment toute l’année, à une température stable. **Créé à Marseille en 1976, au lendemain du premier choc pétrolier, le GERES – Groupe Énergies Renouvelables, Environnement et Solidarités – est une ONG de développement spécialisée dans l’énergie durable et la protection de l’environnement.
Pour faire face aux défis environnementaux en Mongolie, un certain nombre d’ONG travaillent sur des adaptations « agroécologiques ». L’agroécologie est une démarche scientifique attentive aux phénomènes biologiques qui combine développement agricole (lié à l’agronomie) et protection et régénération de l’environnement naturel (liés à l’écologie). Selon Miguel Altieri, professeur à l’Université de Berkley, elle est « la science de la gestion des ressources naturelles au bénéfice des plus démunis confrontés à un environnement défavorable. » Exemple dans l’Ouest mongol : les serres passives* construites par l’ONG française GERES** en Arkhangai permettent d’étendre la période de culture à 8 mois. Mais ce système agricole écologique risque de ne pas suivre l’augmentation de la population, notamment en raison de la disponibilité limitée en eau.

Durant des siècles, les nomades mongols se sont adaptés aux maigres ressources qu’offrait la nature, une raison qui expliquait la faible population du pays. De nos jours, le développement conduit à une interdépendance entre Etats, et la surpopulation mondiale témoigne d’une déconnexion avec la capacité de charge réelle de la Terre. La Mongolie achète des fruits et des légumes de Russie et de Chine, mais la Chine, elle-même surpeuplée, doit importer une partie de sa nourriture, comme d’autre pays. L’accaparement des terres et la production alimentaire mondialisée telle qu’elle existe aujourd’hui mettent en péril des zones naturelles et l’alimentation de ceux à qui les terres sont prises. Ce phénomène est motivé par la consommation mondiale de viande, portée notamment par la Chine, puisqu’un tiers des terres arables de la planète servent à nourrir les animaux d’élevage.

Ainsi, quand un pays, dont les besoins dépassent les ressources, s’approvisionne ailleurs, il délocalise sa « surcharge » écologique. Les facteurs combinés de démographie, de dégradation des sols, de raréfaction de l’eau propre, de modèle agro-économique inconsidéré, de changement climatique ou encore de conflits, rendent ce phénomène mondial, donc non viable. La soutenabilité n’est possible que si le nombre d’humains est compatible avec les besoins des autres formes de vie et ne compromet pas la résilience de la Terre. Bien que peuplée de 3 millions d’habitants seulement, la Mongolie est déjà sévèrement polluée et l’augmentation du nombre ne fait qu’entraver les changements nécessaires. La surpopulation ne représente certes pas une menace imminente dans l’Etat le moins densément peuplé au monde. Mais c’est précisément ce défi pour l’avenir du pays que l’éducation à l’environnement permet aux enfants d’anticiper.

Déchets à proximité d'une source où s'approvisionnent les habitants des quartiers de yourtes d'Oulan-Bator.
Déchets à proximité d'une source où s'approvisionnent les habitants des quartiers de yourtes d'Oulan-Bator. (Copyright : Christofer Jauneau)

Les écoles privées s’y mettent aussi

La directrice de l’Ecole américaine (ASU) nourrit une telle passion pour les plantes que l’école en abrite désormais 600, de 60 espèces différentes. En l’espace de huit ans, elle a également fait planter quelque 160 arbres dans des espaces verts tous clôturés pour éviter le piétinement, et fait construire une serre pour cultiver quelques légumes de façon écologique. Les étudiants ne sont pas invités à travailler dans la serre mais son fonctionnement leur a été expliqué et ils peuvent apprécier à la cantine la qualité des carottes, oignons, salades, ou autres légumes cultivés sur place. Aujourd’hui la plupart du personnel est impliqué et même les étudiants prennent soin des plantes.

L’omniprésence des plantes dans l’école permet d’apprécier l’air frais et pur qu’elles dégagent, par contraste avec l’atmosphère polluée qui règne à l’extérieur. Les plantes ont même un intérêt sécuritaire. Des bacs à fleurs en bois ont été fixés sur les rampes des escaliers pour éviter que les enfants ne sautent par-dessus. Chaque année est organisée une vente publique de graines issues des plantes de l’école. De nombreux élèves se portent volontaires pour assurer cette journée. L’ASU est l’un des rares bâtiments à Oulan-Bator qui collecte l’eau de pluie, pour l’irrigation. Au vu de la sécheresse du climat mongol, il semble curieux que la collecte de l’eau de pluie soit si peu répandue. Bien que ces initiatives ne fassent pas partie du programme des élèves, elles leur permettent de mieux apprécier la nature et d’appréhender ce que peut être un mode de vie soutenable.

L’Ecole internationale (ISU) se pose en concurrent solide dans la course vers un monde naturel. Tout a commencé avec les Ecovengers. Ce groupe d’enfants a été constitué à l’initiative d’une enseignante qui souhaitait rendre l’école et les esprits des écoliers plus écologiques. L’objectif premier était la culture et la vente de plantes. L’aspect pédagogique a été central dès le début de l’aventure pour que les enfants comprennent la nature. Les Ecovengers se sont rapidement développés jusqu’à organiser l’événement annuel « Run for water » (« courir pour l’eau »), qui sert à financer des opérations de nettoyage dans les cours d’eau. Ces derniers sont sévèrement pollués par les déchets ménagers, dont une partie est ramassée à l’occasion des nettoyages, mais aussi, et de façon plus insidieuse, par l’industrie minière qui y déverse notamment des métaux lourds. La rivière Tuul, qui traverse la capitale, finit dans le lac Baïkal, réputé pour sa pureté…

Chaulage et irrigation, l'école américaine d'Oulan-Bator (ASU) prend soin de ses arbres.
Chaulage et irrigation, l'école américaine d'Oulan-Bator (ASU) prend soin de ses arbres. (Copyright : Christofer Jauneau)
Un amendement est un matériau apporté à un sol pour améliorer sa qualité agricole. Les amendements sont donc utilisés en agriculture et pour le jardinage pour améliorer les terres et les rendre plus productives. L’un des amendements les plus connus est la chaux, utilisée pour réduire l’acidité des sols.
A l’école internationale, les Ecovengers travaillent également à la réduction et au recyclage des déchets de l’école. L’ISU est pionnière en la matière puisqu’il n’existe pas de collecte séparée à Oulan-Bator. C’est donc un recycleur privé sous contrat qui collecte sur place. Les gobelets jetables ont été bannis, l’utilisation du papier est parcimonieuse et les enfants sont formés à la lutte contre le gaspillage et le respect de la nature. A leur tour, ils dispensent ces conseils à leurs parents. Par ailleurs, l’ISU prévoit de faire fabriquer un composteur par les élèves. Il permettra à l’école de recycler les déchets alimentaires et quelques déchets verts. Les avantages sont multiples : des poubelles plus propres, de l’amendement* gratuit pour les plantes et une biodiversité plus riche dans le sol.
Par Christofer Jauneau, à Oulan-Bator

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A propos de l'auteur
Passionné de nature, Christofer Jauneau travaille avec des ONG en Mongolie dans le domaine de la préservation des sols et de l'éducation à l'environnement. Il tente de comprendre le rapport à la terre qu'entretiennent les habitants de ce pays vaste et peu peuplé.