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Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

Quitter Taïwan ? (2/3) Les études à l’étranger plus populaires que jamais

Salon européen de l'éducation, à Taipei, les 14 et 15 octobre 2017.
Salon européen de l'éducation, à Taipei, les 14 et 15 octobre 2017. (Crédits : Grace Wu / Bureau français de Taipei).
A Taïwan, les jeunes – comme nombre de leurs pairs dans le monde – mettent en place des stratégies afin de préparer une possible expatriation. Alors que le pays s’inquiète d’une « fuite des cerveaux », doit-on vraiment s’alarmer de la hausse du nombre des jeunes partis étudier à l’étranger ?
Ce 14 octobre 2017, la pluie qui tombe sans interruption n’a pas découragé les dizaines de jeunes Taïwanais qui, parfois accompagnés de leurs parents, patientent devant un bâtiment du Parc des expositions de Taipei pour accéder au Salon européen de l’éducation, rendez-vous annuel où une centaine d’établissements d’enseignement supérieur européens viennent à la rencontre de futurs inscrits.
Jamais autant de jeunes Taïwanais n’ont étudié outre-mer. En 2016, selon le ministère taïwanais de l’Education, ils étaient près de 40 000 à séjourner à l’étranger avec un visa étudiant, et environ 18 000 autres à effectuer un échange ou à suivre une formation supérieure courte sans visa étudiant. A cet ensemble, il faut ajouter plus de 10 000 étudiants inscrits dans des universités en Chine continentale et plusieurs centaines à Hongkong et Macao (dans les statistiques taïwanaises, subtilités constitutionnelles et légales obligent, la Chine continentale, Hongkong et Macao ne sont pas considérés comme des territoires étrangers, tout en n’étant pas non plus inclus dans le territoire contrôlé par la République de Chine, le nom officiel de Taïwan).
Ce sont ainsi vraisemblablement plus de 50 000 jeunes Taïwanais qui poursuivent aujourd’hui des études supérieures longues sous d’autres cieux, dont environ 20% de l’autre côté du détroit. Et près de 20 000 autres qui effectuent aussi une partie de leur cursus outre-mer.
Salon européen de l'éducation, à Taipei, les 14 et 15 octobre 2017.
Salon européen de l'éducation, à Taipei, les 14 et 15 octobre 2017. (Crédit : Grace Wu / Bureau français de Taipei).
Force est de constater qu’à Taïwan, étudier à l’étranger n’a rien d’étrange. Il s’agit d’une tradition bien établie, au moins au sein des couches supérieures de la population. Déjà, au milieu des années 1920, alors que l’île était une colonie japonaise et que les premières universités y ouvraient tout juste leurs portes (au profit avant tout des étudiants japonais résidant sur place), on comptait, selon divers chercheurs, environ 2 400 Taïwanais partis étudier dans la métropole (le Japon), d’autres optant pour la Chine, voire les Etats-Unis ou l’Europe. Certains peuplèrent ainsi jusqu’aux écoles d’art parisiennes.
Après-guerre, l’élite dirigeante arrivée de Chine continentale dans le sillage du Kuomintang et de Chiang Kai-shek (蔣介石) vint grossir les rangs (et s’emparer des postes) des universités taïwanaises et de celles bientôt réimplantées dans l’île depuis le continent. Mais, presque aussitôt, un nouveau mouvement de départ vit le jour, à destination cette fois principalement des Etats-Unis. Les Etats-Unis étaient déjà avant-guerre la destination privilégiée des enfants des riches Chinois, et ils faisaient désormais figure de protecteur du régime. C’est aussi en Amérique du Nord que partirent étudier dans les années 60 et 70 un nombre croissant de Taïwanais dits « de souche », les Etats-Unis et le Canada abritant notamment ceux ayant maille à partir avec le régime dictatorial en place à Taipei. En Europe, Londres et ses prestigieuses universités ont aussi eu très tôt les faveurs de l’élite taïwanaise.
Toutefois, en raison des restrictions sur les déplacements à l’étranger imposées par la loi martiale jusqu’en 1987, seule une minorité des 300 000 à 450 000 étudiants que comptait alors le pays pouvait accéder à la voie royale des études à l’étranger : ils n’étaient qu’un peu plus de 7 000 à la levée de la loi martiale, dont près de 90% aux Etats-Unis. Pas question non plus à l’époque de mettre un pied en Chine continentale, une destination qui ne sera véritablement autorisée qu’à partir du début des années 90.
En 1998, onze ans après la levée de la loi martiale, les études outre-mer s’étaient déjà quelque peu démocratisées : il y avait à l’époque 916 000 étudiants à Taïwan, et environ 30 000 avaient obtenu un visa étudiant, dont environ 3 500 en Chine continentale. Ils étaient 43 000 en 2006, dont environ 6 000 en Chine continentale (pour 1,3 million d’étudiants à l’époque). Ce total a ensuite stagné, voire diminué jusqu’en 2012, avant de repartir de plus belle à la hausse. Ces cinq dernières années, le nombre des Taïwanais étudiant outre-mer a ainsi crû d’un tiers, alors même que Taïwan, sous l’effet de la baisse de la natalité, perdait plus de 40 000 étudiants au total. En 2016, Taïwan comptait ainsi un peu plus de 1,3 million d’étudiants du supérieur, soit peu ou prou un retour au niveau de 2006, et ce malgré une hausse spectaculaire du nombre d’étudiants étrangers venus peupler les universités locales.
Ce mouvement en ciseaux, entre baisse du nombre total d’étudiants à Taïwan et hausse de ceux partis outre-mer, explique sans doute l’inquiétude souvent relayée par la presse locale, sur le thème de la « fuite des cerveaux ». Qui plus est, la tendance est à un départ de plus en plus précoce. Ainsi, le nombre de jeunes Taïwanais rejoignant directement une université outre-mer après le lycée reste certes modeste (près de 1 500 départs en 2016) mais a augmenté de 75% en cinq ans.
Salon européen de l'éducation, à Taipei, les 14 et 15 octobre 2017.
Salon européen de l'éducation, à Taipei, les 14 et 15 octobre 2017. (Crédit : Grace Wu / Bureau français de Taipei).
Interrogé dans le cadre d’une enquête publiée en août 2017 par le magazine taïwanais Commonwealth, Jessy Kang (康仕仲), le vice-président de l’Université nationale de Taïwan, la plus prestigieuse du pays, relativise. Il explique que désormais, dans le monde entier, les parcours des étudiants franchissent volontiers les frontières nationales. Autrement dit, le phénomène de mobilité étudiante n’est pas propre au pays.
Cette mobilité étudiante a d’ailleurs été encouragée par les gouvernements successifs qui y ont généralement vu un moyen pour les jeunes Taïwanais d’élargir leurs horizons, de s’insérer dans les réseaux internationaux de chercheurs, et d’apporter à leur retour une vision plus internationale aux entreprises locales, voire de renforcer les liens avec la Chine continentale dans le cas spécifique des échanges trans-détroit. Aujourd’hui, les Etats-Unis restent la destination d’étude préférée des jeunes Taïwanais, mais l’Australie, Singapour et l’Europe (y compris l’Allemagne et la France), ont vu leur population d’étudiants taïwanais progresser.
La venue à Taïwan d’étudiants étrangers (ou chinois) est elle aussi encouragée par le gouvernement. Le pays accueillait ainsi en 2016 plus de 50 000 étudiants étrangers préparant un diplôme (soit un total de 116 000 étudiants étrangers, une fois pris en compte ceux venus pour un court séjour linguistique ou d’échange). C’est dix fois plus qu’il y a 20 ans, et ce chiffre est aujourd’hui globalement comparable à celui des Taïwanais étudiant outre-mer, même s’il recouvre des profils d’étudiants différents.
Depuis 2016, la « nouvelle politique en direction du Sud » lancée par la présidente Tsai Ing-wen (蔡英文) et qui vise à stimuler les échanges avec les Etats d’Asie du Sud et du Sud-Est, renforce cette tendance en incitant les jeunes de ces pays à étudier à Taïwan, bourses à l’appui. Il faut dire que le recrutement d’étudiants étrangers (et chinois) est devenu crucial pour la survie de certains établissements d’enseignement supérieur taïwanais, frappés de plein fouet par la baisse de la natalité alors même que le nombre d’universités a explosé dans les années 1990 et 2000.
Finalement, selon le magazine Commonwealth, ce n’est pas tant du nombre de départs qu’il faut s’inquiéter, mais plutôt de leur caractère éventuellement définitif. Autrefois, étudier à l’étranger était la promesse d’une carrière respectable une fois de retour au pays. Cela est-il encore le cas ?

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.