Société
Témoin – Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

Quitter Taïwan ? (1) S’y prendre tôt

Un jeune couple regarde un avion atterrir à l'aéroport de Taipeï le 12 juillet 2006.
Un jeune couple regarde un avion atterrir à l'aéroport de Taipeï le 12 juillet 2006. (Crédit : EyePress News / EyePress / AFP).
Sur fond de discours sur la « fuite des cerveaux », qu’en est-il des velléités des jeunes Taïwanais de quitter leur pays ?
Premier volet, avec l’histoire d’un pari (américain) sur l’avenir.
En ce mois d’avril 2016, l’appartement neuf que viennent d’acheter James et Stella dans un quartier prisé de Xinzhuang, à New Taipeï, est encore vide. La résidence dans laquelle il est situé porte le nom dune grande ville étrangère, et les quelques familles qui y ont déjà emménagé peuvent apprécier son luxueux lobby, sa piscine extérieure et sa salle de gym. Pour tous ceux qui, comme James et Stella, n’ont pas encore achevé l’aménagement de leur futur logement, la propriété offre chaque weekend un service de petit-déjeuner dans une salle de réception située au sous-sol de l’immeuble.
Ce jour-là, Stella a invité un membre de sa famille à visiter les lieux, histoire d’obtenir un dernier avis avant de passer commande à l’architecte d’intérieur. C’est que tout doit être prêt pour le début du mois de septembre, période prévue pour la naissance de leur premier bébé. « L’appartement n’est pas très grand mais nous ne pouvions pas investir davantage », dit James. Le prix payé par les jeunes mariés pour ce petit F3 est équivalent à ceux pratiqués dans la petite couronne parisienne, un effort hors de portée de la plupart des jeunes Taïwanais mais que James, ingénieur dans une grande entreprise du technopôle de Hsinchu, et Stella, employée de bureau à Taipeï, sont en mesure de réaliser en mobilisant leurs familles respectives.
De la fenêtre, on aperçoit une école élémentaire : théoriquement très pratique pour les futurs parents, mais ceux-ci comptent en fait scolariser leur enfant, dès son plus jeune âge, dans un établissement réputé de Taipeï (New Taipeï, où va habiter le couple, est la municipalité qui entoure la capitale, Taipeï, et unifie sa proche banlieue). Mais un choix plus immédiat que celui de l’école de leur futur bambin attend James et Stella : celui du lieu de l’accouchement.
« Parmi ceux de mes collègues qui ont eu des enfants, explique James, l’accouchement a presque toujours eu lieu aux États-Unis. Comme ça, les enfants peuvent obtenir la nationalité américaine. » Selon lui, cette pratique, généralisée au sein de son groupe professionnel, permet en outre d’anticiper une éventuelle évolution de carrière passant par les États-Unis. « L’école sera gratuite sur place pour notre enfant et nous pourrons obtenir nous aussi la nationalité américaine », dit-il, répétant un argument souvent entendu mais dont des avocats experts en droit de la nationalité contestent le bien-fondé.
Quelques semaines plus tard, la décision est prise. Fin juillet, Stella prend l’avion pour les États-Unis et passe la douane sans attirer l’attention sur son état. Sur place, tout est prévu : c’est un médecin d’origine taïwanaise qui supervisera l’accouchement et, en attendant le terme, Stella réside dans une pension de famille. Dépourvue de moyen de locomotion, elle trouve le temps long. James la rejoint juste avant la date prévue et reste sur place une semaine. Quelque temps plus tard, la maman et son bébé sont de retour à Taïwan, dans l’appartement désormais fin prêt.
Sans compter les billets d’avion, il aura fallu au couple débourser environ 300 000 dollars taïwanais (soit environ 8 500 euros) pour cette naissance américaine. En cas de césarienne pratiquée en urgence lors d’un voyage à l’étranger, l’assurance-santé nationale taïwanaise couvre les frais, une disposition dont profitent souvent les femmes s’engageant dans ce « tourisme maternel ». Selon une enquête du China Post publiée en 2016, 400 demandes de remboursement de ce type sont enregistrées chaque année, mais le nombre des naissances ainsi organisées est sans doute plus élevé.
L’aventure n’est pas sans risque. Il y a deux ans, une Taïwanaise a ainsi accouché à bord d’un vol de la compagnie nationale taïwanaise China Airlines, obligeant l’appareil à détourner sa route vers l’Alaska. Séparée un temps de son enfant, la mère a dû en outre verser une compensation financière au transporteur aérien.
Quoi qu’il en soit, l’obtention d’un passeport américain pour son enfant – et, espère-t-on, à terme pour le reste de la famille – reste une puissante motivation pour certains jeunes couples taïwanais disposant d’une situation professionnelle confortable. L’investissement est à long terme et, s’il est justifié par la volonté de « donner le meilleur à son enfant », il implique aussi les jeunes parents : si l’on doit un jour partir, autant mettre tous les atouts de son côté.
Tous les prénoms ont été modifiés

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.