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Pakistan : retour dans l'oeil du cyclone

Défilé des gardes du premier ministre pakistanais lors de la visite du Secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson, le 24 octobre 2017.
Défilé des gardes du Premier ministre pakistanais lors de la visite du Secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson, le 24 octobre 2017. (Crédits : AFP PHOTO / POOL / Alex Brandon).
Comme trop souvent, la République Islamique du Pakistan revient cet automne sur le devant de la scène régionale. Entre crise politique et énième tragédie humaine (avec 22 attentats meurtriers comptabilisés en août et septembre 2017 pour un lourd bilan de 900 victimes – dont plus de 400 civils et 113 personnels de sécurité – et environ 1100 blessés), tension préoccupante avec son voisin indien sur le flanc est et ingérence dénoncée par le régime afghan à l’ouest ; entre avertissements sans frais de la Maison Blanche et consolidation du partenariat avec Pékin, le Pakistan se dévoile d’une manière peu flatteuse et sur la défensive.

En l’espèce, il s’agit moins de se montrer surpris que de déplorer la récurrence de cet état de fait. Rien qui toutefois ne paraisse de nature à ébranler plus que de coutume cet acteur atomique résilient et ambigüe d’Asie méridionale, au cours tout sauf serein.

Otages occidentaux libérés ; Islamabad non-dédouanée

*Alors même qu’ils « randonnaient »…
Certes, début octobre, les autorités et les forces de sécurité pakistanaises avaient a priori fait montre d’une certaine « bonne volonté ». La Pakistan Army semblait ainsi vouloir donner quelques gages (attendus de longue date) de son implication dans les opérations anti-terroristes et contre-insurrectionnelles dans l’espace territorial relevant de sa souveraineté ; en entreprenant notamment de libérer, avec succès, une famille de ressortissants américano-canadiens – kidnappée par les talibans en Afghanistan en 2012* – repérée récemment par les services de renseignement américains dans une vallée reculée du nord-ouest pakistanais (à proximité de la frontière afghane).
*Les fameux Navy SEAL Team 6, ceux-là même qui six ans plus tôt (le 2 mai 2011) étaient intervenus dans la banlieue d’Islamabad (localité d’Abbottabad) pour neutraliser définitivement, lors de l’opération Neptune’s Spear, le fondateur de la nébuleuse terroriste Al-Qaïda, Oussama Ben Laden. Le tout à quelques centaines de mètres à peine de la plus prestigieuse académie militaire du pays.
Quelques jours après ce fait d’armes salué par la presse internationale, les satisfecit et les bravos se font pourtant plus discrets. Le 17 octobre, l’édition du New York Times laissait par exemple entendre que les troupes d’élite américaines* étaient sur le point de passer – elles-mêmes et seules – à l’action pour libérer les otages américano-canadiens, alors aux mains des hommes du réseau Haqqani – une des branches les plus redoutées des talibans afghans, que l’on dit en très bons termes avec certains services de renseignements pakistanais… De même, le 19 octobre, le chef de la CIA déclarait de son côté que, contrairement aux allégations des autorités pakistanaises, les otages auraient passé leurs cinq dernières années de captivité dans ces contrées hostiles pakistanaises… Pour rappel, on reproche peu ou prou au pouvoir pakistanais d’avoir abrité sur son territoire Oussama Ben Laden lors de ses dernières années d’exil.

Nawaz Sharif, les ennuis continuent

Un trimestre après avoir dû précipitamment quitter ses fonctions de chef de gouvernement avant le terme de son mandat – pour la 3ème fois en un quart de siècle – pour présomption de corruption, l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif (Pakistan Muslim League) a finalement été condamné par la justice de son pays le 19 octobre – au même titre que sa fille Maryam et son gendre – pour faits de corruption et dissimulation de patrimoine.
*précisément depuis Londres, où il se trouve au chevet de sa femme hospitalisée.
L’homme fort du Punjab figure désormais parmi les victimes de « marque » des révélations des Panama Papers. Cet homme politique et businessman prospère, habitué des hauts et familier des bas du tortueux paysage politico-militaire pakistanais, laisse entendre depuis l’étranger* faire à nouveau les frais d’un désamour avec l’armée. Au passage, cet ancien favori de l’omnipotente caste des généraux dénonce une justice non-indépendante et aux ordres.
Rien qui a priori ne l’effraie pourtant. Le « lion du Punjab » annonce même son retour au pays dès le 23 octobre pour se présenter à la justice. Soit, une démarche bien téméraire pour celui qui en d’autres temps fût contraint à l’exil en Arabie Saoudite (entre 2000 et 2007) par les hommes en uniformes.

L’Afghanistan, ce faux pré-carré du « pays des purs »

*L’ancien journaliste O.K. Khorasani, un des membres fondateurs du Tehreek-i-Taliban Pakistan – TTP -, les talibans pakistanais.
Le 20 octobre 2017, la presse régionale annonçait la mort en terre afghane du dirigeant* d’une faction talibane pakistanaise (la Jamaat-ul-Ahrar, une structure islamo-terroriste ayant prêté allégeance à l’Etat islamique en 2014, avant de se rapprocher des talibans pakistanais alliés à Al-Qaïda un an plus tard) impliquée dans une litanie d’attentats meurtriers. Ces derniers ont été perpétrés de Lahore (capitale de la province du Punjab au lourd bilan de 70 morts, Chrétiens pour la plupart, lors d’une célébration de Pâques au printemps 2016) à Quetta (capitale du Baloutchistan, contre un hôpital le 8 août 2016 pour 74 victimes) jusqu’à un décès consécutif à une frappe de drone américain dans la province orientale afghane de Paktia (à la périphérie de la frontière avec le Pakistan).
*Au Pakistan, 15% de la population appartient au groupe ethnique pachtoune ; en Afghanistan, ce pourcentage est compris selon les sources entre 45 et 60% de la population totale. **Lors de la période d’occupation soviétique entre 1979 et 1989 ; aux côtés des USA et de l’OTAN depuis le renversement du régime taliban à l’automne 2001.
Nonobstant quelques postulats de base bien fragiles, le fait de partager 2670 kilomètres de frontières terrestres et une composante ethnique commune*, d’avoir directement prêté concours à deux reprises** ces quatre dernières décennies à la résolution des problèmes domestiques afghans, ne donnent aucun droit à Islamabad (à ses services de renseignements notamment) de s’ingérer dans les affaires intérieures de son fragile voisin de l’ouest.

Les autorités de Kaboul, les 32 millions d’Afghans, ne cessent de le rappeler à Islamabad, sourde si ce n’est autiste quand cette désagréable thématique lui est opposée.

Avertissement(s) sans frais de Washington

Le 18 octobre, la très énergique représentante des Etats-Unis à l’ONU, Madame Nikki Haley, confirmait que l’Amérique sollicitait l’aide de l’Inde (au niveau économique et du développement) – non pas celle du Pakistan, loin de là – au chevet du moribond patient afghan, ajoutant que la patrie de feu le Mahatma Gandhi pourrait aider les Etats-unis à « garder un œil » sur le Pakistan. Des propos libres de toute ambiguïté s’inscrivant dans la lignée de ceux dispensés sans plus de diplomatie ni manières deux mois plus tôt par le Président américain Donald Trump, qui déclarait alors : « Nous ne pouvons plus demeurer silencieux sur le fait que le Pakistan abrite des organisations terroristes. Nous accordons (au Pakistan) des milliards et des milliards de dollars alors même que ce pays accueille des terroristes que nous combattons (en Afghanistan). Cela va devoir changer ; et changer immédiatement ».

A bon entendeur…

L’axe Islamabad – Pékin, nouvelle pierre angulaire des ambitions pakistanaises

*A l’image des 46 milliards de dollars consentis dans la réalisation du China Pakistan Economic Corridor (CPEC), partie intégrante de l’ambitieux projet de Nouvelles routes de la soie (One Belt One Road) cher au Président chinois Xi Jinping.
Si les autorités de la défiante République Islamique du Pakistan se permettent de bomber le torse et de jouer les offusquées face aux virulentes sorties récentes de Washington, c’est moins par souci de faire bonne mesure devant leurs 205 millions d’administrés (soit la 6ème population mondiale) que parce qu’elles se sentent aujourd’hui moins dépendantes de leurs relations – fluctuant sans cesse entre la proximité et la rupture – avec les Etats-Unis.

Cela notamment au regard de la consolidation ces dernières décennies, sans à coup ni (mauvaise) surprise, des rapports avec l’allié stratégique chinois, qui est aujourd’hui – et de très loin – le 1er investisseur* et le 1er partenaire commercial (peu ou prou 20% du total des échanges).

Deux ans après la visite au Pakistan du chef de l’Etat chinois, l’ambassadeur de Pékin à Islamabad résumait fin septembre : « Le lien entre la Chine et le Pakistan constitue un modèle de relations interétatiques (…). Peu importe le passé, le présent ou le futur, la Chine et le Pakistan seront toujours bons voisins, amis, partenaires et frères ». Des propos qui, intervenant dans la foulée des déclarations plus brutes de forme de la Maison Blanche, ont dû réconforter. Un mois plus tôt, le très influent chef des armées pakistanaises déclarait pour sa part, lors d’une allocution à l’ambassade chinoise, sur une note très proche : « Cette relation très enviable n’a aucun parallèle dans le monde ».

Que d’allant et d’émouvantes déclarations amoureuses…

Pakistan – Inde, la plaie sans fin ni mesures

*Parmi lesquels les questions relatives à la souveraineté du Cachemire, à l’agitation séparatiste au Jammu et Cachemire indien (J&K), aux infiltrations de militants pakistanais au J&K, aux incidents armés de part et d’autre de la line of control séparant les parties indienne et pakistanaise du Cachemire ; et on en passe…
A l’automne 2017, on ne saurait en dire autant des rapports entre Islamabad et New Delhi, plus en phase avec les profondeurs abyssales océaniques qu’avec les sommets himalayens. Hypothéquée par une kyrielle de différends plus insolubles les uns que les autres*, la « non-relation indo-pakistanaise » leste la stabilité du sous-continent et prive plusieurs centaines de millions d’individus de conditions propices au développement économique.

Bien sûr, dans les deux capitales, rejeter la faute sur la voisine est un exercice aussi aisé que familier : « Nous avons exprimé et manifesté notre souhait sincère d’avoir des relations normales et pacifiques avec l’Inde ; cependant, il faut être deux pour danser le tango » déclarait le 11 octobre le patron de la Pakistan Army, le général Q. J. Bajwa.

Dans un contexte bilatéral à l’évidence plus indo-compatible, le Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson était attendu en Asie du sud mardi 24 octobre, avec une courte escale programmée à New Delhi et à Islamabad. Or, une de ses récentes interventions au sujet du turbulent partenaire pakistanais avaient été notée pour sa dureté : « Nous attendons du Pakistan qu’il adopte des mesures décisives à l’endroit des groupes terroristes présents sur son sol, menaçant et la population pakistanaise, et plus largement la région » (New York Times, 18 octobre 2017).
Gageons sans grand risque de nous tromper que ce déplacement peinera à rétablir un semblant de sérénité au pays des purs – malgré le lobbying de la presse locale ces derniers jours (comme dans le quotidien pakistanais Dawn les 20 et 23 octobre dernier) -, moins encore à convaincre les dirigeants (à commencer par les militaires) de la seconde nation la plus peuplée du sous-continent indien d’adopter une trame régionale constructive, moins belliqueuse et plus apaisée.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.