Politique
Vues de Mongolie

Mongolie : raisons et dangers de l'instabilité politique

Le nouveau président mongol Khaltmaa Battulga, le soirée de son élection, à Oulan Bator, le 8 juillet 2017. (Crédits : AFP PHOTO / BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR)
Le nouveau président mongol Khaltmaa Battulga, le soirée de son élection, à Oulan Bator, le 8 juillet 2017. (Crédits : AFP PHOTO / BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR)
Deux mois. C’est le temps qu’aura tenu le gouvernement de Jargaltulga Erdenebat après la défaite de son Parti du Peuple Mongol (PPM) à l’élection présidentielle du 8 juillet dernier. Confronté à une économie encore fragile et à des accusations de corruption de plus en plus pressantes, le Premier ministre a été destitué par son propre parti le 7 septembre. Charge maintenant aux instances du PPM de former un nouveau gouvernement apte à répondre aux nombreux défis qui se présentent.
Établie en 1990, la jeune démocratie mongole, a connu un été pour le moins mouvementé. En effet, après la victoire écrasante du PPM aux élections législatives de 2016 (65 sièges sur 76), le candidat désigné par le parti semblait jouir d’une conjoncture favorable en vue de la présidentielle de juillet. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Menée par des candidats hauts en couleurs, la campagne est devenue incontrôlable.
Parmi les trois principaux candidats en lice, aucun n’a été épargné par les affaires de malversations. Pour commencer, le candidat du PPM, Miyeegombyn Enkhbold, a été soupçonné de corruption active dans une affaire qui aurait impliqué un remaniement gouvernemental négocié à hauteur de 60 milliards de tugriks (20,5 millions d’euros) en 2014, vidéo à l’appui. De son côté, Khaltmaagiyn Battulga, candidat du Parti Démocrate (PD), principal parti d’opposition, et ancien judoka professionnel, s’est trouvé accusé par ses détracteurs de détenir des comptes off-shore non déclarés. Quant à l’outsider de ce scrutin, le populiste Sainkhüügiin Ganbaatar, une autre vidéo a été diffusée, dans laquelle on le voit recevoir de l’argent de la part d’un groupe chrétien coréen, considéré par certains comme une secte. Pour la plupart des observateurs locaux, ce fut la pire campagne électorale depuis la mise en place de la démocratie dans le pays. Ce climat de suspicion généralisée a d’ailleurs eu un effet certain sur le taux d’abstention qui a atteint 32% au premier tour, alors même que la Mongolie a déjà enregistré jusqu’à 90% de participation.
La surprise est arrivée dès le second tour. Pour la première fois depuis 1990, aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue au premier tour. Le favori, Enkhbold, ne s’est même qualifié qu’avec 0,1% d’avance sur Ganbaatar, dont le score élevé a surpris. Plus encore, cet écart minime (1 849 voix) a été contesté, Ganbaatar pointant notamment du doigt les conditions de vote dans la province occidentale de Bayan Olgii. Malgré l’appel au vote blanc lancé par les partisans du candidat éliminé afin de faire invalider l’élection (en Mongolie, il faut 50% des suffrages exprimés pour être élu), Battulga a finalement emporté le second tour avec 50,61% des suffrages exprimés, ouvrant ainsi la voie à une cohabitation. En cause, de nouvelles dénonciations qui aient contribué à faire passer le PPM pour le parti le plus corrompu parmi les deux restants. Ce qui explique en partie la défaite d’Enkhbold.
Cependant, il faut nuancer. Dans le système politique mongol, c’est le Premier ministre qui dirige la politique du gouvernement et de la nation, le président ayant surtout un rôle de représentation de l’État. Ainsi, malgré la défaite, le PPM est resté aux commandes du pays même si la pression populaire croissante a clairement mis le parti en difficulté ces derniers mois. En effet, deux nouvelles affaires de corruption, concernant cette fois le gouvernement du Premier ministre Jargaltulga Erdenebat, ont émergé depuis. La première fait état de conflits d’intérêts lors de la signature de contrats publics pour la construction de routes et d’infrastructures minières. De fait, les entreprises ayant obtenu ces contrats sont liées financièrement à des membres du gouvernement, et même indirectement a Jargaltulga lui-même. Le Premier ministre est par ailleurs personnellement mis en cause dans la seconde affaire : entre les deux tours de la présidentielle, il aurait acheté des voix en faveur de Enkhbold pour plusieurs millions d’euros.
Dans ces circonstances, une partie des élus de la majorité a signé fin août une pétition demandant la démission du gouvernement en place. Cette procédure a finalement abouti à un vote de défiance le 7 septembre, au cours duquel 42 des 76 parlementaires, 33 membres du PPM auxquels se sont joints 9 élus d’opposition, ont voté pour la destitution. Mais cette manœuvre, dont le but invoqué était de « nettoyer » le gouvernement, peut aussi être interprétée comme une sanction politique contre les dirigeants du pays, désignés responsables de la défaite du parti à la présidentielle de juillet.
En effet, parmi les raisons souvent évoquées de cette déroute, figure en bonne place le rejet par une partie de la population de la politique économique du gouvernement. Après deux années très difficiles pour l’économie du pays, le PIB mongol a pourtant repris une trajectoire ascendante ces derniers mois, avec plus de 4,2% de croissance annuelle. Néanmoins, cette reprise fragile est liée davantage à une hausse du prix des minerais à l’export qu’à de réels gains de productivité. En outre, les récentes mesures d’austérité consenties par le gouvernement (report de l’âge de départ à la retraite et réduction des allocations familiales notamment) afin d’obtenir une aide financière de 5,5 milliards de dollars de la part du FMI ont été particulièrement impopulaires.
Si l’alternance et l’indignation pour les affaires de corruption sont le signe d’une démocratie saine, il faut tout de même noter que la Mongolie a connu treize gouvernements en vingt-cinq ans. À plus long terme, c’est la stabilité de son système politique qui est menacée. Or, pour une nation confrontée à de tels défis de développement, une certaine cohérence stratégique doit être maintenue, ne serait-ce que pour attirer les investisseurs étrangers. Ainsi, le FMI en particulier a décidé de reporter les discussions sur le prêt accordé au pays en attendant que soient nommés de nouveaux interlocuteurs gouvernementaux. Si l’accord de prêt ne semble pas devoir être remis en cause, les signaux envoyés aux autres investisseurs, privés notamment, sont indéniablement négatifs. En outre, le recul de la participation aux élections ainsi que la proportion élevée de votes blancs et nuls semblent clairement indiquer une crise démocratique, dans un pays jusqu’alors considéré comme un exemple dans la région.
Aujourd’hui, depuis le vote du 7 septembre qui a provoqué sa chute, le gouvernement de M. Erdenebat n’est plus responsable que des affaires courantes. Il reviendra donc à son successeur, qui devra être désigné avant le 6 octobre prochain, d’engager les mesures qui s’imposent pour rétablir la crédibilité du pays, aussi bien sur le plan économique que politique.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Antoine Moisson est étudiant en master International Economic Policy à Sciences Po Paris. Il est actuellement en stage au sein du Economic Policy and Competitiveness Research Center, un think tank d'économie basé à Oulan Bator, en Mongolie. Il a également passé une année d'échange à la National Taiwan Univeristy et se spécialise, au cours de ses études , dans l'économie internationale, notamment en Asie.