Société
Entretien

Taïwan : Yu Mei-nu, la députée au combat pour les droits LGBT

Des militants LGBT en liesse deviant le parlement à Taipei le 24 mai 24 2017, après la décision de la Cour constitutionnel autorisant la légalisation du mariage gay. (Crédits : AFP PHOTO / SAM YEH)
Des militants LGBT en liesse deviant le parlement à Taipei le 24 mai 24 2017, après la décision de la Cour constitutionnel autorisant la légalisation du mariage gay. (Crédits : AFP PHOTO / SAM YEH)
C’est désormais une certitude. Fruit de 5 ans de lutte au sein du Yuan législatif, l’assemblée législative à Taïwan, la République de Chine (nom officiel de l’île) s’apprête à devenir le premier pays asiatique à légaliser le mariage des couples du même sexe. Une occasion pour Asialyst de s’intéresser à l’initiatrice de la première proposition de loi en faveur du mariage pour tous : Yu Mei-nu (尤美女), députée du parti démocrate-progressiste (DPP), majoritaire à Taïwan depuis l’élection de Tsai Ying-wen en janvier 2016. Ancienne avocate des droits de l’Homme, Yu s’est engagée en politique lorsqu’elle fut élue députée en 2012. Militante pour les droits des femmes depuis 30 ans, elle considère qu’un combat similaire attend la communauté LGBT et que le temps est amplement venu d’organiser la protection de leurs droits, avec la loi sur la légalisation du mariage pour tous comme point de départ. Entretien.

Contexte

Le 24 mai dernier, la Cour constitutionnelle taïwanaise s’est positionnée en faveur du mariage pour tous. Le jugement admet que l’article 972 du Code civil, stipulant qu’un contrat de mariage s’opère entre un homme et une femme, est « inconstitutionnel », et que le Yuan législatif dispose de deux ans pour légiférer. S’il n’y parvient pas, les mariages homosexuels pourront automatiquement être inscrits au registre d’état civil. Avec la reprise des travaux parlementaires en septembre, une loi encadrant l’union des couples du même sexe apparaîtra très probablement dans le Code civil taïwanais. L’affaire n’est pas pour autant exempte de tergiversations juridiques : plusieurs députés veulent directement modifier le Code civil, tandis que d’autres aimeraient simplement ajouter un article encadrant l’union des couples du même sexe. Pour Yu Mei-nu, ce débat qui semble porter sur de simples détails, repose en réalité sur une décision clé pour l’avenir des droits LGBT.

Yu Mei-nu, députée du parti démocrate-progessiste à Taïwan, a été l'initiatrice de la première proposition de loi en faveur du mariage pour tous. (Crédits : DR)
Yu Mei-nu, députée du parti démocrate-progessiste à Taïwan, a été l'initiatrice de la première proposition de loi en faveur du mariage pour tous. (Crédits : DR)
Comment vous êtes-vous engagée dans la cause LGBT ?
En décembre 2012, j’ai soumis une proposition de loi pour modifier les articles 972, 973 et 980 relatifs au mariage dans la partie du Code civil sur la famille. C’était en soutien à un homme qui entamait une poursuite administrative relative à l’égalité du mariage devant la loi. On espérait que cette démarche donnerait l’opportunité au public et au Parlement de discuter de la question de la légalisation du mariage pour les couples homosexuels. Ma proposition est passée en première lecture au Yuan législatif, puis envoyée en commission pour une plus ample réflexion. En tant que présidente de la commission des lois et ordonnances, j’ai pu animer une audience publique sur la légalisation du mariage pour tous et les droits et intérêts des conjoints, pendant laquelle des défenseurs des droits homosexuels, des intellectuels et des experts ont été invités à faire part de leur opinion. C’était la première fois qu’une telle proposition avait atteint ce stade au Yuan législatif.
En septembre 2013, la Taiwan Alliance to Promote Civil Partnership Rights a pris l’initiative de recueillir de nombreuses signatures en vue de la légalisation et a organisé un rassemblement devant le palais présidentiel à Taipei. Une proposition de loi qui reprend la pétition a été soumise par les députés Cheng Li-Chun (鄭麗君), Hsiao Bi-Khim (蕭美琴) et moi-même. Cette proposition s’emploie non seulement à légaliser le mariage pour tous mais aussi à demander d’interpréter le Code civil de sorte à ne pas introduire de discriminations selon le genre, ainsi que l’orientation, l’identité et la disposition sexuelles pour les cas d’adoption. Malheureusement, cette proposition de loi a suscité une vive opposition de la part des groupes religieux et a été abandonnée. J’ai moi-même reçu de nombreux appels de personnes scandalisées par les comportements incestueux et polygames qu’une telle loi autoriserait. Ces idées ont sérieusement dénaturé le contenu de la loi. En 2014, j’ai tenu un débat sur le mariage pour tous, toujours en tant que présidente de la commission des lois et ordonnances. Ce fut le premier débat de ce genre dans l’histoire législative de Taiwan et aussi un moment historique en Asie. Cependant, seulement quelques députés DPP ont exprimé leur soutien. L’écriture de la loi n’ayant pas été achevée à la fin de la huitième législature en décembre 2015, elle devait alors à nouveau faire l’objet d’une proposition au cours de la neuvième législature qui a commencé en février 2016 [après l’élection de Tsai Ing-wen à la présidence].
Quelle est donc la situation actuelle ?
En octobre dernier, le New Power Party (NPP), Hsu Yu-jen (許毓仁) du Kuomintang (KMT) et moi-même avons soumis trois amendements au Code civil. Nous avons obtenu le soutien de 54 députés DPP, KMT et NPP. L’idée principale est d’amender directement le Code civil en changeant « un homme et une femme » par « les deux conjoints ». À l’issue de discussions avec des ONG LGBT et des experts du Code civil, nous avons ajouté une clause générale pour que tout le monde puisse bénéficier des mêmes droits découlant du mariage, notamment en ce qui concerne l’autorité parentale et la non-discrimination dans les procédures d’adoption. Nous nous attendons à ce que le mariage pour tous soit bientôt légalisé à Taïwan. Nous ferons tout notre possible pour que cela se réalise et nous espérons que Taïwan se montrera comme le pays le plus libéral d’Asie.
Il semble qu’il y ait une deuxième proposition qui soit passée en première lecture…
Oui. Pendant le processus d’examen de la loi, le député DPP Tsai Yi-yu (蔡易餘) a relevé qu’entre le camp qui défend la modification du Code civil et celui qui prône l’élaboration d’une nouvelle loi, de délicats problèmes de société délicats sont en jeu. Il espérait que l’on puisse trouver un juste milieu entre les deux. Par conséquent, l’idée principale de sa version est de conserver la loi telle qu’elle est et d’ajouter un chapitre spécifique pour les homosexuels. Je pense que ma version est la plus adaptée : c’est avec un petit degré de changement que l’on peut arriver à de grands résultats pour le droit des homosexuels. Les procédures juridiques pour les lois à venir seront davantage facilitées si l’on met tout le monde sur un pied d’égalité que si l’on ajoute un article spécifique. À l’avenir, excepté ces deux versions, d’autres propositions peuvent être émises. Dans ce cas, elles devront d’abord être discutées au sein des groupes parlementaires. À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas savoir si de telles propositions apparaîtront. Il faudra regarder du côté du pouvoir exécutif et de l’avancée de leurs discussions.
Quelle a été votre réaction au moment de la publication du jugement de la cour constitutionnelle ?
Bien que le jugement n’ait pas donné d’indication précise quant à la manière de légaliser le mariage pour tous, il met en avant l’égalité des droits prévue par la Constitution et fixe une date limite pour la légalisation, au-delà de laquelle les couples de même sexe se verront automatiquement donner le droit au mariage. Cela montre que les juges de la Cour constitutionnelle pense que la manière la plus appropriée de légaliser le mariage pour tous et de clore le débat sur la constitutionnalité de la loi est de modifier le Code civil. J’espère donc que le Yuan législatif pourra délibérer dans les plus brefs délais.
En France, la loi sur la légalisation n’a pas ouvert la porte à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de lesbiennes, ni à la gestation par autrui (GPA), car ce sont toujours des sujets très sensibles. Comment vous positionnez-vous sur de tels sujets ?
Je pense qu’il est difficile de discuter de ces questions et de l’égalité devant le mariage de façon simultanée. C’est pourquoi je ne les ai pas abordées dans mon projet de loi. En effet, le débat sur la PMA et la GPA à Taïwan existe depuis longtemps mais aucun consensus n’a jamais été atteint. Quand le débat a commencé, il n’avait pas tellement de lien avec le mariage pour tous. La question posée était plutôt l’inquiétude quant à l’éthique de la médecine et la garantie des droits des femmes. Pour ce qui est de la situation actuelle, on ne peut pas obtenir de consensus sur un temps aussi court, cela nécessite davantage de discussions. Je ne souhaite pas que la mariage homosexuel et la PMA soit abordés et traités ensemble pour éviter de s’éloigner de l’objectif principal et que cela ait une influence sur l’adoption de la loi. Je pense toutefois que la question de l’adoption doit être traitée en même temps que la légalisation du mariage et ce droit est compris dans ma proposition. Je suis optimiste quant à la capacité des personnes LGBT à acquérir les mêmes droits que les hétérosexuels à Taïwan. C’est juste une question de temps. Je ne peux pas faire de prévision, mais je pense que ces questions seront l’objet de longs débats et discussions avant d’atteindre le moindre consensus.
La légalisation signifie-t-elle la fin de la lutte ?
Au contraire, la légalisation est le début de la lutte. Il reste encore beaucoup à faire comme combattre les discriminations, clarifier les rumeurs et surtout défendre les questions de genre dans les programmes scolaires. La société doit se rendre compte que les personnes LGBT ne sont ni bizarres, ni menaçantes. Qu’elles sont aussi normales que les hétérosexuels. C’est pour cela que l’accent doit être mis sur une meilleure éducation sur la question du genre à Taïwan.
Propos recueillis par Eva Aing et Alice Hérait

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A propos de l'auteur
Journaliste, Alice Hérait est spécialisée sur les questions contemporaine en Asie-Pacifique, et plus particulièrement sur le monde sinisé. Elle est titulaire du Master Hautes Etudes Internationales (HEI) à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Sinophone, elle a vécu un an à Taïwan, où elle a étudié à l'Université Nationale de Taiwan (國立台灣大學). Elle nourrit un vif intérêt pour les relations entre Pékin et Taipei.
Etudiante en double diplôme "Europe and Asia in global affairs" à Sciences Po (Paris) et Fudan University (Shanghai), Eva Aing est également passée par diverses institutions en Europe et en Asie telles que l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), la School of Oriental and African Studies (SOAS) et la National Taiwan University (NTU). Parlant couramment chinois, elle s’intéresse aux relations extérieures de la Chine, notamment avec ses voisins et l’Union européenne.