Economie
Expert - Chine, l'empire numérique

Chine : la révolution robotique, relai de croissance contre le vieillissement

Des visiteurs chinois interagissent avec un robot lors de la Global Mobile Internet Conference (GMIC) à Pékin le 27 avril 2017. (Crédits : AFP PHOTO / Greg Baker)
Des visiteurs chinois interagissent avec un robot lors de la Global Mobile Internet Conference (GMIC) à Pékin le 27 avril 2017. (Crédits : AFP PHOTO / Greg Baker)
Jusqu’à présent grand gagnant de la mondialisation, le « made in China » risque l’essoufflement confronté à une concurrence asiatique croissante. Dans un contexte de vieillissement démographique et d’inflation salariale, la Chine amorce donc une « révolution robotique ». Le géant asiatique veut devenir le laboratoire de l’industrie du futur, un virage qui affectera potentiellement la vie de dizaines de millions de travailleurs.

« Made in China 2025 » : du fabriqué en Chine au conçu en Chine

La Chine est en passe d’atteindre le statut d’économie avancée. Mais passer ce cap s’avère complexe à négocier. La conjugaison d’une force de travail à moindre coût et d’investissements massifs ne suffit plus à réanimer une croissance à son plus bas depuis 25 ans. La dette augmente dangereusement tandis que la productivité et la rentabilité du capital sont en berne.
*Source : McKinsey.
Le gonflement des créances douteuses pourrait, si la Chine persistait dans cette voie, atteindre 15% en 2019 contre 1,7% en 2016. Un choc de productivité devient dès lors vital. Il passera par une restructuration des entreprises publiques, en surcapacité, ainsi que par une meilleure allocation des investissements en direction des secteurs compétitifs. La Chine, si elle entend maintenir une croissance entre 5,5% et 6,5% par an durant la prochaine décennie, devra générer entre deux et trois point du PIB par de l’innovation définie au sens large*.
Au-delà de l’effet de taille et de la massification de l’infrastructure industrielle, il s’agit désormais d’injecter de l’intelligence logicielle dans les processus de production pour une plus grande agilité et une meilleure gestion des ressources. Dans un contexte fortement volatil, l’usine doit devenir « intelligente » en faisant interagir les équipements entre eux et avec leur environnement (clients, fournisseurs, autres sites de production).
L’atelier du monde entend être le moteur de cette nouvelle révolution industrielle qui repose sur l’internet des objets, l’intelligence embarquée et la robotisation. La feuille de route du gouvernement chinois a pris la forme du plan décennal « made in China 2025 » soutenu par un investissement public massif visant à réduire la dépendance à l’égard des technologies étrangères comme les processeurs, la robotique ou encore les technologies vertes.

Le nouvel âge des machines

*Source : Fédération Internationale de Robotique, 2015.
La Chine manufacturière cherche à s’automatiser à marche forcée. Le taux de robotisation en Chine reste toutefois encore en dessous de la moyenne internationale avec un ratio de 49 robots pour 10 000 travailleurs, contre environ 531 en Corée du Sud, le pays le plus automatisé au monde, et 301 pour l’Allemagne. Mais l’écart se réduit. Depuis 2013, la Chine est ainsi devenue le plus gros importateur mondial de robots et de machines intelligentes. D’ici à 2018, on estime que plus d’un tiers des robots installés le seront en Chine*.
Aujourd’hui, Les robots ne couvrent en moyenne que 10% des fonctions productives à l’échelle mondiale. D’ici à 2025, ils devraient remplir 25% des tâches industrielles. En Chine, c’est l’industrie automobile qui est la plus robotisée avec 35% du parc total. En 2015, ce secteur comptait ainsi environ 392 robots pour 10 000 employés, selon les chiffres de l’IFR. Mais l’automatisation touche progressivement tous les domaines à l’image de Foxconn, connu pour être le sous-traitant d’Apple et de Samsung : le géant taïwanais se fixe pour horizon prospectif de remplacer progressivement son million de salariés par des robots.
L’expertise en matière de robotique industrielle reste encore concentrée dans les pays développés avec des entreprises comme Yaskawa, Fanuc ou Kawasaki au Japon et ABB en Suisse. Mais les fournisseurs chinois de lignes robotisées commencent à rattraper le retard. L’acquisition en 2016 du fabricant allemand de machines-outils Kuka par le géant chinois de l’électroménager Midea participe de cette volonté d’autosuffisance technologique. Sur le plan de la logistique, la croissance massive du e-commerce chinois va également, à n’en pas douter, pousser Alibaba ou JD.com à développer leur propre solution automatisée de gestion des stocks et des livraisons.

Le grand remplacement de l’homme par la machine

La malléabilité et la réactivité des hommes aux modifications des chaînes de fabrication est un atout que n’ont certes pas encore les machines, réduites à la répétition de tâches figées, sur de très grandes séries. La robotique ne dispose pas du niveau de perception, de manipulation, de créativité et de sociabilité de la sphère humaine. Il faut beaucoup de programmation pour qu’un robot arrive, par exemple, à reproduire la finesse manipulatoire de l’être humain.
*Source : Boston Consulting Group (BCG). **Cf. Rapport sur l’impact de l’automatisation conduit par la banque CITI et Oxford Martin School, 2016.
Mais les avancées en matière de capteurs d’exécution, de système de motricité et d’intelligence artificielle permettent une compétitivité accrue des robots, devenus toujours plus agiles et moins coûteux. Leur prix de base aurait baissé de 40% en dix ans (hors installation, programmation et équipements périphériques). Il devrait encore diminuer de 20% au cours de la prochaine décennie*. Le délai moyen de retour sur investissement de certains robots industriels est aujourd’hui inférieur à deux ans en Chine**.
Cependant, en contrepartie des gains de productivité générés, les emplois peu qualifiés, répétitifs et routiniers risquent un « grand remplacement ». Selon une étude menée en 2013 par Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, deux chercheurs d’Oxford, 47% des emplois actuels pourraient potentiellement être remplacés par des robots dans les vingt prochaines années. Une autre étude publiée en 2017 par Daron Acemoglu du MIT et Pascual Restrepo de l’Université de Boston conclut que l’introduction d’un robot industriel conduit à la destruction de 6,2 postes dans la zone géographique qui l’entoure. Cette même étude met en évidence que pour chaque nouveau robot introduit sur le marché du travail pour 1 000 travailleurs, c’est une perte comprise entre 0,25 et 0,50 % du salaire moyen qui est observée.
La première loi de la robotique, imaginée par l’écrivain de science-fiction Isaac Asimov, postule qu’un « robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger ». L’humanité n’est certes pas (encore) menacée, mais le modèle social risque d’être fortement ébranlé par une concentration et une automatisation toujours plus grande du capital.

Pénurie d’emploi ou pénurie de travailleurs

Le débat sur l’impact de l’automatisation est récurrent depuis les luddites en 1881, jusqu’aux prédictions de John Maynard Keynes sur le chômage technologique en 1930. Sans oublier le cri d’alarme de Stephen Hawking quant à l’avènement possible d’une intelligence artificielle supérieure à l’homme.
Mais si l’automatisation menace l’emploi, elle pourrait de manière plus positive désamorcer la bombe démographique chinoise. L’assouplissement depuis 2015 de la politique de l’enfant unique n’y change rien, la population de la Chine vieillit inexorablement. Les plus de 60 ans devraient représenter 30 % de la population totale en 2050, contre 10 % en l’an 2000, selon l’ONU. Dans ces conditions, la Chine a besoin de réinventer son logiciel économique pour palier la diminution de sa population active tout en finançant les infrastructures de prise en charge de la dépendance, quasi inexistantes aujourd’hui.
La robotisation pourrait donc être un remède au vieillissement démographique et favoriser l’avènement d’une société du temps libre. Mais encore faut-il qu’elle ne donne pas naissance à un hyper-capitalisme concentrant les forces productives dans les mains d’un nombre limité de géants industriels.
La question de la robotisation pourrait être résumée ainsi : soit la technologie est utilisée au profit exclusif de l’augmentation du rendement du capital (source d’une hausse exponentielle des inégalités), soit elle permet l’avènement d’une nouvelle organisation sociale valorisant le temps libre. La Chine sera, à n’en pas douter, au cœur de cette transformation du capitalisme.

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A propos de l'auteur
Directeur marketing basé à Pékin, spécialiste du management de l’innovation, Bertrand Hartemann se passionne pour les nouveaux modèles économiques induits par la disruption numérique. Diplômé de la Sorbonne et du CNAM en droit, finances et économie, il a plus de dix ans d’expérience professionnelle partagée entre la France et la Chine.