Economie
Reportage

A Paris, les "Daigou", assistants shopping 2.0 des Chinois

Des clients chinois font leur shopping aux galeries Lafayette durant les soldes estivales à Paris, le 1er juillet 2016. (Crédits : Cui jingyin / Imaginechina / via AFP)
Des clients chinois font leur shopping aux galeries Lafayette durant les soldes estivales à Paris, le 1er juillet 2016. (Crédits : Cui jingyin / ImagineChina / via AFP)
Le 15 mars dernier, les Galeries Lafayette ont ouvert une annexe dédiée à la clientèle asiatique en voyage à Paris. Mais de nombreux Chinois font leurs emplettes dans les plus grands magasins de la capitale française sans même faire le voyage. Pour cela, ils font appel à des acheteurs vivant à Paris : les Daigou (代购) (prononcer : taï-kow). L’une d’entre elles, Jiajia, raconte les coulisses du métier.
Jiajia est une Chinoise de 33 ans. Elle travaille comme cadre dans une grande entreprise à la Défense. En parallèle, à raison d’une à deux heures par jour, pendant que ses enfants sont à la crèche, elle est Daigou. Ce terme chinois décrit le métier d’acheteur qu’elle exerce à Paris pour des personnes installées en Chine. Ses clients cherchent essentiellement des produits de luxe mais aussi certaines denrées alimentaires. Les yaourts et le lait en poudre pour bébé, au cœur de nombreux scandales sanitaires en Chine, sont très prisés. Pour les produits de luxe, la détaxe et la présence d’exclusivité en France motivent la demande.
Les clients sollicitent les Daigou via WeChat. Sur l’application chinoise de messagerie instantanée, ils peuvent envoyer les références désirées. Jiajia se rend alors dans les grands magasins parisiens, ou sollicite directement les vendeurs par messagerie, pour obtenir les photos et les prix. Si le client accepte, il paie l’acheteur par une application de paiement en ligne telles que Alipay (lié à Alibaba), WePay (lié à Wechat), ou le système bancaire UnionPay. « La commission d’un Daigou est de l’ordre de 10%, une fois payés les frais de livraison vers la Chine, explique Jiajia. Mais pour les produits très chers ou les bons clients, il nous arrive de baisser notre marge. »

« 15 à 20 000 euros par an »

Comme elle, des centaines de Daigou exercent à Paris, mais aussi à Londres, Sidney et dans toutes les grandes villes du monde. Ces Chinois sont étudiants ou salariés, et arrondissent leurs fins de mois avec cette activité. « Un Daigou peut rapidement gagner 15 à 20 000 euros par an », affirme Jiajia. Mais les stars du secteur génèrent plusieurs centaines de milliers d’euros de bénéfices annuels et peuvent être à la tête de véritables entreprises informelles.
Si ce secteur est rentable, il est à la frontière de la légalité. Officiellement, rien n’interdit d’acheter un article en France pour l’envoyer à un ami en Chine. Dans les faits, cela s’apparente souvent à du commerce international masqué. Le gouvernement chinois cherche ainsi à juguler un phénomène qui le prive d’importantes ressources douanières. Par exemple, les taxes sur les produits importés par voie postale ont augmenté (jusqu’à 60% pour les montres). Pour contourner les sanctions douanières, les Daigou font appel à toute l’ingéniosité chinoise dans les affaires. Les guides touristiques chinois sont mis à contribution pour rapatrier les produits achetés. Ces derniers, moyennant commission, répartissent les achats du Daigou entre les voyageurs. Si jamais l’un deux venait à être contrôlé à l’aéroport, l’usage veut que le guide rembourse la perte. En cas de non respect de cette norme des affaires, il perdrait toute crédibilité et donc la perspective de centaines, voire de milliers d’euros de commission engrangés à chaque voyage.

« Je suis blacklisté chez Louis Vuitton »

Coté français, ces activités économiques échappant à toute fiscalité posent également problème. Les sommes qui passent sous le radar du fisc hexagonal sont considérables et nourrissent une économie informelle. Un « maître Daigou » a récemment sollicité de nombreux membres de la diaspora chinoise parisienne afin d’acheter un appartement en espèces pour plusieurs centaines de milliers d’euros.
Du coté des marques, le positionnement est plus ambigu. La plupart d’entre elles cherchent à filtrer le phénomène car il nuit directement aux revendeurs en Chine et donc à la crédibilité de la marque comme partenaire d’affaires. « Je suis blacklisté chez Louis Vuitton », confie Jiajia en baissant les yeux. La marque de luxe met en effet des Daigou sur liste noire en cas d’acquisitions trop fréquentes. Avec l’enregistrement des passeports des acheteurs, nécessaires pour demander une détaxe, Chanel limite les achats à un sac tous les deux mois. Là encore, des solutions existent. Moyennant une somme de 20 à 30 euros, de nombreux touristes chinois sont prêts à enregistrer les achats sous leur nom pour contourner les sanctions. Mais les marques ont surtout du mal à gérer les réseaux de revendeurs. Pour augmenter les ventes de leurs magasins, ces derniers contactent sans complexe les Daigou pour leur proposer les nouveautés ou les inviter à des ventes privées.
Pour autant, tous les Chinois ne deviendront pas Daigou. Si les bénéfices semblent attractifs au regard du risque limité, le marché de ces assistants shopping n’en reste pas moins fermé. Les clients chinois veulent s’assurer de ne pas acheter de contrefaçons. La confiance est donc un critère essentiel et la clientèle reste longue à créer. Naturellement, la pérennité des liens se trouve valorisée. Les personnes présentes durablement en France bénéficient d’un avantage indéniable par rapport aux étudiants ou aux voyageurs occasionnels. Ils offrent la garantie de pouvoir assouvir dans la durée la soif de luxe de leurs clients chinois.
Par Vivien Fortat

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A propos de l'auteur
Vivien Fortat est spécialisé sur les questions économiques chinoises et les "Nouvelles routes de la soie". Il a résidé pendant plusieurs années à Tokyo et Taipei. Docteur en économie, il travaille comme consultant en risque entreprise, notamment au profit de sociétés françaises implantées en Chine, depuis 2013.