Indonésie : quand Bali dit "Non" au tourisme de masse
Contexte
Denpasar, la capitale de Bali, s’est étalée sur des dizaines de kilomètres, urbanisant tout le sud de l’île. Les constructions assez basses logent pas moins d’1,7 millions d’habitants, sans compter les touristes. Au milieu de la métropole cependant, la baie de Benoa n’est troublée que par une autoroute sur pilotis (et à péage) qui la traverse et mène vers les banlieues les plus huppées. Un demi millier de personnes y vivent toujours de la pêche et du ramassage des coquillages à marée basse. La côte accueille une mangrove, certes souillée de déchets de plastique mais plus pépiante et jacassante qu’aucune autre : les oiseaux migrateurs qui s’arrêtent ici font de la baie un rendez-vous prisé des ornithologues.
Loin d’être une baie en eaux profondes qui aurait accueilli toute l’activité portuaire de la capitale balinaise, Benoa se présente comme un millier d’hectares de dunes à peine immergées et inondées par chaque marée. Aux yeux de l’investisseur avisé et vu les prix qui flambent sur ses rives, elle a des airs d’eldorado immobilier qui n’attend que sa « valorisation ». C’est sans compter quelques détails dont le moindre n’est pas d’ordre écologique : la valeur intrinsèque de cet écosystème relativement préservé, les cinq rivières (et les nombreux ruisseaux) qui s’y déversent, la lenteur de l’évacuation lors de chaque marée haute ou des fortes pluies tropicales. Mais la raison pour laquelle la baie de Benoa fait l’objet d’un mouvement de défense inédit, c’est que Bali sature et que cet énième projet de construction finit de convaincre la population locale de la nécessité de ralentir sérieusement le développement touristique de l’île. Un premier moratoire sur la construction d’hébergements hôteliers à Denpasar, mis en place par les autorités en 2010, n’ayant pas évité la construction de 9 800 nouveaux lits, les Balinais savent ne pouvoir compter que sur la force de leur mobilisation.
Superman is Dead


« Envahis par le tourisme »
1965, le génocide oublié
500 000 personnes tuées selon les dernières estimations des historiens, mais trois millions selon son principal organisateur, le général Sarwo Edhie Wibowo. Tel est le décompte du génocide commis en Indonésie entre fin octobre 1965 et mars 1966. Le 30 septembre 1965, alors que Soekarno dirige le pays depuis sa déclaration d’indépendance vingt ans plus tôt, un petit groupe de militaires kidnappe six généraux et dirigeants du ministère de la Défense et les assassine. Qui est ce mystérieux « groupe du 30 septembre » ? Selon l’historiographie officielle (les autres sont toujours censurées), il s’agissait du premier acte d’un soulèvement communiste d’ampleur qui a pu être évité par l’assassinat en masse de militants du parti communiste indonésien (PKI).
Grâce au renouveau des études historiques à ce sujet (dont la thèse référence de John Roosa, Pretext for Mass Murder: The September 30th Movement and Suharto’s Coup d’Etat in Indonesia, University of Wisconsin Press, 2007), on considère aujourd’hui qu’il s’agissait de militaires mal organisés, partageant les sympathies anti-américaines de Soekarno, s’inquiétant d’un possible coup d’État contre le président et ayant souhaité prendre les devants sans concertation avec le PKI. Après la répression des militaires putschistes, l’affaire se calme un peu car l’acte est perçu comme isolé. Mais les généraux les plus droitiers soufflent sur les braises pour organiser un génocide populaire qui commence véritablement un mois plus tard : « On rassemblait les forces civiles nationalistes ou religieuses, on les formait pendant deux ou trois jours et on les envoyait tuer des communistes » (lire S. E. Wibowo cité dans Tim Hannigan, A Brief History of Indonesia, Tuttle, Jakarta et Singapour, 2015.). Les États-Unis fournissent la logistique.
Parmi les communistes et les syndicalistes massacrés, se trouvent des Sino-Indonésiens, au point que dans les pays voisins cette sanglante saison des pluies est restée dans les mémoires comme des émeutes populaires anti-chinoises. Soekarno, débordé par son armée et impuissant devant le spectacle du génocide, abandonne les pouvoirs présidentiels en mars 1966 à un obscur général épargné par le kidnapping et qui a su prendre les rênes de l’armée. Il s’appelle Soeharto et avec lui l’Indonésie connaîtra trente années de prédation et de corruption.
A. V.
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