Politique
L'Asie du Sud-Est dans la presse

Singapour : une querelle d'héritage ébranle le Premier ministre Lee Hsien Loong

Le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong et son fils Li Hongyi le 23 mars 2015. (Crédits : ST / Singapore Press Holdings / via AFP)
Le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong et son fils Li Hongyi le 23 mars 2015. (Crédits : ST / Singapore Press Holdings / via AFP)
Suite au décès de leur père, une fratrie se déchire au sujet de la maison familiale. Une situation banale si elle ne concernait pas les trois enfants de l’ex-Premier ministre et fondateur de la cité-état Lee Kuan Yew. Les cadets de la fratrie veulent voir la demeure du père détruite, mais l’aîné et actuel chef du gouvernement Lee Hsien Loong souhaiterait la voir ouverte au public. Quels sont les enjeux de cette brouille pour la gouvernance de Singapour ?
Dernier épisode de la saga : selon le South China Morning Post, Lee Wei Ling, la sœur du Premier ministre, a publié aujourd’hui vendredi 16 juin sur Facebook une série de mails, échangés du vivant de leur père, qui appuierait sa vision du testament laissé par Lee Kwan Yew. A savoir que la maison paternelle d’Oxley Road doit être détruite. Cette révélation fait suite à une déclaration des avocats de son frère aîné, publiée la veille dans la presse et sur les réseaux sociaux, et dans lequel Lee Hsien Loong remet en cause sa version des faits. « Mon frère et ma sœur continuent de donner des interviews et de porter des allégations contre moi. Il n’est plus possible pour moi de ne pas y répondre publiquement », déclare le Premier ministre avant d’égrener les raisons pour lesquelles il met en doutes les conditions de rédaction des dernières volontés de Lee Kuan Yew. Le chef du gouvernement a ainsi ouvert un comité interministériel afin d’étudier la question.
Qu’en est-il vraiment du testament de Lee Kwan Yew ? Entre 2011 et 2013, le vieux Premier ministre a dicté pas moins de sept versions de ses instructions concernant sa résidence, un bungalow centenaire situé au 38 Oxley Road, dans les quartiers huppés de Singapour. La clause stipulant la destruction de la maison ne serait pas présente dans la cinquième et la sixième versions, selon le premier ministre actuel Lee Hsien Loong. Sa sœur Lee Wei Ling et son frère Lee Hsien Yang se réfèrent à une version « finale » rédigée le 17 décembre 2013, demandant que sa maison soit démolie immédiatement après sa mort ou après le départ de sa fille si jamais elle désire y rester. En cas d’impossibilité de mener à bien la destruction, elle devrait demeurer à l’usage exclusif de la famille de ses descendants, précise le South China Morning Post. Mais le chef du gouvernement et aîné de la fratrie remet en cause la validité de cette version dont il n’a eu connaissance qu’à la mort de son père en 2015. Cité par le Straits Times, il s’interroge sur la connaissance réelle qu’avait Lee Kuan Yew de cette clause dans le document qu’il a signé. En effet, les avocats envoyés ce jour-là ne seraient restés en tout et pour tout que 15 minutes dans la propriété du père fondateur de Singapour. « Ils sont uniquement venu pour assister à la signature des dernières volontés par M. Lee, pas pour le conseiller », déplore Lee Hsien Loong.
Derrière ce conflit juridique se cachent des motivations bien plus terre à terre. Les cadets de Lee Hsien Loong l’accusent de vouloir transformer la maison en monument national afin de pouvoir capitaliser sur la crédibilité politique de son père et ainsi lancer la carrière de son fils. « Nous sommes de simples particuliers sans ambitions politiques. Nous n’avons rien à gagner dans la démolition du 38 Oxley Road, hormis de savoir que nous avons honoré les ultimes souhaits de notre père », déclare ainsi dans un communiqué conjoint Lee Hsien Yang et Lee Wei Ling, indique Chanel News Asia. Des accusations réfutées par le Premier ministre pour qui la prise de position de ces derniers « a écorné la mémoire de [leur] père ». Si cette affaire privée jetée sur la place publique semble exaspérer les Singapouriens, elle ne risque pas d’ébranler le pouvoir de la cité-État pour autant. Selon le politologue Tom Pepinsky cité par le South China Morning Post, « l’État singapourien demeure solide et le Parti d’Action Populaire reste cohérent ; je ne vois aucune raison pour que cette dispute familiale ne se traduise par une déchirure au sein du parti ou une mobilisation de l’opposition ».
Par Emeric Des Closières

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