Politique
Analyse

Japon : Shinzo Abe inamovible, l’opposition politique sans solution

Renho Murata, leader du parti démocrate progressiste au Japon le 2 février 2017. (Crédits : AFP PHOTO / Behrouz MEHRI)
Renho Murata, leader du parti démocrate progressiste au Japon le 2 février 2017. (Crédits : AFP PHOTO / Behrouz MEHRI)
Cinq ans au pouvoir, des réformes difficiles à faire passer voire toujours en attente, et une série de scandales impliquant son épouse et un groupe scolaire, le Moritomo Gakuen… Rien ne semble submerger le chef du gouvernement nippon Shinzo Abe. Malgré une popularité qui décline, les sondages continuent de donner sa majorité à quasiment 50% de confiance. En face, le centre-gauche japonais ne se remet pas d’un passage au pouvoir entre 2009 et 2012 qui a créé de nombreuses déceptions par les promesses non tenues et lessivé trois Premiers ministres.
Ceux qui espèrent voir l’opposition faire un retour en force pour faire trembler l’hégémonie du Parti libéral-démocrate attendent beaucoup de la nouvelle présidente du parti Renho Murata, qui deviendrait donc la chef du gouvernement en cas de victoire aux prochaines législatives. Mais, pour l’instant, malgré la fraîcheur apparente qui souffle sur l’opposition – nouveau parti, nouveau leader -, aucun signe positif ne se manifeste. Et Shinzo Abe continue lentement mais sûrement sa réforme en profondeur du Japon, usant de ce qui a manqué à beaucoup de ses prédécesseurs : la capacité à durer.

Contexte

Fin mai, il s’est hissé à la troisième place des chefs de gouvernement japonais ayant la plus longue longévité, alors que la fonction a souvent été pour ses prédécesseurs un siège éjectable. S’il conserve son poste jusqu’en 2019, Shinzo Abe dépassera alors le « record » de Shigeru Yoshida qui est resté en fonction 2 886 jours. Coïncidence troublante, Yoshida a eu un parcours relativement similaire à Abe à cette fonction. D’abord brièvement Premier ministre, durant seulement une année et deux jours (1946-1947), il est ensuite revenu en force sur le poste pour ne plus le quitter de 1948 à 1954. Une longévité qui lui a permis de mettre en œuvre sa « doctrine Yoshida » imposant une priorité absolue à la dimension économique, au détriment des questions militaires. Shinzo Abe, lui, a été Premier ministre du 26 septembre 2006 au 26 septembre 2007. A l’époque, il n’était même qu’un homme de passage dans une période d’instabilité politique suite au départ de Junichiro Koizumi. Peu d’observateurs auraient parié sur son retour. Et surtout sur une présence ininterrompue depuis le 26 décembre 2012 qui lui a permis d’imposer sa propre « doctrine », les fameux « Abenomics ».

Il sera encore là pour mener le Parti libéral-démocrate (Jiminto) aux prochaines élections à la Chambre des représentants (l’Assemblée nationale japonaise), dont le scrutin doit se tenir avant le 13 décembre 2018. Si Shinzo Abe va au bout de cette nouvelle législature, il sera peut-être en poste jusqu’en 2022. A moins d’un brusque revirement politique, dont on se demande d’où il pourrait venir, la perspective semble probable. Car malgré les critiques sur certaines de ses positions comme la remilitarisation du pays ou la légalisation des casinos, ainsi que les effets de l’inévitable usure du pouvoir, rien ne semble venir faire trembler l’élu du 4e district de la préfecture de Yamaguchi. Surtout pas une opposition, totalement moribonde et qui ne se remet pas de sa période 2009-2012 lorsqu’elle a enfin exercé le pouvoir. Et visiblement convaincu une bonne partie des Japonais de ne pas retenter l’expérience.

L’opposition se réorganise

Des efforts ont pourtant été faits par l’opposition pour essayer de se réinventer. Primo, exit le Parti démocrate du Japon (Minshuto) et place depuis mars 2016 au Parti démocrate progressiste, le Minshinto, une fusion de l’ancien parti avec le Parti de la restauration, une formation aux prises de position pourtant assez critiquées. Mais l’autre tour de force de l’opposition a été de nommer Renho Murata à sa tête. Une femme, encore jeune selon les standards politiques japonais (elle aura 50 ans en novembre), au parcours détonant (ancienne mannequin et animatrice de télévision) et surtout… à l’origine binationale. Née en effet sous le patronyme de Hsie Lien-fang, celle qui se fait appeler tout simplement « Renho » est la fille d’un père taïwanais et d’une mère japonaise. Elle a possédé les deux nationalités jusqu’à l’âge adulte, la loi japonaise imposant ensuite d’en abandonner une de deux. Ce dernier point lui a d’ailleurs attiré une volée de critiques de la part de ses adversaires conservateurs, bien plus d’ailleurs que le fait d’être une femme. Le retard sur le genre a d’ailleurs été rattrapé par le parti conservateur, entre Yuriko Koike la gouverneure de Tokyo, ou Tomomi Inada, la ministre de la Défense.
Pourtant malgré ce vent de « fraîcheur » que pourrait représenter un tel profil, l’ensemble ne prend pas. Pire, l’écart entre la majorité et l’opposition n’a peut-être jamais été aussi béant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon un sondage publié par la NHK, l’audiovisuel public japonais, la cote de popularité de Shinzo Abe continue d’afficher un flatteur 37,5% alors que celle de Renho se réduit à… 7,3%.

Logiciel introuvable

L’opinion publique n’est pas la seule source de souci pour le Minshinto. Le nouveau parti, censé être une véritable force d’opposition à même de faire trembler Shinzo Abe et remettre en cause l’hégémonie du PLD, peine en réalité à trouver son positionnement. Lors de la grande convention du parti en mars dernier, Renho a souhaité faire adopter un plan sur un sujet très porteur au Japon : le nucléaire. Elle proposait notamment un projet d’action visant à faire complètement sortir le pays de l’atome d’ici 2030. Elle s’est heurtée à un mur : celui du Rengo, la très puissante fédération des grands syndicats de salariés japonais. Forte de plus de 6,5 millions de membres, les représentants de l’immense alliance syndicale soutiennent officiellement le parti d’opposition… mais refusent de céder le moindre pouce sur la question du nucléaire. Une désillusion cruelle d’autant que la question énergétique était l’une des rares sur lesquelles le parti de Renho pouvait se distinguer nettement.
En effet, l’interventionnisme économique de Shinzo Abe n’est guère éloigné des idées du Minshinto, et les sujets de société (intégration des minorités, immigration) sont encore mal appréhendés par les formations politiques nippones. Quant à la question militaire, si le Minshinto est opposé à la réforme de l’article 9 qui empêche le Japon de développer ses forces armées pour acquérir une dimension offensive, il se fait dépasser par l’autre parti d’opposition qui a le vent en poupe : le Parti communiste japonais. Fort de 35 parlementaires dans les deux chambres réunies, obtenus sans alliance avec le centre-gauche, ce parti moribond durant les années 2000 revient de nulle part. Malgré son programme sans ambiguïté (le parti envisage ouvertement d’abolir – démocratiquement – le système capitaliste à terme), le Nihon Kyosanto plaît à une partie de l’électorat pour son positionnement marqué et de longue date contre le militarisme. Le parti enchaîne les succès dans la préfecture d’Okinawa et est même devenu une force politique dominante dans le secteur qui accueille la moitié du contingent américain. Or, le système électoral japonais fait de la force du parti communiste un fléau pour le Minshinto. Les élections au Japon ne comportent qu’un seul tour. Par conséquent, les divisions à l’intérieur d’une sensibilité politique se paient cash, un candidat pouvant emporter une élection en finissant premier, même en obtenant moins de 50%, face à deux adversaires proches mais désunis.
Le prochain test électoral pour l’opposition se tiendra le 2 juillet prochain à Tokyo, pour renouveler l’assemblée locale de la capitale. Le scrutin est quasiment considéré comme une élection nationale de fait vu sa taille (13 millions d’habitants), et l’opposition risque d’être inexistante. L’enjeu repose entièrement sur la tentative de la gouverneure en exercice Yuriko Koike, du PLD, de s’émanciper de la grosse machine conservatrice en créant son propre groupe électoral, le Tomin First no Kai (« les Tokyoïtes d’abord »), et peut-être se préparer un destin national. Le Minshinto, lui, semble à peine exister dans les débats. Un camouflet de plus pour le parti d’opposition et sa présidente Renho qui suivra de près et sans doute avec anxiété les résultats, étant elle-même… sénatrice de Tokyo !
Par Damien Durand

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A propos de l'auteur
Journaliste, Damien Durand travaille principalement sur des questions économiques, sociales et politiques au Japon et dans le reste de l'Asie de l'Est. Après avoir été correspondant en France pour le quotidien japonais Mainichi Shimbun, il a collaboré depuis pour Le Figaro, Slate, Atlantico, Valeurs Actuelles et France-Soir. Il a également réalisé "A l'ombre du Soleil Levant", un documentaire sur les sans domicile fixe au Japon. Il a reçu le prix Robert Guillain Reporter au Japon en 2015. Pour le suivre sur Twitter : @DDurand17