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Sécurité en Asie : la France au Dialogue Shangri-La, une carte stratégique à jouer

La ministre françaises des Armées Sylvie Goulard lors de la deuxième session plénière du 16ème Shangri-la Dialogue sur la sécurité en Asiele 3 juin 2017. (Crédits : AFP PHOTO / ROSLAN RAHMAN)
La ministre françaises des Armées Sylvie Goulard lors de la deuxième session plénière du 16ème Shangri-la Dialogue sur la sécurité en Asiele 3 juin 2017. (Crédits : AFP PHOTO / ROSLAN RAHMAN)
*ASEAN Defence Ministers’ Meeting : lancé le 12 octobre 2010 à Hanoï, l’ADMM+ est une plateforme permettant à l’ASEAN et ses 8 partenaires de dialogue de « renforcer leur coopération de sécurité et défense pour la paix, la stabilité et le développement dans la région ».
La participation de Sylvie Goulard, ministre des Armées, a été confirmée au Dialogue Shangri-La. L’événement, qui se tient comme tous les ans depuis 2002 à Singapour, réunit depuis ce vendredi 2 juin et jusqu’au dimanche 4 juin, les ministres de la Défense des pays de la région ainsi que des experts sur la sécurité asiatique. la présence de la ministre français – dès les premières semaines de sa prise de fonctions – illustre la continuité de la politique de défense hexagonale et la volonté d’inscrire notre engagement stratégique dans la durée : souhait de participer à l’ADMM+, renforcement des partenariats stratégiques avec le Japon (2+2 ministériel annuel depuis 2014), partenariat stratégique renforcé avec l’Australie (mars 2017) et approfondissement de notre partenariat stratégique majeur avec l’Inde.
Le SLD constitue l’un des événements majeurs en matière de diplomatie de la défense en Asie-Pacifique. Le président Macron signifie ainsi sa volonté de voir la France peser dans le débat stratégique dans une région cruciale pour les équilibres mondiaux. Il poursuit le recentrage stratégique initié par son prédécesseur vers l’Asie-Pacifique dont le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, était un familier du Shangri-La. C’est là une bonne nouvelle.
Le Dialogue Shangri-La représente une formidable plateforme d’échanges. En l’espace d’un week-end, Sylvie Goulard va donc rencontrer ses homologues des États-Unis, d’Australie, du Japon, de Malaisie, des Philippines, de Singapour et d’Indonésie. Autant de partenaires avec lesquels la France a, ces dernières années, resserré ses liens et noué des coopérations qui vont se développer sur plusieurs décennies – on se souviendra que le dernier sous-marin français sera livré à l’Australie par DCNS d’ici 2050. Qu’il s’agisse de vente de matériel (un peu plus de 30 % des exportations d’armement français sont destinés à l’Asie orientale), de formation, d’entraînement, de coopération en matière de sécurité maritime, de lutte anti-terroriste ou de cybersécurité, la France est désormais un pourvoyeur de sécurité qui compte dans ce théâtre et dont les partenaires apprécient la qualité, la technologie et l’innovation. Nul doute que les industriels français dans la région valoriseront la présence de la ministre. A deux semaines du salon du Bourget, la France marque son avantage dans un secteur très concurrentiel.

La France avec l’Europe en Asie

Mais ce n’est pas le seul message que la ministre devrait délivrer. Sylvie Goulard entretient une réputation d’Européenne convaincue qui la précède. Sur ce terrain-là aussi, les pays d’Asie-Pacifique attendent beaucoup du binôme franco-allemand pour (re)définir un réengagement européen clair et visionnaire : l’avenir et la sécurité de la région ne doivent pas dépendre d’un tête-à-tête et de la rivalité entre Pékin et Washington. Une « Europe plus ambitieuse » et la relance d’une coopération de défense efficace voulues par le président Macron et confirmées par la chancelière Merkel constituent un message fort que Sylvie Goulard doit tenir à nos partenaires asiatiques ; lesquels y trouveront un écho à leurs propres questionnements sur leur autonomie stratégique. Car même imparfaite, même insuffisante, l’Europe porte non seulement un message d’avenir mais donne une marge de manœuvre bienvenue. La poussée chinoise (OBOR, mer de Chine méridionale, modernisation militaire) et le vide stratégique créé par une administration Trump imprévisible, voire contre-productive (abandon du TPP, zig-zag sur la question nord-coréenne…), provoquent un appel d’air que les Européens pourraient remplir. Or, aujourd’hui, la France est certainement le pays européen le plus engagé en matière de défense et de sécurité dans la zone – plus que le Royaume-Uni -, et elle entend jouer un rôle d’entraînement.
S’il paraît évident que l’Union européenne ne va pas devenir dans un futur proche un acteur militaire de poids dans ce théâtre, son influence stratégique n’en demeure pas moins réelle quand il s’agit d’y repenser l’architecture de sécurité et contribuer au règlement des tensions, de la Corée du Nord à la mer de Chine du Sud. C’était d’ailleurs précisément sur la mer de Chine du Sud que Le Drian avait marqué les esprits lors du 14ème Dialogue (juin 2016) en proposant la mise en place de patrouilles navales de l’Union européenne dans cet espace maritime. Même si cela surprend dans une Europe qui se perçoit en crise profonde, l’UE apparaît en Asie-Pacifique comme un acteur polyfonctionnel, pragmatique et donc utile. A l’inverse, l’Asie incite l’Union européenne à se penser comme un ensemble géopolitique et stratégique.

La sécurité de l’Asie n’est pas seulement la sécurité chinoise

Ce n’est pas là le moindre intérêt du Dialogue Shangri-La : mesurer l’importance stratégique cruciale des alliances en Asie. Sur le terrain sécuritaire comme sur les autres terrains, la Chine a tendance à occuper l’espace, délibérément ou pas. Certes, sa puissance stratégique, l’effort de modernisation et de projection de ses Forces armées (elle vient de mettre en service son second porte-avions), l’affirmation d’un discours nationaliste ferme (notamment en mer de Chine du Sud) modifient d’eux-mêmes les paradigmes sécuritaires. Certes, le mouvement s’accélère – susceptible de provoquer un changement de paradigme -, avec l’incertitude américaine, une incertitude bien antérieure à l’arrivée du président Trump à la Maison Blanche mais que le flou de son programme à propos de cette région stratégique confirme.
Cependant, réduire le dossier de la sécurité asiatique à ces seuls éléments serait risqué. Le Japon d’Abe est en passe de redevenir une puissance militaire régionale si le Premier ministre réussit la révision constitutionnelle qui permettrait de faire de l’armée japonaise, jusqu’ici défensive, une armée offensive. L’Inde, qui a passé en 2016 commande de 36 avions Rafale, a développé une « Look East policy » qui porte ses fruits et que le Premier ministre Modi entend valoriser. La Corée du Sud est au cœur des négociations sur l’avenir de la péninsule. Certains pays d’Asie du Sud-Est sont des acteurs sécuritaires à part entière, en plein centre du vortex sécuritaire asiatique.
Rassurer nos partenaires sur l’engagement français au service d’une Union européenne responsable en Asie-Pacifique, entretenir un réseau de relations bi- et multilatérales, nouer de nouveaux contacts, afficher les priorités du président Macron et tester des initiatives en prenant la température sur les sujets sensibles… le discours que prononcera Sylvie Goulard comme les entretiens en marge des sessions plénières, sont d’une importance capitale pour valoriser la confiance et le rayonnement dont dispose aujourd’hui la France en Asie-Pacifique.

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A propos de l'auteur
Chercheure associée au Centre Asie de l'IFRI (Institut Français des Relations Internationales), Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est. Après s’être intéressée à l’ASEAN et la construction régionale, elle poursuit ses travaux sur les relations Chine / Asie du Sud-Est (ASEAN) et leur impact sur les équilibres globaux. Sophie Boisseau du Rocher publie dans de nombreuses revues - françaises et étrangères -. Ses ouvrages portent sur « le Cambodge, la survie d’un peuple » (Belin, Paris, 2011), « L’Asie du Sud-Est prise au piège » (Perrin, Paris, 2009) et « L’ASEAN et la construction régionale en Asie du Sud-Est » (L’Harmattan, Paris, 1997). Elle a dirigé l’édition de l’Annuaire de l’Asie orientale à La Documentation française (2006 – 2012).