Dialogue Shangri-La 2016 : quelle sécurité pour l’Asie ?
Evidemment, le discours d’ouverture d’Ashton Carter, Secrétaire d’Etat américain à la Défense, insistait sur l’intérêt des fondamentaux du statu quo, notamment le droit international, qui constitue selon Washington, la pierre angulaire de la stabilité, et donc de la sécurité. A ne pas souscrire aux principes de ce droit international (et les remblaiements chinois en mer de Chine du Sud ont été largement évoqués), la Chine s’expose, d’après Carter, au risque d’auto-isolement. D’ailleurs, faisait-il remarquer, de plus en plus de pays viennent solliciter la puissance américaine pour s’assurer de son soutien et c’est bien cette garantie que le président Obama est venu confirmer au Vietnam lors de sa récente visite du 23 au 26 mai derniers.
Ce discours, qui est celui des Etats-Unis depuis plusieurs années mais qui a été plus fermement martelé dans cette édition 2016 (tel un leitmotiv, le terme de principe a été utilisé une quarantaine de fois pendant le discours d’Ashton Carter), n’a apparemment pas ébranlé les responsables chinois. Le vice-amiral Gua Youfei n’a pas manqué de faire observer que « souvent, les Etats-Unis agissaient en plaçant leurs intérêts au-dessus des principes auxquels ils souscrivent ». De son côté, l’Amiral Sun, dans une posture très grandiloquente (son discours était retranscrit en direct à la télévision chinoise), répétait l’argumentation de Pékin (« cette mer appartient depuis des temps anciens à la Chine ») et considérait la menace d’un auto-isolement chinois, brandie par Ashton Carter, comme peu sérieuse.
Ce faisant, l’Amiral a reconnu que les autres pays d’Asie, et notamment d’Asie du Sud-Est, n’avaient d’autre choix que de se rapprocher d’une puissance chinoise dont ils tirent un vrai dynamisme économique. Voire une certaine légitimité politique non seulement nationale (via un soutien pluriforme à des régimes contestés sur le plan interne), mais aussi régionale (Pékin ayant habilement donné un écho apprécié aux termes et modalités de l’ASEAN). Cette dépendance asymétrique envers le grand voisin les incite à la prudence. Pour l’Asie du Sud-Est, la priorité est d’accompagner, en la facilitant autant qu’en en tirant parti, ce que le ministre malaisien Hishammuddin a qualifié de grande « transition géopolitique en Asie-Pacifique ». Les dix partenaires de l’ASEAN craignent en effet de rester « sur la plage » si cette transition vers un nouveau système sécuritaire s’organise sans eux et à leurs dépens.
Si l’ensemble des ministres et responsables présents ont appelé – sans surprise – à une nouvelle architecture de sécurité régionale, l’enjeu central est bien de savoir sur quelle base cette architecture pourrait se négocier et quel serait le vecteur d’influence le plus efficace pour en définir les modalités. Pour répondre aux nouveaux défis, à un nouvel équilibre des forces et aux nouveaux paramètres de puissance, la sécurité de l’Asie doit être repensée et avec elle – ou à cause d’elle -, la relation sino-américaine dans un système mondial qui n’est plus (seulement) occidental.
Le président Obama quittera la Maison blanche sans avoir apporté de réponse vraiment audacieuse à ces questions. Car au final, le « rebalancing » des Etats-Unis, qui s’est notamment traduit par un redéploiement actif des forces américaines de Darwin en Australie, aux Philippines, par les FONOP (Freedom of Navigation Operations) en mer de Chine du Sud et par la levée de l’embargo sur les armes au Vietnam, reste conventionnel dans son essence comme dans ses modalités : le pivot n’est pas l’annonce d’un nouvel ordre mais la remise à niveau de l’ordre ancien. Les arguments employés par Ashton Carter durant le Shangri-La Dialogue n’abordaient pas le fond qui est l’ajustement à l’émergence d’un modèle de gouvernance sécuritaire nouveau, et la contribution américaine. La Chine quant à elle, a eu recours à un vocabulaire empathique (« il vaut mieux ouvrir son cœur qu’ouvrir le feu ») pour masquer des ambitions et des intérêts bien compris.
Sur le coup, les autres participants ont tenu des propos convenus alors qu’en coulisses, ils exprimaient leur impatience de voir des déblocages s’opérer. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a émis l’idée que des bâtiments européens affichent une présence « régulière et visible » en mer de Chine du Sud. Rappelant qu’aucun ordre international n’était figé, le ministre français a subtilement préconisé un processus d’adaptation nécessaire pour éviter une « instabilité catastrophique ». Il est vrai qu’avec la menace nucléaire nord-coréenne, les enjeux territoriaux en mer de Chine du Sud, le risque terroriste, les flux migratoires ou la course aux armements, l’Asie orientale doit trouver des règlements qui s’émancipent des blocages propres à la relation sino-américaine.
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