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Expo : collages de civilisations par Xu Zhen chez Perrotin

Xu Zhen, "Eternity-Tang Dynasty Bodhisattva of the Hebei Province Museum, Northern Qi Losana Buddha of the Longxing Temple, Bodhisattva of the Xiude Temple, West Pediment of the Temple of Aphaia", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
Xu Zhen, "Eternity-Tang Dynasty Bodhisattva of the Hebei Province Museum, Northern Qi Losana Buddha of the Longxing Temple, Bodhisattva of the Xiude Temple, West Pediment of the Temple of Aphaia", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
Après la fondation Louis Vuitton l’année dernière, c’est au tour de la prestigieuse galerie Perrotin d’exposer les œuvres de Xu Zhen. L’artiste shanghaïen greffe et fusionne les cultures entre elles avec une liberté déconcertante.
L’art est global et répond aux règles du libre-échange, et cela ne pose pas de problème à Xu Zhen. La culture est mondiale, ses créations interchangeables et Internet a abattu les frontières autour de nous. Voilà ce qu’on se dit en voyant les répliques d’antiques statues grecques coiffées de boddhisattvas chinois exposés dans les belles salles claires de la galerie Perrotin rue de Turenne. Plus loin, un dragon ocre et élancé, réplique d’une sculpture de la période des six dynasties (IIIème au VIème siècle avant J.-C.), pose sur un promontoire tout en couvant des muses dormantes des débuts de l’art moderne. Ces pièces hybrides font partie de la série « Eternity » que l’artiste nourrit depuis 2014. Est-elle un canular ? Une tentation holistique de marier l’orient à l’occident ? Ou bien une représentation directe du choc des civilisations ?

Collage de civilisations

Depuis ses débuts, Xu Zhen a toujours été un provocateur, ou plutôt un « cynique », comme on l’entendait en Chine dans les années 1990. De fait, jouer avec les symboles des hautes cultures du monde pour créer de nouvelles icônes n’a jamais été un tabou. Mais derrière cette fabrique d’objets, hybrides et désirables, cette appropriation en apparence facile, Xu Zhen questionne les bases même de l’histoire de l’art, créant au passage de nouveaux référents pour une génération d’individus globaux.
Plus loin dans l’espace de la galerie, de hautes statues africaines nous regardent de leurs yeux fixes tandis que des figurines Cosplay jaillissent de leur entrejambes. Dans le jardin, c’est une statue de femme de la dynastie Tang qui arbore un masque Bini et dans l’espace annexe, ce sont les bouddhas peints de Dunhuang qui portent des masques Eket (Nigeria). Là encore, Xu Zhen inverse et substitue des symboles de cultures étrangères, métisse le patrimoine mondial et force ces pièces anciennes à entrer en relation avec le monde actuel.
Xu Zhen, "Eternity-New 40403 Stone Statue, Aphrodite Holding Her Drapery", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
Xu Zhen, "Eternity-New 40403 Stone Statue, Aphrodite Holding Her Drapery", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
« Aujourd’hui dans le monde, beaucoup de frontières se sont dissoutes tandis que la science modifie tous les jours notre mode de vie. La culture sert à digérer et à restituer tous ces changements », commente Xu Zhen en parlant du concept d’« itération culturelle », titre de l’exposition. « L’itération, c’est pour moi le processus de répétition et d’aller-retour par lequel on arrive à la digestion des acquis culturels. »

Internet omniscient

Xu Zhen ne parle pas anglais, ne prend pas l’avion et se définit comme un artiste « post-Internet ». Il reconnaît sans complexe être influencé davantage par ce qu’il trouve en ligne ou dans les livres que par les originaux des chefs-d’œuvres mondiaux. Comme nous tous, Xu Zhen se nourrit d’images. Ces images charriées en continu sur le web, sans chronologie ni hiérarchie particulière : tableaux de maîtres, tabloïds, wikileaks… Tout existe et tout se trouve sur le Net et ce flux permanent nous plonge dans un relativisme absolu.
« Je fais tout par Internet et je suis fasciné par les événements qui apparaissent dans les media, confie Xu Zhen. Que l’on soit à Pékin, New York, Londres ou Paris, ces événements ne nous sont jamais restitués dans leur intégralité. Il n’y pas de vérité, et c’est cela qui nous rend plus exigeants dans la compréhension des faits. »
Xu Zhen, "Evolution-Statue Mbole Ofika, Tatenashi Sarashiki", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
Xu Zhen, "Evolution-Statue Mbole Ofika, Tatenashi Sarashiki", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)

Artiste entreprise

Stimuler les gens, greffer des éléments en apparence antinomiques pour placer le spectateur face à ses idées reçues, Xu Zhen le fait depuis ses débuts où il était encore le directeur artistique de Bizart, espace dédié aux pratiques expérimentales à Shanghai. Depuis 2009, c’est sous l’entité de MadeIn, une société de production artistique qui regroupe aujourd’hui une cinquantaine de personnes que Xu Zhen élabore tous ses projets et explore l’infini du possible dans l’art. Conception, production, design, media, exposition, MadeIn est une usine, une galerie, une plateforme, tout cela à la fois, une véritable factory « warholienne » qui surfe sur la boulimie du marché mondial. Alors que certains critiques d’art voient en cette entreprise une posture à la Koons, Xu Zhen, lui, assume à fond le rôle de l’artiste entrepreneur.
« Selon moi, l’art c’est l’art, et le marché n’est qu’une de ses formes d’existence. Le commerce peut tout à fait jouer en faveur de l’art et lui permettre d’étendre son influence », explique l’artiste qui a créé plus récemment « Xu Zhen », la marque homonyme exploitée par MadeIn choisissant le statut de produit au détriment de celui d’artiste.
Xu Zhen, “Eternity-Six Dynasties Period Painted Earthenware Dragon, Sleeping Muse", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
Xu Zhen, “Eternity-Six Dynasties Period Painted Earthenware Dragon, Sleeping Muse", 2016. (Copyright : Galerie Perrotin)
« Avec la marque Xu Zhen, l’artiste développe une gamme de produits dont certains à des tarifs avantageux pour le néophyte, confie en souriant Alexia Dehaene, directrice de projet chez MadeIn. Ces produits sont vendus dans la boutique de notre espace du West Bund à Shanghai. Par ces produits plutôt accessibles, Xu Zhen veut avant tout se faire connaître du grand public car celui-ci est encore très peu au fait de l’art et de ses pratiques. Nous avons par exemple déjà vu des visiteurs nous demander où étaient les œuvres dans une exposition où les pièces étaient réalisées dans des matériaux de construction. »

Un projet culturel

Derrière la corporation, et la production sériale d’objets, MadeIn nourrit donc aussi un projet humain et même véritablement culturel. En créant sans cesse de nouveaux objets, de nouveaux contextes à la réflexion et en amalgamant des pans épars de l’histoire, l’entité de Xu Zhen ne se propose pas moins que de changer les codes d’assimilation de la culture mondiale.
« Dans l’absolu, l’art est un témoignage du temps et le récipient de l’énergie humaine », l’artiste shanghaïen. Reste à savoir si les statues « éternelles » de Xu Zhen, réalisées en pierre artificielle, rentreront dans la postérité ou si dans le monde de demain, seule l’image de ces statues restituée sur un écran suffira à faire l’histoire.

A voir

L’exposition de Xu Zhen « Cultural Iteration » se visite à la galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, Paris IIIe jusqu’au 29 juillet.

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A propos de l'auteur
Basée en Chine pendant 16 ans où elle a passé sa post adolescence au contact de la scène musicale pékinoise émergente, Léo de Boisgisson en a tout d’abord été l’observatrice depuis l’époque où l’on achetait des cds piratés le long des rues de Wudaokou, où le rock était encore mal vu et où les premières Rave s’organisaient sur la grande muraille. Puis elle est devenue une actrice importante de la promotion des musiques actuelles chinoises et étrangères en Chine. Maintenant basée entre Paris et Beijing, elle nous fait partager l’irrésistible ascension de la création chinoise et asiatique en matière de musiques et autres expérimentations sonores.