Economie
Expert - Entrepreneurs français d'Asie

En Chine, "Lihaoma", la startup de Rachel Daydou transforme la pub en jeu

En Chine, l'application Lihaoma, dont Rachel Daydou est l'une des dirigeantes, transforme la publicité de marques en jeu. (Copyright : Lihaoma)
En Chine, l'application Lihaoma, dont Rachel Daydou est l'une des dirigeantes, transforme la publicité de marques en jeu. (Copyright : Lihaoma)
Née dans le 13ème arrondissement de Paris, Rachel Daydou est venue vivre à Pékin en 2007. A l’époque, cette jeune trentenaire continuait sa licence par correspondance, étudiait le chinois à l’UIBE (Université de commerce international et d’économie de Pékin) et travaillait à mi-temps pour OpenMind Asia, une agence d’événementiel. Le choix de la Chine n’est pas un hasard pour Rachel qui a grandi en regardant les films de mafia hongkongaise. En effet, depuis toute petite, elle est intéressée par l’Empire du milieu. Elle a ainsi pratiqué le kung-fu pendant 10 ans et a gagné 8 fois les Championnats de France. Après 9 mois en Chine, elle est rentrée finir son Master de management de projet à l’international à la Sorbonne Nouvelle.
De cette époque, elle a gardé le souvenir d’avoir énormément aimée apprendre auprès des professionnels – notamment lors de son passage en tant que chargée événementielle pour la maison de vente aux enchères Christie’s où elle a eu la chance de travailler toute la journée entourée d’œuvres d’art- et d’échanger avec les élèves internationaux de sa classe. Aujourd’hui, elle dirige Lihaoma, une application inédite pour offrir et se faire offrir des cadeaux en Chine, qui fonctionne selon un principe simple : les utilisateurs gagnent et offrent des cadeaux digitaux, qui se transforment en expériences réelles.
Quelles ont été vos différentes expériences professionnelles avant celle qui vous occupe aujourd’hui ?
Rachel Daydou : Après mon diplôme, de retour à Pékin en 2011, j’ai travaillé en tant que chef de produit pour le distributeur d’ABinBev pendant plus de trois ans. J’ai énormément appris sur la culture chinoise du business, notamment sur comment survivre à un « banquet business » et comment gérer les dessous de table des distributeurs. En 2014, le Pdg du groupe Beaumanoir Stéphane Torck me propose de rejoindre leur équipe retail en tant que chef de projet. J’étais basée en magasin et devais apporter une « vision client » au siège de Shanghai, formant les employés sur le terrain à gérer un nouveau type de magasin premium et en ajustant les processus du siège pour mieux soutenir ces nouveaux besoins. J’ai fini par gérer 20 magasins tout autour de la Chine et à lancer la marque Bonobo sur le marché chinois. Entre-temps, mon business partner Benjamin Clayes me propose de rejoindre Lihaoma en tant que directrice commerciale. Je suis à plein temps dessus depuis presque 2 ans. Nous participons actuellement au programme d’incubation de Chinaccelerator.
En parallèle, je m’implique dans la communauté des startups à Shanghai en organisant les événements Startup Grind tous les mois, et en mentorant des startups de French Tech Shanghai. Par ailleurs, j’enseigne et je gère un programme d’entreprenariat à l’UTSEUS (Université de Technologie Sino-Européenne de l’Université de Shanghai). Ces différentes activités – apprendre, faire et enseigner – sont extrêmement complémentaires et me permettent de comprendre l’entrepreneuriat en Chine de manière très complète.
Rachel Daydou, associée et directrice du développement chez Lihaoma. (Crédit : DR).
Rachel Daydou, associée et directrice du développement chez Lihaoma. (Crédit : DR).
Quelle est l’activité de votre société et quels en sont les clients types idéaux ?
L’idée de départ est simple. Nous détestons tous les SPAM. En Chine d’autant plus, où ils prennent des proportions délirantes et envahissent tous les espaces privés (appels commerciaux sur votre mobile, SMS, WeChat ou emails). Dans le même temps, les consommateurs cherchent à découvrir de nouvelles marques mais bloquent les publicités. C’est là que Lihaoma entre en jeu puisque nous transformons la publicité en divertissement. Ainsi, les consommateurs chinois peuvent jouer à des mini-jeux pour gagner des cadeaux de marques.
Nous aidons 350 marques telles que Pernod Ricard, Budweiser, Dunkin’ Doughnuts ou Feiyue à multiplier par 10 le retour sur investissement de leur publicité en ligne. Notre application mobile et SaaS sont utilisés par de grands distributeurs, des influenceurs, et surtout beaucoup de sites Taobao.
L'application Lihaoma.
L'application Lihaoma. (Crédit : DR.).
Pourquoi avez-vous créé cette activité ? Quels étaient les problèmes, encore non résolus, que vous avez identifiés ? Et quelles solutions avez-vous apporté ?
Nous avons d’abord lancé une application qui permettait de personnaliser et d’envoyer un coupon sur le téléphone de votre ami qui pouvait aller récupérer son cadeau en magasin. J’aimais beaucoup l’idée de pouvoir créer une expérience hors ligne pour mes amis sans être auprès d’eux. En effet, ce problème, je le vivais personnellement et je ne trouvais pas de solution existante. Après le lancement, nous avons vu une très grande traction sur les cadeaux des marques aux utilisateurs. C’est pour cela que nous avons pivoté dans cette direction.
Où en est votre société aujourd’hui ?
Nous avons 15 employés tout autour du monde et 2 bureaux en Chine. Nous avons exécuté plusieurs milliers de campagnes et envoyé des dizaines de milliers de cadeaux à nos utilisateurs.
Comment se structure légalement votre société ?
Nous avons une holding à Hong Kong et une société partenaire locale pour nos opérations en Chine. Ce montage était le plus rapide et le moins cher. Il nous donne surtout la flexibilité de recevoir des investissements en dollars et en yuans. Je ne ferais pas autrement car cela nous a permis de nous lancer très rapidement et d’éviter énormément de coûts.
Quels types de difficultés administratives avez-vous rencontré en montant votre entité ?
Étant entrée au capital après la création de la holding hongkongaise, je dois avouer que je m’y connais peu dans ces considérations.
Quels sont, en revanche, les avantages évidents ?
Disponibilité des capitaux (société hongkongaise), possibilité de porter des visas étrangers (société chinoise), de recevoir des investissements en dollars et en yuans.
Auriez-vous pu développer le même business en France ? Et envisagez-vous de revenir développer cette même activité dans l’Hexagone ?
Je n’ai pas l’intention de revenir en France pour l’instant. N’ayant travaillé qu’en Chine, je ne connais pas bien le marché français. Ainsi, je ne sais pas si je serais capable d’exécuter ce concept de manière aussi efficace.
Envisagez-vous un développement sur d’autres pays d’Asie ?
Réussir sur le marché chinois serait déjà formidable ! Malheureusement, les leçons apprises en Chine ne permettent pas forcément de les appliquer ailleurs – en raison des spécificités (réelles et fantasmées) du marché. Ainsi, la proximité géographique serait une des seules raisons pour se lancer en Asie plutôt qu’ailleurs. Nous avions considéré Singapour et la Corée du Sud du fait de réseaux mobiles très développés et de leur culture du gaming.
Parlons de vous, l’entrepreneuse française basée en Chine. Quels sont vos rituels du matin pour démarrer votre journée de travail ?
*En français, schéma d’organisation de produits complexes, le SCRUM est à la fois une boîte à outils et une organisation du temps.
Réveillée par mon téléphone, je suis tout de suite opérationnelle et commence à penser à ma journée sous la douche. Puis, je saute sur mon Mobike [Bike Sharing Company, disponible en Chine dans la majorité des grandes villes, NDLR] pour une petite demie-heure de vélo et je petit-déjeune en réunion avec mon business partner. Ensuite, il faut bien avouer que grâce à Chinaccelerator, tout s’est accéléré et structuré (ce qui fût bienvenu !). Ainsi, nous faisons un SCRUM* quotidien par WeChat avec le bureau de Pékin, un meeting interne hebdomadaire sur Skype ; nous déjeunons une fois par semaine tous ensemble, et faisons un « happy hour » au bureau les vendredis soirs. En parallèle, nous échangeons constamment par WeChat.
Dans le cadre du programme Chinaccelerator, nous devons tous faire au moins une expérience par semaine au niveau de notre plateforme (jusqu’à 3 par semaine pour les fondateurs), et immédiatement appliquer les leçons apprises. Nous rencontrons nos utilisateurs toutes les semaines pour mieux les comprendre. Ainsi, nous pouvons voir une évolution presque journalière de notre activité.
Par ailleurs, je suis invitée plusieurs fois par semaine à « pitcher », participer à des événements de startups ou encore présenter différents projets. La construction du réseau est une activité à laquelle nous dédions beaucoup de temps car elle a été un facteur-clé de notre succès jusqu’à maintenant.
Comment définir ce qu’est un « entrepreneur » ?
C’est essayer d’apporter de la valeur à quelqu’un. Mettre la main à la pâte. Être pertinent, humble, se tromper souvent, vivre dans l’incertitude. C’est un état d’esprit, presque une identité, pas un « boulot » !
Du fait de la différence de l’environnement dans lequel vous évoluez, quelles sont les difficultés locales que vous rencontrez et que vos clients ont généralement du mal à comprendre ?
Les difficultés les plus importantes pour moi sont la compréhension du marché (bien que j’ai un niveau HSK5 en Chinois, je ne peux pas comprendre 100% des comportements) et l’accès au capital dû à une crise de confiance des partenaires chinois (investisseurs, grands groupes locaux), car ils ne pensent pas que des étrangers peuvent réussir sur ce marché.
Quelles sont vos 2-3 conseils à ceux qui souhaiteraient se lancer dans une aventure entrepreneuriale en Chine ?
Venez d’abord voir et confrontez vos idées avec les réalités du marché ! Les opportunités ne sont pas forcement là ou on les attend et notre capacité à les saisir ne peut être évaluée qu’ici. Il y a beaucoup d’innovation en Asie et en Chine, le marché a beaucoup mûri. Il est d’ailleurs possible qu’il soit plus profitable de ramener en France des technologies et concepts que l’inverse !
Ensuite, il faut, me semble-t-il, un intérêt intense et authentique pour la culture chinoise, au risque d’être « dégouté » de l’aventure, car l’adaptation est difficile. Finalement, la clé de la réussite n’est pas la passion dans son produit mais la passion dans le problème que l’on essaye de résoudre. Car la solution peut et doit changer au contact du marché. Ainsi, je vous invite à vous passionner pour votre problème, et à venir construire en Asie des solutions locales !
Quels seraient les développements de votre entreprise à espérer dans les 6 à 12 prochains mois, et qui mériteraient qu’on fasse un suivi de cette interview ?
Nous lançons tout juste le SaaS et sommes en plein dans le tourbillon de l’accélérateur. Nous nous préparons à une levée de fonds qui nous permettra de développer encore plus de jeux et à amuser encore plus de consommateurs.
Propos recueillis par Gregory Prudhommeaux

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A propos de l'auteur
Basé à Shanghai depuis 2006, Gregory Prudhommeaux est le fondateur de NextStep, qui accompagne les entrepreneurs en Chine par le conseil et la mise en réseau. Lui-meme "serial entrepreneur", il a longtemps animé la Jeune Chambre de Economique Française (JCEF) à Shanghai, et collaboré au Petit Journal Shanghai et est associe au Milu, le guide des nouveaux arrivants. Il a également travaillé pour des cabinets de conseils comme Altios International. Pour Asialyst, il donne la parole à ceux qui ont décidé de tenter l’aventure entrepreneuriale en Asie. Ils nous présentent leur activité, mais surtout leur parcours d’entrepreneur avec ses bons et moins bons moments, les difficultés et les avantages d’avoir choisi le marché asiatique, qui est aujourd’hui le leur.