Economie
Expert - Entrepreneurs français d'Asie

Chine : les défis de Wishu, marque française créée pour l'hygiène des Chinoises

Virginie Pré, cofondatrice de Wishu, société basée à Shanghai et spécialisée dans les produits d'hygiène féminin.
Virginie Pré, cofondatrice de Wishu, société basée à Shanghai et spécialisée dans les produits d'hygiène féminin. (Crédits : DR)
Originaire de Seine-et-Marne, Virginie Pré est titulaire d’un Diplôme Universitaire de Technologie orienté commerce et marketing. Après une dizaine d’années passées dans le secteur bancaire sur Paris à des postes plus ou moins commerciaux, elle décide de venir s’installer en Chine, à Shanghai en septembre 2012 avec son compagnon Jeremy Rigaud, afin de changer de vie et se lancer de nouveaux challenges personnels et professionnels. Avec lui, elle monte une société dont elle est aujourd’hui Pdg et cofonde Wishu®, une marque spécialisée dans les produits d’hygiène féminine.
Quelle est l’activité de votre société et quels en sont les clients-types idéaux ?
Nous avons fondé la société en 2013 à Shanghai et créé la marque Wishu® spécialisée dans l’hygiène intime de la femme. Nous avons conçu une gamme complète de protections hygiéniques (tampons et serviettes hygiéniques, protège-slips, lingettes intimes) qui répond à un besoin croissant de la part des femmes chinoises d’obtenir des produits modernes et de qualité pour leur hygiène intime. Wishu® s’adresse principalement à la femme chinoise entre 20 et 35 ans, active, urbaine et connectée. Elle aime voyager, faire du sport et se sentir libre.
Pourquoi avez-vous créé cette activité ? Quels étaient les problèmes que vous avez identifiés et à qui personne n’apportait de réponse jusqu’ici ?
Lors d’un voyage à Shanghai avant mon installation, j’ai rapidement constaté que certains produits, comme les tampons avec applicateur, n’étaient pas présents en Chine. Les magasins ne proposaient que des serviettes hygiéniques maxi-size (jusqu’à 44cm de longueur) et dont la qualité semblait vraiment mauvaise. J’étais très surprise que dans une ville aussi moderne que Shanghai, on ne puisse pas trouver des produits comme les tampons (utilisés très largement par les femmes dans les pays occidentaux), plus adaptés à la vie des femmes urbaines qui doivent jongler entre transport en commun, business meetings, voyages, soirées, vie de famille… Les produits proposés ne correspondaient clairement pas à la femme chinoise contemporaine et à ses contraintes quotidiennes. C’est de là qu’est née Wishu® ! Nous avons donc démarré avec les tampons avec applicateur, qui restent nos produits phares, et avons étendu la gamme avec des lingettes intimes, des protège-slips et des serviettes hygiéniques (jour et nuit) à base de bambou, ainsi qu’une autre catégorie de tampons (sans applicateur).
Où en est votre société aujourd’hui ? Pensez-vous, avec le recul, que vous feriez les choses différemment si c’était à recommencer ?
Aujourd’hui, nous comptons 3 associés français répartis dans une holding basée à Hong Kong, dont Jeremy et moi-même sommes les deux fondateurs, et Christophe un troisième partenaire investisseur entré au capital en 2015. La holding est seule détentrice de la WFOE (wholly foreign enterprise – société de droit chinois à 100% de capitaux étrangers), entreprise de distribution basée à Shanghai. Nous n’avons pas d’autres bureaux que Shanghai, mais restons ouverts à nous étendre à d’autres pays d’Asie ou d’Europe à moyen ou long terme. A ce jour, la société est valorisée à 1,2 million de dollars.

Sur le site de Shanghai, je manage une petite équipe qui varie entre 2 et 5 personnes selon les besoins du moment. Contrairement à beaucoup d’entités chinoises qui comptent de nombreux salariés, j’ai fait le choix d’avoir une équipe restreinte et efficace, qui apporte une valeur ajoutée et une maîtrise de compétences stratégiques dans notre activité. Notre distribution se fait principalement en ligne sur les plateformes e-commerce chinoises, ce qui correspond parfaitement à notre cible (jeune et connectée) ; j’ai donc une personne en charge du e-commerce. Par ailleurs, j’ai aussi des besoins en business development pour gérer les relations avec les distributeurs et les détaillants, en marketing et community management.

Quels types de difficultés administratives avez-vous rencontrés en montant votre entité ?
Nous n’avons pas rencontré de difficultés majeures lors du montage de la société, si ce n’est le capital de départ assez important à investir (500.000 yuans totalement libérés pour une WFOE commerciale) et la longueur des procédures chinoises lorsqu’on est une société à capitaux étrangers (environ 6 mois afin d’obtenir l’intégralité des licences et certificats nécessaires). Nous avions fait le choix de monter la structure à Shanghai en premier, puis de la rattacher à une holding hongkongaise dans un second temps pour faciliter l’entrée de nouveaux investisseurs. Avec du recul, nous aurions pu faire le choix de réaliser un montage complet en une seule fois dans une logique d’économie financière et de temps.
Quels sont, en revanche, les avantages évidents ?
Une holding à Hong Kong permet de faire rentrer des investisseurs de manière plus rapide et à moindre frais. Elle permet aussi de faire évoluer plus facilement le capital de la société, car en Chine toute démarche ou modification de la licence d’exploitation s’avère lente et coûteuse.
Auriez-vous pu développer le même business en France ? Envisagez-vous de revenir développer cette même activité dans l’Hexagone ?
Le marché français est un marché mature sur lequel il y a peu d’acteurs en dehors des quelques marques à forte notoriété qui monopolisent les rayons depuis quelques décennies. Développer ce business en France serait peut-être l’occasion de donner un coup de pied dans la fourmilière afin de bousculer les acteurs historiques et proposer de nouvelles solutions aux femmes en Europe. Wishu® pourrait apporter un souffle novateur et une offre plus globale sur ce marché.
Parlons de vous, l’entrepreneure française basée en Chine. Quels sont vos rituels du matin pour démarrer votre journée de travail ?
J’ai la chance d’habiter à quelques pas de mon bureau, ce qui me permet de ne pas avoir à trop me presser le matin. Je commence par lire et répondre aux emails. Ensuite, je regarde quelle a été l’activité depuis la veille sur toutes nos plateformes e-commerce (de nombreux achats s’effectuent le soir et la nuit). Cela me permet d’évaluer quelle va être la charge de travail pour mon équipe et comment répartir les différentes tâches à accomplir sur la journée ou la semaine.
A quoi ressemblent une journée et une semaine de travail avec votre équipe à Shanghai ?
Tous les lundis, je fais une réunion avec l’équipe pour mettre en place ou suivre les campagnes à réaliser ou en cours (brainstorming, sélection produits, plateformes, visuels, message, campagnes sur les réseaux sociaux, visites des distributeurs…). Je les suis quotidiennement sur les avancées des différentes tâches à réaliser grâce à des indicateurs de performance.

Je gère aussi directement une partie des distributeurs et détaillants et m’assure d’entretenir de bonnes relations avec eux. Je supervise les commandes, les expéditions, les facturations, la présentation des nouveaux produits…
Je suis quotidiennement l’activité commerciale afin de piloter plus facilement les futures actions à mener pour améliorer la distribution online et offline.

En fin de journée, je poursuis souvent avec des événements, meetings, soirées networking ou plus détente selon l’humeur. Shanghai fait partie de ces métropoles dont l’activité et le dynamisme se renouvellent sans cesse. Nous essayons donc d’en profiter au maximum aussi bien professionnellement que personnellement.

Comment définissez-vous un « entrepreneur » ?
Je vois l’entrepreneur comme une personne qui s’investit d’une mission au profit de la communauté, et utilise des moyens qui doivent faire preuve de créativité pour atteindre ses objectifs. C’est un aventurier moderne en quelque sorte !
Est-ce que vous appliqueriez cette même définition si vous étiez en France ou bien est-elle particulière à l’entrepreneur en Chine ?
Le fait d’être dans un pays différent de notre environnement français nous oblige à trouver des solutions innovantes pour réussir, ou en tous cas pour se faire une place parmi les concurrents. On joue notamment sur le côté français qui plait beaucoup aux Chinois(es) !
Compte tenu de l’environnement spécifique dans lequel vous évoluez, quelles sont les difficultés locales que vous rencontrez et que vos clients ont généralement du mal à comprendre ?
Lorsque nous avons démarré l’aventure Wishu®, nous faisions toutes les démarches nous-mêmes, notamment rencontrer des distributeurs chinois. Ces derniers avaient du mal à comprendre pourquoi nous n’avions pas une équipe de 20 à 50 personnes pour gérer notre société…

En ce qui concerne nos clientes finales (les utilisatrices de nos produits), elles partent souvent du postulat qu’un produit ou une marque qu’elles n’utilisent pas, n’est sans doute pas utilisé par d’autres (cas des tampons hygiéniques)… Heureusement, ce n’est pas le cas !

Une autre de nos difficultés est la compréhension d’une marque hybride comme Wishu® : elle est française car créée par des Français mais elle n’est pas identifiée comme marque de luxe ; elle est aussi chinoise car créée pour le marché chinois et vendue uniquement en Chine pour le moment.

Quels seraient les 2-3 conseils que vous pourriez partager avec ceux qui souhaiteraient se lancer dans une aventure entrepreneuriale en Chine ?
Etre patient ; prévoir des ressources financières suffisantes pour se développer sur le marché chinois ; être bien entouré, se constituer un réseau avant de commencer ; s’inscrire à la fac pour apprendre le chinois avant de se lancer car on n’a plus le temps une fois dans le bain.
Quels seraient les développements que nous pourrions espérer dans les 6-12 prochains mois qui mériteraient qu’on fasse un suivi de cet entretien ?
Maintenant que notre gamme est complète et couvre tous les besoins de la femme, nous sommes prêts pour ouvrir un Tmall store (équivalent d’Amazon en Chine) et choisir des canaux de distribution retail sélectionnés pour construire et développer sainement la marque.
Propos recueillis par Gregory Prudhommeaux

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Basé à Shanghai depuis 2006, Gregory Prudhommeaux est le fondateur de NextStep, qui accompagne les entrepreneurs en Chine par le conseil et la mise en réseau. Lui-meme "serial entrepreneur", il a longtemps animé la Jeune Chambre de Economique Française (JCEF) à Shanghai, et collaboré au Petit Journal Shanghai et est associe au Milu, le guide des nouveaux arrivants. Il a également travaillé pour des cabinets de conseils comme Altios International. Pour Asialyst, il donne la parole à ceux qui ont décidé de tenter l’aventure entrepreneuriale en Asie. Ils nous présentent leur activité, mais surtout leur parcours d’entrepreneur avec ses bons et moins bons moments, les difficultés et les avantages d’avoir choisi le marché asiatique, qui est aujourd’hui le leur.