Gilles Verniers : "Le gouvernement indien se réoriente sur la mobilisation ethnique et religieuse"

Entretien
A l’université Ashoka (Delhi) où il est professeur de sciences politiques, Gilles Verniers participe notamment à un projet sur la visibilité de la démocratie, soutenu par l’Alliance Program de l’Université de Columbia. Il dirige le Trivedi Centre for Political Data, un centre de recherche dédié à la sociologie des élections et de la classe politique indienne. Il coordonne avec le Professeur Christophe Jaffrelot un projet portant sur la sociologie des représentants élus en Inde, mené conjointement par Ashoka, Sciences Po, le King’s India Institute, et le CSDS à Delhi. Il codirige avec Christophe Jaffrelot et le Dr. Sanjay Kumar (CSDS) un ouvrage à paraître sur la sociologie des élus des assemblées législatives en Inde.
Gilles Verniers est docteur en science politique (Centre d’études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po). Il a été chercheur invité à l’Institute of International Studies de l’Université de Californie à Berkeley. Il est également titulaire d’un master de science politique, d’un diplôme complémentaire en philosophie et d’un diplôme complémentaire en éthique économique et sociale de l’Université catholique de Louvain.
Le Hindu Mahasabha ne s’est jamais embarrassé de ces questions-là. C’est une organisation qui ne se borne pas à présenter des candidats aux élections mais qui est aussi dans l’action sur le terrain pour mettre en place les conditions de la domination de la majorité hindoue. Yogi Adityanath a notamment créé il y a un certain nombre d’années une brigade, la Hindu Yuva Vahini, qui vise à imposer la domination hindoue grâce à des actions de type « milice ». Ils se font justice eux-mêmes sur des questions qui ont pour eux une importance soit religieuse soit symbolique. La protection de la vache, par exemple, est un de leurs sujets fétiches. Le but est d’altérer les comportements dans la société au nom de la protection de la vache et de la défense des intérêts hindous. Cette brigade est connue pour avoir organisé des émeutes intercommunautaires qui ont mené à des destructions et à des morts.
Cette nomination est donc perçue comme une rupture puisque le choix est très clair. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent sur la volonté de Yogi Adityanath de se consacrer au développement, il incarne quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse la version la plus militante du nationalisme hindou. C’est quelqu’un qui a au cours de sa carrière proféré un certain nombre de mots et d’appels à la violence qui font de lui un leader incontesté de la branche la plus dure de cette mouvance.
En outre, vu l’importance de l’Uttar Pradesh, le choix de son ministre en chef est clairement un signal envoyé à l’ensemble du pays ; il ne s’explique pas uniquement par des considérations régionales. Il y a un clair changement d’orientation qui indique la route que le Premier ministre entend emprunter d’ici aux prochaines élections générales de 2019. Les cyniques disent que l’agenda de développement a été très utile et performant pour leur permettre d’obtenir le pouvoir en 2014 mais que la capacité de transformer la vie des gens en améliorant la situation économique du pays est une chose extrêmement difficile à faire. Leur crainte était donc qu’au bout de cinq ans, il n’y ait pas suffisamment de changement tangible dans la vie des Indiens pour qu’ils soient facilement réélus uniquement sur des questions liées au développement. Cela peut permettre de comprendre pourquoi ils se tournent de nouveau vers ce qui définit le fond de leur projet politique.
D’une certaine manière, tout cela va renforcer la marginalisation des musulmans, qui le sont déjà fortement. Cela va contribuer à les rendre davantage invisibles. Ils n’auront plus personne pour les représenter, plus personne pour les défendre.
Mais dans les circonstances actuelles, le BJP est là pour longtemps. Et ce qui est effrayant, c’est leur volonté de rechercher sans cesse plus de pouvoirs. Dans la dernière loi de finances, il y a un ensemble de dispositions très inquiétantes : ils tuent le peu de transparence qu’il y avait dans les financements politiques en rendant anonymes les donations des entreprises aux partis, ils donnent des pouvoirs arbitraires à l’administration fiscale qui pourra confisquer les biens et les propriétés : le jour où il y aura un raid du fisc, le contribuable pourra se faire confisquer toutes ses propriétés pour six mois sans recours… Ils ont aussi promis de mener une espèce de croisade contre l’évasion fiscale mais en examinant les déclarations de revenus depuis les années 1960, donc avec une énorme rétroactivité. Ils s’arrogent des pouvoirs immenses qui ne peuvent qu’évoquer Indira Gandhi [et la période de l’État d’urgence quand celle-ci avait suspendu la plupart des libertés publiques, NDLR]. Pour l’instant ils ne se sont pas attaqué à la Constitution mais d’ici deux ans, quand ils auront une majorité à la chambre haute du Parlement, ils auront les mains libres. Ils se transforment en fait en pouvoir hégémonique, mais par des voies parfaitement démocratiques, moralement discutables mais néanmoins légales.
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