Cao Huaqin : "Si c’est moi le gros poisson de la mafia chinoise, les vrais bandits doivent se marrer"
Contexte
Les fantasmes sur les asiatiques ont la vie dure, l’un des plus récurrents étant peut-être celui qui associe la vie d’une communauté aux activités de bandes criminelles.
Quelle est ici la part du fantasme et de la réalité ? L’idée que la mafia chinoise, telle une pieuvre, viendrait s’infiltrer dans toutes les activités des Français d’origine chinoise ou même des migrants chinois d’Ile-de-France fait en tous cas sourire Chuang Yahan : « Lors de mes enquêtes, je n’ai jamais entendu parler de personnes manipulées par les mafias, affirme cette docteur en sociologie de l’Université Paris-Sorbonne qui depuis six ans étudie la communauté chinoise. Il faut rester très prudent avec ce type de cliché qui est facilement utilisé pour tenter de délégitimer des mobilisations spontanées. »
Que vient faire la mafia dans ce drame ? Selon les avocats de la famille de la victime, ce n’est pas la première fois que des informations issues de notes des renseignements intérieurs apparaissent dans la presse alors qu’une enquête est en cours. « A chaque fois qu’il y a une probable bavure policière, affirme Maître Calvin Job, on est confronté à ce genre de contre-feux. C’était le cas déjà lors de l’affaire Théo ou pour Adama Traoré. On découvre par voie de presse, des éléments sur les victimes ou leurs soutiens qui ne concernent pas directement les faits incriminés. »
La note des renseignements intérieurs citée par le Parisien et le Monde indique que les mafias chercheraient à influencer l’actuel mouvement de contestation pour récupérer le « marché de la sécurité ». La mafia chinoise peut-elle manipuler les manifestants chinois qui réclament justice depuis une semaine ? Et si on arrêtait un peu « les clichés », demande olivier Wang, l’adjoint au maire du 19ème arrondissement dans le Nouvel Obs. « Le terme mafia revient à chaque fois que l’on évoque la communauté chinoise, » constate également Martin Shi. « Les médias français en sont très friands, cela permet de mieux vendre les histoires » poursuit l’auteur d’une composition parodique sur la « mafia chinoise de Belleville » en 2012 :
Cette caricature d’une communauté est-elle liée à l’angoisse sécuritaire des Franco-Chinois ? Sachant que la demande de policiers supplémentaires n’a pas eu de retour immédiat, différentes initiatives ont été prises par les migrants chinois des quartiers populaires, note encore Chuang Yahan : « Certains commerçants ont voulu s’associer pour installer des caméras de surveillance, précise la sociologue. On voit aussi qu’aujourd’hui ils embauchent de nombreux agents de gardiennages qui ne sont pas d’origine chinoise. Et puis, des patrouilles organisées par les habitants eux-mêmes ont été mises en place dans les zones résidentielles. »
Ces gros bras « citoyens » ont-ils été confondus avec les mafias ? Une chose est sûre, le regard sur la police française a aujourd’hui changé. « Pendant longtemps, la communauté chinoise pensait que police était synonyme de protection, ajoute Chuang Yahan. L’affaire Théo a contribué à nuancer cette image. Toute la mobilisation autour de cette affaire a fourni un exemple pour ces jeunes Chinois qui connaissent de mieux en mieux les formes d’actions collectives dans la société française. Ces jeunes disposent désormais d’un véritable savoir-faire en matière de contestation. Ils sont sensibles politiquement, ce qui leur permet de se mobiliser contre le racisme et les violences institutionnelles à chaque fois que nécessaire. »
Ce qui frappe dans le récit de la famille Liu, c’est la peur qu’il disent ressentir lorsque des « hommes habillés en civils et armés » viennent frapper à leur porte. La communauté chinoise est-elle victime de psychose ? « Je ne connais pas l’histoire familiale de Monsieur Liu, indique Chuang Yahan. Mais pour beaucoup de migrants chinois qui débarquent à Paris sans maîtriser bien la langue française, l’interaction avec les policiers se révèle souvent une expérience assez humiliante. Elle laisse une empreinte de peur durable chez ces personnes qui préfèrent se cacher plutôt que de se retrouver à nouveau confrontées à l’administration française. »
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