Histoire
L'Asie du Sud-Est dans la presse

Philippines : Duterte rêve encore de la loi martiale pour "en finir avec tous les problèmes"

Le président philippin Rodrigo Duterte reçu par le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-ocha lors d'un dîner d'Etat à Bangkok mardi 21 mars 2017. (Copie d'écran de Channel News Asia)
Le président philippin Rodrigo Duterte reçu par le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-ocha lors d'un dîner d'Etat à Bangkok mardi 21 mars 2017. (Copie d'écran de Channel News Asia)
Mettra-t-il vraiment sa menace à exécution ? Rodrigo Duterte menace d’instaurer la loi martiale – ce n’est pas la première fois – et envisage de suspendre les élections – c’est nouveau. Le président des Philippines entend ainsi amplifier sa guerre contre la drogue. Certains groupes de la société civile appelle à la « résistance ».
« Si je déclare la loi martiale, je vais pouvoir régler tous les problèmes, et pas seulement celui de la drogue. » C’est tout juste au retour d’une visite officielle en Thaïlande que Rodrigo Duterte a prononcé cette phrase. Les voyages influencent souvent la vision du monde. A Bangkok, le président philippin a pu longuement discuté avec le Premier ministre Prayuth Chan-ocha, le général à la tête de la junte au pouvoir depuis mai 2014. Les deux hommes ont officiellement abordé la question de la sécurité et de la stabilité, la criminalité transnationale, l’extrémisme terroriste et le trafic de drogue, rapporte le Philipine Star qui s’inquiète de ce rapprochement avec le régime militaire thaïlandais.

C’est comme si Rodrigo Duterte était parti en Thaïlande à la pêche aux idées. « Je vais permettre aux militaires de vous juger et de vous mettre à mort par pendaison », a promis le président philippin en précisant que les tribunaux militaires traiteraient également le cas des terroristes, indique Le South China Morning Post. Si Duterte promet d’être « dur », c’est uniquement dans le but d’éviter que son pays « explose ».

Mais la grande nouveauté de ces déclarations intempestives porte sur la suspension des élections. Certes, Duterte avait lorsqu’il était candidat à la présidentielle laissé entendre qu’il pourrait « fermer le parlement » en cas d’obstruction à ses politiques. Mais il n’avait jamais vraiment repris cette menace jusqu’à aujourd’hui. De retour de Bangkok, le président philippin s’est fait plus précis : il a maintenant l’intention de « nommer des dirigeants de plus de 42 000 districts » au lieu de les faire élire. Les élections municipales sont initialement prévues pour octobre 2017. Mais à quoi bon, selon Duterte ? Pas moins de 40 % des dirigeants des barangay seraient impliqués dans le trafic de drogue, affirme le président. Les barangay sont la plus petite unité administrative aux Philippines : soit le village, le district ou le quartier. Ils s’occupent de nombreux services sociaux et sont suffisamment proche de la population pour justement établir la liste des narcotrafiquants locaux. « La narco-politique est entrée dans le courant dominant de la politique philippine », avertit le chef de l’État philippin.

Depuis l’arrivée de Duterte au pouvoir, la police aurait officiellement tué plus de 2 600 personnes, toutes suspectées de lien avec la drogue. Un chiffre sous-estimé selon les ONG, qui ont recensé plus de 7 000 victimes des policiers, barangay ou des miliciens, tous responsables de « meurtres extra-judiciaires ». Amnesty International et Human Right Watch, parmi les premières ONG à tirer la sonnette d’alarme, ont prévenu le président qu’il se rend « coupable de crime contre l’humanité ». Des élus locaux veulent également porter plainte auprès de la Cour pénale internationale pour dénoncer les exactions de Duterte. La plainte a peu de chance d’aboutir selon Le South China Morning Post. « C’est un ballon d’essai : il continuera à repousser les limites jusqu’à ce qu’il sente qu’il est capable d’obtenir la [loi martiale] », analyse le sénateur Antonio Trillanes, l’un des principaux opposant au président. Trillanes va jusqu’à parler de « conditionnement mental » : à ses yeux, le président prépare la population à un régime militaire.

Duterte a certes gagné les élections grâce à sa promesse d’éradiquer le trafic de drogue. Mais s’il bénéficie encore d’un soutien fort des Philippins, l’opposition se fait de plus en plus pressante. Le président s’est contredit à plusieurs reprises sur son projet de loi martiale, projet largement contesté au cours de ces derniers mois rappelle le Philippine Star. « La mise en place de la loi martiale ne réglera pas les problèmes de drogue ou de terrorisme », lance Christina Palabay, secrétaire générale de l’ONG philippine Karapatan pour les droits de l’homme. De son côté, l’opposition prend date : « La liste des partisans de Kabataan promet une résistance croissante si Duterte continue de jouer avec l’idée de loi martiale et d’une répression fasciste accrue, déclare Sarah Elago, députée de ce parti d’opposition. La loi martiale et la guerre totale n’ont fait que causer du tort et renforcerait la discorde entre nos communautés. »

Par Sarah Suong Mazelier

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