Et si Chinatown devenait le cœur de l’île Maurice ?
Contexte
Dans l’imaginaire collectif, la population de l’île Maurice se compose de descendants africains et européens – l’île ayant été colonie française puis britannique jusqu’en 1968. À l’abolition de l’esclavage en 1835, les Anglais font appel à des « engagés » pour travailler dans les champs de cannes. S’ils venaient majoritairement d’Inde (autre colonie britannique à l’époque), certains travailleurs étaient originaires de Madagascar et de Chine. Les plus vieux registres mentionnent l’arrivée d’un groupe d’esclaves et de commerçants chinois dès 1745. L’île Maurice a ensuite connu différentes vagues d’immigration chinoise, venant de deux provinces du sud-est de la Chine : le Guangdong et le Foukien (ancienne transcription de l’actuel Fujian).
Les immigrants chinois ont joué un rôle essentiel dans le développement de l’île Maurice. Ils ont révolutionné le commerce en lançant la vente au détail et mis en place le système de crédit, représenté par le fameux « carnet rouge » où tous les comptes étaient notés. N’étant pas citoyens britanniques, les Chinois ne pouvaient bénéficier d’un prêt. Pour s’entraider, ils développèrent la « tontine », un micro-crédit avant l’heure qui deviendra accessible aux autres ethnies de l’île. Même si la communauté chinoise a apporté une « contribution exemplaire » au développement de Maurice, elle a souvent souffert de xénophobie et de discrimination sociale. Elle a connu aussi des temps difficiles lors de l’incendie de 1993 qui détruisit un tiers de Chinatown, ou lors de l’incendie criminel de la salle de jeu L’Amicale en 1999.
Traditions fragiles
Chinatown, au cœur de l’île Maurice rappelle l’importance des boutiques chinoises dans la vie sociale mauricienne – merveilleusement représentée dans le film Lonbraz Kann de David Constantin. Aujourd’hui, les boutiques se font rares car il n’y a pas de relève. Comment demander à des jeunes qui ont étudier la médecine ou le droit de reprendre un commerce de quartier qui est, de toute façon, en péril ? Ces boutiques sont à l’image de la communauté sino-mauricienne. Elle se réduit un peu comme elle s’est formée dans l’île au début du XXe siècle : les enfants qui partent étudier à l’étranger réunissent toute leur famille dans leur pays d’adoption.
C’est en constatant la fragilité des traditions sino-mauriciennes que Pascale Siew, directrice des Éditions Vizavi, a décider d’éditer ce livre. « C’était pour transmettre l’héritage et la contribution de la communauté sino-mauricinenne à Maurice », explique-t-elle.
Même les Sino-Mauriciens qui vivent dans le pays se désintéressent un peu de leur histoire. Linda Leow, la trentaine, admet ne pas trop connaître les rituels chinois. Bien que son père soit né en Chine, elle ne va pas à la pagode – même pas pour le Nouvel An chinois – contrairement à beaucoup de Sino-Mauriciens. Pour Linda, « c’est le rang social qui détermine le niveau de pratique des traditions ».
Regain d’intérêt pour la Chine
Yvette Keow est Mauricienne et a « des racines profondes avec la culture chinoise ». Née de parents originaires de Canton avec « une mère très traditionnelle », Yvette est consciente que quelque chose se perd avec le départ de nombreux Sino-Mauriciens. « Mais j’ai de l’espoir : cette culture ne va pas disparaître, assure-t-elle. Voyez, quand un Sino-Mauricien épouse une personne d’une autre communauté, c’est cette dernière qui va tout faire pour préserver la culture chinoise. »
Yvette voit juste. Il existe un regain d’intérêt pour la nouvelle puissance économique qu’est la Chine. Linda Leow l’a constaté quand elle a voulu s’inscrire au cours de mandarin. « Il n’y avait plus de place au Centre culturel chinois, dit-elle. Il y a beaucoup d’apprenants qui veulent faire du business avec la Chine ! » La Chambre de commerce chinoise de Maurice éveille aussi un intérêt moins mercantile avec la création du Chinese Food and Cultural Festival en 2005.
Au-delà du « passé évanescent »
Si ce livre est une invitation à contempler Chinatown, sa population et ses rites, il attise même la curiosité sur les autres communautés qui façonnent l’île Maurice. Dans ce pays où l’Éducation nationale mise plus sur la réussite académique que sur l’épanouissement personnel, les jeunes générations connaissent mal leur histoire. Chinatown, au cœur de l’île Maurice est donc un livre indispensable pour découvrir une facette de l’histoire de l’île. Mais au-delà d’une nostalgie pour un « passé évanescent », l’ouvrage des Éditions Vizavi appelle aussi le « rêve et l’ambition » d’un Chinatown cosmopolite, ouvert à la culture et à un développement responsable. Autant que les immigrants chinois ont contribué au développement économique de l’île, Chinatown pourrait-il contribuer à son développement social ?
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