Société
Récit

Et si Chinatown devenait le cœur de l’île Maurice ?

La Pagode bleue à Maurice. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l’île Maurice" (éditions Vizavi, 2017). (Copyright : Yves Pitchen)
La Pagode bleue à Maurice. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l’île Maurice" (éditions Vizavi, 2017). (Copyright : Yves Pitchen)
Ils sont près de 16 000. Les Mauriciens d’origine chinoise appelés « Sino-Mauriciens » constituent un peu plus de 1% de la population de l’île. Ces descendants de commerçants chinois arrivés dans l’Océan Indien à partir du XVIIIe siècle quittent peu à peu Maurice pour émigrer vers le Canada, l’Australie ou l’Angleterre. Avec eux, c’est une richesse culturelle qui s’évanouit. Résultat d’un an et demi de travail, le livre Chinatown, au cœur de l’île Maurice retrace les origines de la communauté sino-mauricienne et la naissance du quartier chinois dans la capitale de l’île.

Contexte

Dans l’imaginaire collectif, la population de l’île Maurice se compose de descendants africains et européens – l’île ayant été colonie française puis britannique jusqu’en 1968. À l’abolition de l’esclavage en 1835, les Anglais font appel à des « engagés » pour travailler dans les champs de cannes. S’ils venaient majoritairement d’Inde (autre colonie britannique à l’époque), certains travailleurs étaient originaires de Madagascar et de Chine. Les plus vieux registres mentionnent l’arrivée d’un groupe d’esclaves et de commerçants chinois dès 1745. L’île Maurice a ensuite connu différentes vagues d’immigration chinoise, venant de deux provinces du sud-est de la Chine : le Guangdong et le Foukien (ancienne transcription de l’actuel Fujian).

Malgré le peu de traces conservées, le livre Chinatown, au cœur de l’île Maurice documente les conditions des migrations chinoises, leur présence et impact sur le développement du pays. Les premiers commerçants foukiénois arrivent à Maurice après 1770. Les Hakkas et les Cantonais de la province du Guangdong arriveront plus tard. Dans les années 1840, les Chinois veulent émigrer dans les colonies européennes et l’île Maurice est un choix évident, car certains y ont déjà de la famille. S’ils comptent y rester pour une période définie, l’histoire de leur pays secouée par l’occupation japonaise ou la révolution de Mao Zedong, leur fera changer d’avis.

Les immigrants chinois ont joué un rôle essentiel dans le développement de l’île Maurice. Ils ont révolutionné le commerce en lançant la vente au détail et mis en place le système de crédit, représenté par le fameux « carnet rouge » où tous les comptes étaient notés. N’étant pas citoyens britanniques, les Chinois ne pouvaient bénéficier d’un prêt. Pour s’entraider, ils développèrent la « tontine », un micro-crédit avant l’heure qui deviendra accessible aux autres ethnies de l’île. Même si la communauté chinoise a apporté une « contribution exemplaire » au développement de Maurice, elle a souvent souffert de xénophobie et de discrimination sociale. Elle a connu aussi des temps difficiles lors de l’incendie de 1993 qui détruisit un tiers de Chinatown, ou lors de l’incendie criminel de la salle de jeu L’Amicale en 1999.

L'intérieur d'une boutique chinoise dans les années 1960 à Port-Louis, capitale de l'île Maurice. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice" par les éditions Vizavi. (Copyrtight : Government Information Office)
L'intérieur d'une boutique chinoise dans les années 1960 à Port-Louis, capitale de l'île Maurice. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice" par les éditions Vizavi. (Copyrtight : Government Information Office)

Traditions fragiles

Dans ce livre, on découvre d’anciens liens forts entre l’île Maurice et l’empire du milieu : la première Chambre de commerce chinoise hors de Chine a été ouverte à Maurice en 1908. C’est encore dans l’île que s’inaugure le premier Centre culturel chinois d’outre-mer en 1988.

Chinatown, au cœur de l’île Maurice rappelle l’importance des boutiques chinoises dans la vie sociale mauricienne – merveilleusement représentée dans le film Lonbraz Kann de David Constantin. Aujourd’hui, les boutiques se font rares car il n’y a pas de relève. Comment demander à des jeunes qui ont étudier la médecine ou le droit de reprendre un commerce de quartier qui est, de toute façon, en péril ? Ces boutiques sont à l’image de la communauté sino-mauricienne. Elle se réduit un peu comme elle s’est formée dans l’île au début du XXe siècle : les enfants qui partent étudier à l’étranger réunissent toute leur famille dans leur pays d’adoption.

C’est en constatant la fragilité des traditions sino-mauriciennes que Pascale Siew, directrice des Éditions Vizavi, a décider d’éditer ce livre. « C’était pour transmettre l’héritage et la contribution de la communauté sino-mauricinenne à Maurice », explique-t-elle.

Même les Sino-Mauriciens qui vivent dans le pays se désintéressent un peu de leur histoire. Linda Leow, la trentaine, admet ne pas trop connaître les rituels chinois. Bien que son père soit né en Chine, elle ne va pas à la pagode – même pas pour le Nouvel An chinois – contrairement à beaucoup de Sino-Mauriciens. Pour Linda, « c’est le rang social qui détermine le niveau de pratique des traditions ».

Couverture du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice", paru en 2017 aux éditions Vizavi. (Copyright : Éditions Vizavi)
Couverture du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice", paru en 2017 aux éditions Vizavi. (Copyright : Éditions Vizavi)

Regain d’intérêt pour la Chine

Aujourd’hui, la plupart des Mauriciens d’origine chinoise sont catholiques. Ils pratiquent encore les rituels des ancêtres, mais souvent sans en connaître les significations – comme beaucoup d’autres traditions ancestrales de l’île. Eric Lee, photographe de 23 ans, est catholique et perpétue les rituels ancestraux « par automatisme ». C’est la famille qui entretien cette tradition. « J’ai des origines chinoises, mais je suis Mauricien. Comme une personne d’origine indienne est Mauricienne », précise Eric.

Yvette Keow est Mauricienne et a « des racines profondes avec la culture chinoise ». Née de parents originaires de Canton avec « une mère très traditionnelle », Yvette est consciente que quelque chose se perd avec le départ de nombreux Sino-Mauriciens. « Mais j’ai de l’espoir : cette culture ne va pas disparaître, assure-t-elle. Voyez, quand un Sino-Mauricien épouse une personne d’une autre communauté, c’est cette dernière qui va tout faire pour préserver la culture chinoise. »

Yvette voit juste. Il existe un regain d’intérêt pour la nouvelle puissance économique qu’est la Chine. Linda Leow l’a constaté quand elle a voulu s’inscrire au cours de mandarin. « Il n’y avait plus de place au Centre culturel chinois, dit-elle. Il y a beaucoup d’apprenants qui veulent faire du business avec la Chine ! » La Chambre de commerce chinoise de Maurice éveille aussi un intérêt moins mercantile avec la création du Chinese Food and Cultural Festival en 2005.

Partie de carte dans les locaux d'une association sino-mauricienne à Port-Louis, capitale de l'île Maurice. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice", paru en 2017 aux éditions Vizavi. (Copyright : Dominic)
Partie de carte dans les locaux d'une association sino-mauricienne à Port-Louis, capitale de l'île Maurice. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice", paru en 2017 aux éditions Vizavi. (Copyright : Dominic)

Au-delà du « passé évanescent »

À travers 215 pages, Chinatown, au cœur de l’île Maurice parle de cette tradition qui se perd et qui se retrouve timidement. Même s’il y a quelques répétitions ou si l’on s’égare parfois entre toutes les périodes qui reviennent d’un chapitre à l’autre, l’écriture captivante est au service de la richesse culturelle de la communauté sino-mauricienne. Le travail de recherches dans les archives disparates et disparues est remarquable, autant que Les belles photos rassemblées pour l’occasion, ainsi que les aquarelles de Florent Beusse. Bourré d’anecdotes, l’ouvrage fait la lumière sur des coutumes que l’on connaissait sans les comprendre.

Si ce livre est une invitation à contempler Chinatown, sa population et ses rites, il attise même la curiosité sur les autres communautés qui façonnent l’île Maurice. Dans ce pays où l’Éducation nationale mise plus sur la réussite académique que sur l’épanouissement personnel, les jeunes générations connaissent mal leur histoire. Chinatown, au cœur de l’île Maurice est donc un livre indispensable pour découvrir une facette de l’histoire de l’île. Mais au-delà d’une nostalgie pour un « passé évanescent », l’ouvrage des Éditions Vizavi appelle aussi le « rêve et l’ambition » d’un Chinatown cosmopolite, ouvert à la culture et à un développement responsable. Autant que les immigrants chinois ont contribué au développement économique de l’île, Chinatown pourrait-il contribuer à son développement social ?

Par Stéphane Huët, à Maurice
La Pagode Tien Tan à l'île Maurice. Aquarelle de Florence Beusse. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice" par les éditions Vizavi. (Copyrtight : Florence Beusse)
La Pagode Tien Tan à l'île Maurice. Aquarelle de Florence Beusse. Extrait du livre "Chinatown, au cœur de l'île Maurice" par les éditions Vizavi. (Copyrtight : Florence Beusse)

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A propos de l'auteur
Stéphane Huët est un journaliste mauricien installé au Népal depuis octobre 2013. Après avoir collaboré à divers magazines de Katmandou, il rejoint l’hebdomadaire Nepali Times en juillet 2014 pour lequel il écrit principalement sur la culture. Pendant près d’un an, il a animé l’émission musicale Free Wheelin’ sur la webradio rvlradio.com. Avant de se retrouver au Népal, Stéphane passe deux ans à Nosy Be, Madagascar. Là-bas, il travaille dans le tourisme et collabore au mensuel No comment. Il a également une expérience de la presse quotidienne et de la radio dans son pays d’origine. Depuis septembre 2012, Stéphane a son blog 26 rue du Labrador hébergé sur Mondoblog, un projet porté par l’Atelier des médias de Radio France Internationale (RFI) réunissant 600 blogueurs francophones dans le monde.