Société
Reportage

Dans l’ombre de Katmandou

Ajay Maharjan montrant ce qui reste de sa maison à Jyako Tole, dans la ville de Harisiddhi, deux mois après le séisme du 25 avril. (Crédit : Stéphane Huët)
Ajay Maharjan, instituteur, montre ce qu'il reste de sa maison à Jyako Tole, dans la ville de Harisiddhi au Népal, deux mois après le séisme du 25 avril. (Crédit : Stéphane Huët)
Huit semaines ont passé depuis le terrible tremblement de terre et ses répliques, qui ont fait près de 8800 morts et 23 000 blessés au Népal. Alors que le gouvernement réunit ce jeudi 25 juin les pays donateurs à Katmandou pour une Conférence internationale sur la reconstruction, l’aide est toujours plus urgente à tous les niveaux : nourriture, logement, infrastructures… Stéphane Huët s’est rendu dans quatre villages autour de la capitale népalaise. Il a pu constaté combien sont négligées les populations qui vivent hors de Katmandou.
Deux mois après le séisme qui a frappé le Népal le 25 avril, l’aide aux victimes s’organise péniblement. Le gouvernement népalais a récemment été critiqué pour sa gestion des dons venant de l’étranger. Depuis le 3 juin, ces derniers sont soumis aux taxes aéroportuaires. Les associations locales à qui sont destinés les dons ont le choix entre remettre le matériel aux autorités qui se chargeront de les distribuer, ou payer la taxe pour gérer le matériel comme elles l’avaient prévu. « C’est pour minimiser les risques de contrebande », explique Surya Sedai du Département des douanes. Il existe une troisième possibilité pour récupérer le matériel sans payer de taxe : obtenir l’autorisation de sept ministères et s’enregistrer au National Emergency Operation Centre. Le gouvernement affirme que c’est pour avoir le contrôle sur la distribution. Mais c’est un vrai parcours du combattant pour les travailleurs humanitaires qui considèrent que les autorités n’ont aucune idée des besoins nécessaires sur le terrain.

Contexte

Le séisme du 25 avril est la pire catastrophe naturelle connue par le Népal depuis 1934. Cette année-là, un tremblement de terre de 8 sur l’échelle de Richter dévasta le territoire népalais et la région de Bihar en Inde, causant la mort de 10 700 à 12 000 personnes. Il y a deux mois, la secousse a été suivie de répliques toutes les 15-20 minutes, dont une atteignant 6,7 de magnitude le 26 avril, sans parler des multiples glissements de terrain. Le 12 mai, une autre réplique majeure (7,3) près de la frontière chinoise entre Katmandou et l’Everest, a tué 200 personnes et en a blessé 2 500. Le séisme a transformé en sans-abris des centaines de milliers de Népalais, dont maints villages se sont effondrés entièrement. Des bâtiments multi-séculaires furent détruits sur de nombreux sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO dans la vallée de Katmandou, dont le Durbar Square dans la capitale, le Patan Durbar Square, le Bhaktapur Durbar Square, le Temple de Changu Narayan et le Stupa de Swayambhunath. Les experts avaient averti depuis des décennies de l’extrême vulnérabilité du Népal aux catastrophes majeures, en raison de sa géologie, de son urbanisation et de son architecture.

Distribution aléatoire de la nourriture et de l’aide financière

Il suffit de visiter les zones touchées dans la vallée de Katmandou pour se rendre compte que ces mesures drastiques n’améliorent pas le déploiement des secours. À Changu Narayan, situé à 20km de la capitale, les habitants d’une ruelle se plaignent de la distribution aléatoire de la nourriture. « Plusieurs membres d’une même famille ont eu du riz pendant la même distribution. Il faudrait tenir un registre pour s’assurer que chaque famille ne reçoive qu’une ration », propose Devi Shrestha. Mais à Changu Narayan, le soutien financier et technique est aussi une source de frustration. Le gouvernement alloue 15 000 roupies népalaises (soit 131 euros) aux propriétaires dont les maisons ont été complètement détruites pendant le séisme. « Certaines maisons toujours debout menacent de tomber à la prochaine réplique. Il faudrait que l’armée les détruise », dit un autre habitant. Et si les propriétaires touchent une subvention, les locataires eux sont à la rue sans aide.
Photographie de camps
Plus de 250 personnes se sont réfugiées sous des abris provisoires à Tafaa Khala, la plus grande place de Harisiddhi. (Crédit : Stéphane Huët)

Maisons détruites et temple encore débout

En plus des considérations humaines, la valeur historique de Changu Narayan est une autre préoccupation. Ce village est le site sacré le plus ancien de la vallée de Katmandou selon une inscription qui date de 325 après Jésus-Christ. Le complexe du temple principal, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, a été fortement endommagé lors du séisme du 25 avril. La majorité des quatre ailes (sattals) entourant le temple, se sont écroulées. « Et au milieu de ça, on dirait que le temple a tenu grâce à des forces divines », dit Pierre Gérard-Bendele, un architecte français qui y a évalué les dégâts pour l’UNESCO. À Changu Narayan, le désastre patrimonial semble plus important que le reste. Un habitant qui a perdu sa maison résume l’état d’esprit : « Le séisme a détruit nos maisons, mais cela nous réconforte de voir que le temple est toujours debout. »

Travailleurs sociaux et initiatives des habitants

Du haut de la colline de Changu Narayan, on peut apercevoir Sankhu. Dans cette ville, la situation est diamétralement opposée. Les dégâts matériels sont nettement plus visibles. Environ 900 maisons se sont écroulées et deux mois après le séisme, l’odeur de putréfaction est encore présente. Après l’intervention des secouristes étrangers, les habitants se sont débrouillés eux-mêmes. Suresh Pradhan, un travailleur social, a créé le Sankhu Reconstruction Committee pour coordonner les différentes initiatives post-séisme. « Dans les médias internationaux, on parle de Sankhu mais aucun de nos dirigeants n’est venu nous voir, dit Suresh Pradhan. Attendre le gouvernement n’est pas une solution, alors on s’organise. » Fondé il y a une semaine, le Sankhu Reconstruction Committee est un bel exemple d’inclusion. Il réunit deux générations et les femmes et les hommes y sont également représentés. Parmi les organisations opérant à Sankhu, le Sakwo Vintuna Pucha retient particulièrement l’attention. Cette association de jeunes, créée en 2013 dans le but de valoriser les cultures traditionnelles de la ville, a 20 bénévoles entre 18 et 26 ans, qui évaluent les dégâts sur les temples et maisons traditionnelles. Ce travail est d’autant plus important car l’UNESCO étudiait l’inscription de Sankhu sur la liste des sites classés au patrimoine mondial juste avant le séisme.
Photographie d'une association de jeunes bénévoles
Dix jours après le séisme, les jeunes bénévoles de Sakwo Vintuna Pucha ont commencé à aller sauver les objets précieux des maisons détruites dans le village de Sankhu. (Crédit : Anuj Shrestha)

Besoin d’argent, sécurité et préservation du patrimoine

La tâche n’est pas aisée pour autant. Amrit Shrestha, étudiant en génie civil et responsable de Sakwo Vintuna Pucha, raconte les difficultés des bénévoles lors de leurs inventaires. Certains habitants ont déjà vendu les sajhyas, ces fenêtres en bois finement sculptées. « Les gens ont besoin d’argent pour reconstruire leurs maisons, mais nous devons leur expliquer la valeur unique de ces objets », explique Amrit Shrestha. D’autres insistent sur le fait que la sécurité est plus importante que la préservation des bâtiments anciens. « Nous voulons des maisons résistantes », insiste Birendra Prasad, un professeur d’anglais. Mais Christian Manhart, directeur de l’UNESCO et qui était en visite à Sankhu la semaine dernière, expliquait que les maisons pouvaient être reconstruites en style traditionnel avec des techniques modernes. « Vivre dans une ville historique et être à l’abri des séismes n’est pas une contradiction », assurait-il. Pierre Gérard-Bendele et son collègue Ludovic Dusuzeau, qui apportent maintenant leur expertise à Sankhu, saluent le travail de Sakwo Vintuna Pucha. « On a la chance de les avoir ici. Ils ont déjà fait un bon travail et c’est beaucoup plus simple », confie Ludovic Dusuzeau.

Abris à construire et routes à débloquer

Ce sont aussi des jeunes qui interviennent à Bungamati, un village à 12 km de la capitale. Les étudiants en art de l’Université de Katmandou ont été parmi les premiers à y apporter leur soutien. Menés par leur enseignant Sujan Chitrakar, ils sont 40 à construire des abris et à organiser des ateliers d’art dans les écoles. « On est venu ici car on avait constaté que le village n’avait pas encore eu d’aide, malgré sa proximité avec la capitale », dit M. Chitrakar. L’héritage culturel de Bungamati en péril était une autre motivation pour ces étudiants en art. Plus récemment, les membres de Bhintuna Pucha ont rejoint Bungamati pour aider à déblayer les maisons écroulées. Ils dégagent également les routes obstruées par les débris pour permettre aux véhicules d’entrer dans le village. Sakali Mali qui a perdu sa maison est soulagée d’avoir le soutien de ces jeunes. « On ne savait pas par où commencer, soupire-t-elle, mais avec leur aide, ça nous a pris seulement une semaine pour tout nettoyer. Avec la mousson qui arrive, ça devenait urgent. »

Ravages de la pluie

Les fortes pluies ont déjà fait des ravages à Harisiddhi, situé à quelques kilomètres de Bungamati. À Tafaa Khala, la plus grande place du village, 250 personnes dorment sous des tentes ou des abris en forme de tunnel faits de feuilles de métal. « D’autres personnes ont rejoint ce camp le 12 mai car leurs maisons se sont effondrées dans la réplique », explique Ajay Maharjan, un enseignant dont la maison a aussi été détruite. Cette semaine, plusieurs abris précaires formés de bambous et de bâches n’ont pas tenu sous la pluie. « Certaines familles s’étaient déjà déplacées parce que leur maison avait été détruite pendant le séisme et maintenant elles sont à nouveau déplacées parce que les abris ne résistent pas à la pluie. Nous avons besoin d’abris résistants », martèle Ajay Maharjan.
Photographie de deux femmes accomplissant leur rituel au temple
Après le séisme du 25 avril, les dévots continuent de pratiquer leurs rituels au temple Trishakti Bhawani à Harisiddhi. (Crédit : Stéphane Huët)

La Conférence internationale suscite peu d’espoir

À voir les dévots aller au temple Trishakti Bhawani, on pourrait croire que les choses rentrent dans l’ordre à Harisiddhi. Mais à 20 mètres de là, des tas de débris bouchent encore les ruelles. « Certains, traumatisés par ce paysage de zone de guerre, n’osent pas sortir du camp, confie Dhana Bahadur, le prêtre du temple. Nous avons aussi besoin de véhicules pour transporter ces débris. » Ajay Maharjan comprend que les secours urgents aient été dirigés vers les districts les plus touchés, mais il déplore que les villages autour de Katmandou n’aient toujours pas reçu l’aide du gouvernement. « On a un dicton au Népal qui dit qu’une bougie peut éclairer une chambre entière, mais que juste en-dessous de la bougie, il y a une partie sombre. Katmandou est la bougie et les villages autour sont dans cette partie sombre. » Ce jeudi 25 juin, deux mois après le séisme, le Népal organise une conférence où 59 donateurs – 37 gouvernements et 22 organisations internationales – sont invités à financer la reconstruction du pays. Mais les Népalais comme Suresh Pradhan n’attendent pas grand-chose de ces discussions. Pour eux, il n’y a qu’une solution : se serrer les coudes et ne compter que sur eux-mêmes. Stéphane Huët à Katmandou

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A propos de l'auteur
Stéphane Huët est un journaliste mauricien installé au Népal depuis octobre 2013. Après avoir collaboré à divers magazines de Katmandou, il rejoint l’hebdomadaire Nepali Times en juillet 2014 pour lequel il écrit principalement sur la culture. Pendant près d’un an, il a animé l’émission musicale Free Wheelin’ sur la webradio rvlradio.com. Avant de se retrouver au Népal, Stéphane passe deux ans à Nosy Be, Madagascar. Là-bas, il travaille dans le tourisme et collabore au mensuel No comment. Il a également une expérience de la presse quotidienne et de la radio dans son pays d’origine. Depuis septembre 2012, Stéphane a son blog 26 rue du Labrador hébergé sur Mondoblog, un projet porté par l’Atelier des médias de Radio France Internationale (RFI) réunissant 600 blogueurs francophones dans le monde.