Politique
Conférence de Presse

Norio Maruyama : "la situation sécuritaire en Asie est très préoccupante"

Le premier ministre japonais Shinzo Abe prononce un discours devant le Conseil Européen à Bruxelles. 21 mars 2017. Crédits : EMMANUEL DUNAND / AFP
L’Allemagne, la France et la Belgique… Après ses rencontres avec Angela Merkel et François Hollande, Shinzo Abe est à Bruxelles ce mardi. Le Premier ministre nippon doit conclure un compromis sur des négociations commerciales entamées en 2009 et réaffirmer l’attachement de son pays au libre-échange. Après avoir été rassuré sur le maintien du bouclier américain en Asie du Nord-Est, Tokyo joue la carte de l’Union Européenne face au repli protectionniste prôné par Donald Trump. Asialyst assistait ce matin au petit-déjeuner de presse donné par Norio Maruyama, le porte-parole de la diplomatie japonaise, avant le départ de la délégation pour Bruxelles. Extraits de ce questions-réponses avec les journalistes.

Accord de libre-échange Japon-Union Européenne

Norio Maruyama : « Il s’agit du fruit de longues négociations entamées alors que j’étais numéro deux de la mission japonaise à Bruxelles de 2009 à 2013. Cette coopération réaffirmée entre le Japon et l’Union Européenne intervient alors que le monde change. Le souhait du Japon, ce que nous répèterons à l’Union Européenne, c’est le maintien d’une société libre où le statu quo demeure en matière de sécurité et de libre-échange sur le plan économique. »

Menace Nord-coréenne

« La situation sécuritaire en Asie est plus que préoccupante et la menace nord-coréenne est de plus en plus sérieuse. Les derniers missiles nord-coréens sont tombés en mer du Japon. Nous souhaitons que les résolutions de l’ONU soient appliquées à 100 %. »

Bouclier américain en Asie

« Le Japon avait besoin d’être rassuré sur l’engagement américain en Asie et en particulier sur l’alliance de sécurité entre le Japon et les États-Unis. Ce fut le cas lors de la visite du chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, il y a quelques jours. Le Japon a été le premier pays visité par la nouvelle administration américaine. Nous souhaitions notamment que les Américains s’engagent sur la protection des îles japonaises de Senkaku [Des îles revendiquées par Pékin sous le nom de Diaoyu, NDLR] et, là aussi, c’est le cas. »
« Nous offrons effectivement des opportunités à des personnes venant d’Indonésie ou d’autres pays d’Asie du Sud-Est, dès l’instant où ces personnes parlent le japonais »

Vieillissement de l’archipel et main-d’œuvre du Sud-Est asiatique

« Là où on a besoin de main-d’œuvre et là où les attentes sont les plus fortes et les plus délicates pour la société japonaise, c’est sur la question du vieillissement de la population et le soin aux personnes âgées notamment. On a un fort manque de main-d’œuvre dans ce secteur. Ce qui est important concernant le recrutement de la main-d’œuvre étrangère, c’est que les candidats parlent le japonais. Nous faisons très attention à cette question de la maîtrise de la langue. Et nous offrons effectivement des opportunités à des personnes venant d’Indonésie ou d’autres pays d’Asie du Sud-Est, dès l’instant où ces personnes parlent le japonais. Parce qu’encore une fois, il s’agit de travailler près des personnes âgées ; ce sont des tâches très délicates. Il y a aussi des infirmières chinoises qui travaillent dans nos hôpitaux. Avant cette question des soins apportés aux personnes du troisième âge, nous avons connu des vagues d’immigration par exemple dans l’agriculture. Les fermiers japonais ne trouvaient pas de femmes qui puissent travailler avec eux dans les rizières. Il y a 30 ou 40 ans, on avait donc déjà ce genre de recrutement spécifique en fonction des besoins de certains secteurs. »
« François Hollande et Shinzo Abe ont défendu avec force l’attachement de la France et du Japon au principe de liberté de navigation. »

Expansionnisme chinois

« La situation en Asie-Pacifique est très inquiétante. Si l’on regarde la situation géographique du Japon, on voit que la sécurité de l’Archipel dépend de la mer. La sécurité du Japon dépend donc de la question de la libre-circulation maritime. Lorsqu’il était en Allemagne, Shinzo Abe a rappelé son attachement au fait que le bassin indo-pacifique reste un bien commun avec la liberté de circuler en mer. Ce que nous ne voulons pas, c’est d’un changement unilatéral par la force du statu quo. La liberté de navigation a d’ailleurs été défendue avec force par Shinzo Abe et François Hollande à Paris. Lorsque vous regardez ce que font les Chinois sur certaines îles de la mer de Chine méridionale, lorsque vous regardez les images satellites, vous voyez bien que quelque chose se passe de manière unilatérale. Nos amis chinois nous reprochent souvent de parler des mers de Chine en arguant que cela ne nous regarde pas. En réalité, cela nous regarde car il s’agit de la liberté de navigation. Dans ce cadre, nous aimerions associer la venue du navire-école français, la Jeanne d’Arc, au Japon fin avril, à des exercices 2 + 2 avec les Anglais et les Américains. Si ces exercices conjoints ont lieu, ce serait un symbole fort de l’engagement de ces pays pour la sécurité en Asie. »
« La première fois que j’ai entendu parler de la nouvelle route de la soie, c’était en Afrique de l’Est. »

Chine et « nouvelle route de la soie »

« C’est pas une nouveauté en réalité. Avant cette mission, j’ai été directeur général de l’Afrique au ministère des Affaires étrangères et la première fois que nous avons entendu parler de ce projet « One belt, One road » [« Une ceinture, une route », nom officiel de la « nouvelle route de la soie », NDLR], les Chinois faisaient leur démonstration en parlant de la côte est de l’Afrique. Djibouti par exemple, si ma mémoire est bonne, fait partie de ce projet de « nouvelle route de la soie ». Ils nous ont expliqué qu’il s’agissait d’une bande, d’une route, mais nous n’avons pas très bien saisi ce qu’elle représentait exactement en termes de dimensions notamment. Or, quand les entreprises japonaises se retrouvent en concurrence avec les entreprises chinoises, nous avons besoin de ces précisions. Nous avons besoin que les choses se fassent sur une base équitable et de libre concurrence. Autrement dit, il faut que la partie chinoise éclaircisse encore certains points concernant ses intentions. Il faut que l’on en sache plus sur les détails derrière ce projet « One belt, one road », de manière à ce que la libre concurrence soit respectée. Je rappelle à ce sujet qu’avec la France, nous avons un partenariat d’exception. Et l’un des piliers de ce partenariat est la coopération entre la France et le Japon sur l’Afrique. »

Contexte

Le temps de Norio Maruyama étant compté, nous n’avons pas pu poser toutes les questions soumises par les abonnés d’Asialyst. En voici quelques-unes que nous ne manquerons pas de poser à une prochaine occasion :

Thomas Jouannes : « Bonjour, dans le cadre de la lutte contre le déclin démographique que connaît le Japon et de la mise en place et de l’optimisation de sa politique migratoire, le pays compte-t-il mettre en place des accords spécifiques d’échange de travailleurs avec certains pays asiatiques, notamment en Asie du Sud-Est ? Si oui, quels pourraient être ces pays et dans quels domaines d’activité ?
Quels sont les projections/objectifs chiffrés des mesures récentes visant à faciliter l’obtention du statut de résident permanent pour attirer au Japon les profils hautement qualifiés ?
Merci beaucoup de cette opportunité ! »

Nouanda Keating : « Bonjour, pourriez-vous lui demander quelles sont ses attentes concernant le TPP suite au retrait des États-Unis de l’accord ? Aussi, comment sont perçues les initiatives chinoises et sud-coréennes de participer plus activement aux discussions à l’égard des accords commerciaux dans la région ? (TPP, RCEP, FTAAP)
De la part d’une étudiante en sciences politiques qui admire les efforts diplomatiques du Japon ! »

Luca Ga : « Si le gouvernement doit faire des inflexions commerciales ou militaires dans le sens des États-Unis, pour assurer son alliance à l’heure de Trump et de ses « free-riders », quelle place continuera-t-il à accorder à ses autres partenaires en Asie-Pacifique (dont la France)? »

Valentin Noble : « La liberté de la presse japonaise est en chute libre depuis l’arrivée de M. Abe au pouvoir, et son gouvernement n’y est pas pour rien (menaces à l’encontre des chaînes de télévision, nomination de proches à la tête du groupe public NHK, etc…). Que compte faire M. Abe pour améliorer la situation, lui qui ne cesse de rappeler l’ancrage du Japon dans le « camp de la démocratie » ? »

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.