Kisenosato, le "yokozuna" qui rendit aux Japonais leur fierté du sumo
Atteindre le rang de yokozuna, supérieur au rang d’ôzeki, est un honneur absolu au Japon. Il confère quasiment un statut de demi-dieu dans le pays, mais induit aussi de se montrer à la hauteur. « On attend souvent des yokozuna un comportement irréprochable véhiculant toutes les valeurs du sumo souvent proche de l’esprit des samouraïs », peut-on lire en préambule de la liste des yokozuna sur le site francophone Dosukoi.fr, dédié au sumo. « Yokozuna est un rang qui s’accompagne de responsabilités. La défaite sonne la fin », considère le nouveau venu, Kisenosato.
Dix-neuf ans que le Japon l’attendait
Cela faisait presque deux décennies qu’un Nippon n’était plus devenu yokozuna. Une délivrance, tant cette pratique liée au culte shinto, la religion première au Japon, renvoie à la mythologie et à l’histoire du pays, pour ne pas dire à son « âme ». Le sumo est mentionné dans le plus vieux livre écrit de l’archipel, le Kojiki, qui faisait état en 712 après J.-C. d’une victoire – légendaire – du dieu Takemikazuchi contre son rival Takeminakata. Combat de sumo qui aurait débouché sur le contrôle des îles nippones et le règne de l’actuelle famille impériale.
De manière un peu plus prosaïque, dans le Nihon Shoki de 720, il est question d’un combat entre deux hommes sous le règne de l’empereur Suinin (-29 à -70), à savoir les lutteurs Nomi-no-Sukune et Taima-no-Kuehaya. Cet affrontement marquerait l’origine du sumo. Ensuite, « dès le VIIIe siècle, sont introduits les tournois annuels de sumo dans les cérémonies de la cour impériale, accompagnés de musique et de danses », relate le site du musée des Confluences de Lyon, à l’occasion d’une exposition des clichés japonais acquis par l’anthropologue Ernest Chantre (1843-1924).
Le règne des yokozuna venus de loin
Ce fut d’abord un autre Hawaïen, Musashimaru Kôyô, en 1999. Puis le Mongol Asashôryû Akinori, en 2003. Avant que ses trois compatriotes toujours en activité actuellement n’occupent le devant de la scène au détriment des Japonais, aidés par d’autres étrangers venus de partout, le tout conduisant à un désintérêt relatif mais croissant et à des critiques dans la population. « Le désamour a été exacerbé par plusieurs scandales en 2010 et 2011 de rencontres truquées et de paris impliquant plusieurs lutteurs, le tout sur fond de liens avec la pègre », rappelle le correspondant du quotidien Le Monde à Tokyo, Philippe Mesmer.
Etre yokosuna, « c’est être seul »
Le Japon a enfin retrouvé un yokozuna bien de chez lui et qui semble digne de son rang. L’engouement populaire regagne actuellement la pratique du sumo. Cet engouement était d’ailleurs revenu dès l’an passé, lorsqu’un autre Japonais, Kotoshōgiku Kazuhiro, avait raflé le grand tournoi du Nouvel an en janvier 2016, une première pour un Nippon depuis dix ans. Puis ce fut l’épopée Kisenosato, jusqu’à la Coupe de l’empereur raflée cette semaine puis le rang de yokozuna. L’occasion pour l’intéressé de rendre hommage à son défunt maître, l’ancien yokozuna Takanosato.
« La gratitude est le seul mot qui me vienne à l’esprit. Mais je ne récompenserai jamais assez (Takanosato, NDLR) si je ne m’entraîne pas encore plus et que je ne deviens pas plus fort. Il avait toujours l’habitude de dire qu’être yokosuna, « c’est être seul ». Je ne pouvais pas le comprendre à l’époque, mais je vais tâcher de comprendre le sens de cette formule, explique Kisenosato. Je vais me dévouer à ne pas déshonorer le rang de yokozuna. »
Savoir se montrer « digne » de son rang
Message reçu par le 72e « grand champion ». « Je veux devenir un modèle pour les jeunes lutteurs, explique Kisenosato. Le sumo dépend beaucoup de talents étrangers, qui représentent 40 % des lutteurs du makuuchi, la division la plus élevée », écrivait l’Asahi Shimbun en 2010. Aussi, « l’avènement de Kisenosato est reçu comme un soulagement au Japon. Le sumo redevient japonais. Sa domination par des étrangers suscitait une sorte de néo-nationalisme culturel. Le sumo reste un bastion culturel nippon », décrypte notre correspondant à Tokyo, Frédéric Charles, fin connaisseur de cette société à nulle autre pareille.
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