Le Japon peut-il mettre un terme au "karoshi", la mort par surmenage ?
Contexte
Le premier cas signalé de karoshi (過労死) au Japon date de 1969, lorsqu’un employé de 29 ans décède d’une attaque cardiaque à cause du surmenage au département des expéditions d’un grand journal nippon. Le terme-même de karoshi a été inventé en 1978 mais il faut attendre un livre paru en 1982 et le milieu de la décennie pour que le terme se répande dans le débat public, alors que des hauts cadres de grandes entreprises meurent sans aucun signe de maladie préalable. Devant l’inquiétude grandissante de la population, le ministère du Travail publie pour la première fois des statistiques en 1987. Le phénomène est aussi très répandu en Corée du Sud, où il est appelé gwarosa (과로사). En Chine, le suicide causé par des heures excessives de travail est nommé guolaosi (过劳死).
Abus de pouvoir et rythmes intenables
C’est particulièrement vrai dans les départements dédiés aux activités sur Internet, comme celui où travaillait la jeune employée. En plus de son travail, elle devait participer à l’organisation des fêtes de son service. Le 31 octobre, elle tweetait : « Mon chef m’a dit que les 20 heures supplémentaires effectuées n’avaient aucune valeur pour l’entreprise. » Selon l’hebdomadaire Shukan Bunshun qui a rapporté le témoignage d’un jeune employé de Dentsu, le département de Matsuri Takahashi est l’un des moins appréciés des jeunes salariés. En effet, quand une affaire de fausses factures portant sur 230 millions de yens (2 millions d’euros) a été révélée, l’entreprise a attribué le problème à un manque de personnel. Le service de Matsuri Takahashi était également impliqué dans ces malversations. Résultat, en octobre 2015, le personnel est passé de 14 à 6 personnes et la jeune femme a vu son portefeuille de clients augmenter. La mère de Matsuri Takahashi a indiqué en conférence de presse que sa fille « avait été invitée par son supérieur hiérarchique à ne pas déclarer plus de 70 heures supplémentaires par mois ». Pour la mère et son avocat, l’abus de pouvoir est clairement une des causes du suicide, citant pour preuve un message du 20 décembre, dans lequel elle écrivait qu’elle n’en pouvait plus d’entendre ses supérieurs hiérarchiques masculins affirmer qu’elle « manquait de féminité ».
D’après l’employé de Dentsu interrogé par le Shukan Bunshun, « ces abus de pouvoir sont un problème récurrent ». D’ailleurs, en 1991, un jeune employé de l’entreprise s’était suicidé après avoir travaillé de trop longues heures et Dentsu avait été condamné en 2000. Suite à cette tragédie, l’entreprise a mis en place des services de conseil téléphonique et un système de tutorat. Selon l’hebdomadaire, « certains jeunes se disent satisfaits de ce système », ce qui n’a pourtant pas empêché le décès de Matsuri Takahashi.
Redorer une image ternie
Désormais, cette chaîne de restaurants oblige tous les employés à adhérer au syndicat créé en janvier 2016. Jusqu’à présent, les dirigeants, à commencer par le fondateur et ex-dirigeant Yoshimi Watanabe, avaient toujours refusé la création d’un syndicat, jugeant que c’était inutile. Mais confrontée à des performances en baisse, l’entreprise a finalement accepté avec le souci d’améliorer son image. Rattachée à l’UA Zensen, le syndicat de Watami a signé le 3 octobre dernier un accord avec la direction prévoyant l’augmentation des employés à temps plein et à temps partiel, soit environ 10 000 personnes. A sa création, l’organisation rassemblait ainsi 13 181 personnes. Symbolique, la hausse de salaire sera de 25 yens (22 centimes) maximum du taux horaire.
Des salariés se tournent vers des organisations indépendantes pour les défendre
Désormais, les travailleurs précaires se tournent de plus en plus vers des organisations indépendantes qui s’attachent à protéger les plus fragiles et auxquelles il est possible d’adhérer à titre personnel. Ces structures reçoivent parfois le soutien de grands syndicats : c’est le cas de l’organisation créée en 2012 par un employé en situation précaire des kiosques du métro de Tokyo. Il lutte contre la différence de rémunération et de traitement des prestations sociales entre les salariés à temps plein et à temps partiel. Egalement, il demande le maintien de l’emploi après l’âge officiel de la retraite fixé à 65 ans. Son action a été soutenue par la section de l’est de Tokyo du Syndicat national des travailleurs. Certes, les petits syndicats indépendants peuvent plus facilement dénoncer des problèmes sur les lieux de travail, mais ils manquent de poids en termes de nombre d’adhérents pour réellement peser sur les entreprises.
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