Politique
L'Asie du Sud-Est dans la presse

Malaisie-Corée du Nord : l'opération politique du Premier ministre Najib Razak

Le Premier ministre malaisien Najib Razak lors du congrès annuel de son parti, l'UMNO (United Malays National Organisation) à Kuala Lumpur le 1er décembre 2016. (Crédits : AFP PHOTO / MANAN VATSYAYANA)
Le Premier ministre malaisien Najib Razak lors du congrès annuel de son parti, l'UMNO (United Malays National Organisation) à Kuala Lumpur le 1er décembre 2016. (Crédits : AFP PHOTO / MANAN VATSYAYANA)
La crise diplomatique entre Pyongyang et Kuala Lumpur a aussi un enjeu politique en Malaisie. Alors que le dialogue entre les deux États se poursuit sur le sort des 9 résidents malaisiens encore bloqués en Corée du Nord, l’heure est à l’unité nationale en Malaisie. Le Premier ministre Najib Razak a appelé l’ensemble du pays à faire front. Une instrumentalisation politique, selon ses opposants.
« Si nous sommes unis face à toute forme de difficulté ou de menace, les ennemis ne peuvent pas démolir tout ce que nous avons construit. » Le ton de Najib Razak est solennel. Dans un discours posté sur son blog et cité par Malaysiakini, le Premier ministre malaisien a appelé à « l’unité nationale » pour « faire front » dans la crise diplomatique sans précédent avec la Corée du Nord (lire notre article https://asialyst.com/fr/2017/03/07/malaisie-coree-du-nord-crise-diplomatique-paroxysme/), depuis le meurtre de Kim Jong-nam le 13 février à l’aéroport de Kuala Lumpur. Alors qu’il cherche toujours à assurer le retour en toute sécurité des Malaisiens interdits de quitter le territoire nord-coréen, Najib exhorte toute la société, y compris l’opposition, à s’unir pour « surmonter la crise ». Le Premier ministre rappelle les différentes crises qu’a connues la Malaisie : la disparition mystérieuse du vol MH370, la destruction en vol de l’avion MH17 ou le conflit de Sabah. Un moyen de vanter les « capacités de la Malaisie à répondre avec force à des problématiques impliquant des puissances étrangères », explique le Straits Times.

Mais déjà, cet appel à l’unité nationale laisse l’opposition sceptique. « La rupture diplomatique ne devrait pas être exploitée politiquement », objecte ainsi Muhyiddin Yassin, président du parti Pribumi Bersatu, rapporte Malaysiakini. Un avis partagé par le leader du Parti Islamique Pan-Malaisien, Iskandar Samad. Pour lui, le « drame coréen » pourrait être bénéfique pour le pouvoir en place. C’est un peu comme la guerre des Malouines, évoque Iskandar Samad : elle avait aidé l’ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher à remporter les élections suivantes. La situation est comparable en Malaisie puisque des élections générales sont prévues au second semestre 2017.

Or Najib Razak revient de loin. Le chef du gouvernement a été fortement déstabilisé par l’affaire du fonds étatique d’investissement 1MDB qu’il présidait. Un reportage du Wall Street Journal a révélé un détournement de fonds massif : le Premier ministre aurait reçu 750 millions de dollars sur son compte personnel. Arguant d’un don en provenance d’Arabie saoudite, Najib a certes été blanchi par la justice malaisienne. Mais une enquête du département américain à la Justice sur le scandale, dont les ramifications s’étendent jusqu’à l’acteur Leonardo di Caprio, pointe Najib Razak comme le responsable « numéro un » dans cette affaire. Sans oublier le vaste mouvement de la société civile coordonné par le mouvement Bersih, qui enchaîne les manifestations de masse pour demander sa démission et des élections « propres ».

Voilà sans doute pourquoi Najib emprunte un ton si grave. Le Premier ministre a ainsi appelé à des prières nationales ce vendredi 10 mars, pour la sécurité des 9 Malaisiens encore retenus par la Corée du Nord, précise Channel News Asia. Mais ce discours semble trancher avec les déclarations de ce mercredi 8 mars : il n’y a « aucun souci pour leur sécurité », avait défendu ce le Premier ministre au Parlement, rappelle Malaysiakini. Les Malaisiens retenus en Corée du Nord ne sont par ailleurs « pas en état de détention », ils sont « libres de faire leurs activités quotidiennes » avait précisé Najib, cité par Reuters. Deux employés malaisiens du Programme Alimentaire des Nations Unies ont même été libérés ce jeudi 9 mars : ils ont pu quitter Pyongyang pour se rendre à Pékin.

Si la sortie de crise n’est pas si éloignée, la tension diplomatique se ressent dans la société malaisienne et Najib l’a bien compris. De nombreuses entreprises locales se préparent à des cyberattaques en provenance de Corée du Nord, explique Free Malaysia Today. Un grand groupe bancaire aurait averti son personnel d’être extrêmement vigilant et il est probable que d’autres institutions prennent également des mesures, ajoute le site malaisien. Une possibilité crédible pour la Nikkei Asian Review : CIMB Group Holdings a de même alerté alerté son personnel face à ces menaces.

La méfiance de Kuala Lumpur se porte aussi sur la présence de plus de 1 000 Nord-coréens dans le pays, qui seraient « dissimulés » derrière des activités professionnelles de toute sortes. Selon une source relayée par le Straits Times, la présence nord-coréenne serait articulée sous la forme d’un réseau d’espionnage organisé. Au sein de cette diaspora, beaucoup travailleraient en tant qu’expert des technologies de l’information dans des entreprise de Cyberjaya. Par ailleurs, chaque Nord-Coréen vivant à l’étranger est tenu de de se présenter à son ambassade chaque mois pour un « debriefing », selon le Straits Times, qui ne laisse pas de place au doute : « Tous les services de renseignement de la région sont conscients de cela. »

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