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France-Chine : où va la coopération scientifique ?

Dans le laboratoire épidémiologique P4 de Wuhan, capitale de la province chinoise du Hubei, le 23 février 2017. Un laboratoire fondé en coopération avec l'Institut Mérieux et l'Académie des Sciences de Chine. (Crédits : AFP PHOTO / Johannes EISELE)
Dans le laboratoire épidémiologique P4 de Wuhan, capitale de la province chinoise du Hubei, le 23 février 2017. Un laboratoire fondé en coopération avec l'Institut Mérieux et l'Académie des Sciences de Chine. (Crédits : AFP PHOTO / Johannes EISELE)
L’ouverture de l’année lunaire du coq de feu est une bonne occasion pour s’interroger sur l’évolution de la coopération scientifique entre la France et la Chine. Les indicateurs quantitatifs semblent être au vert : augmentation significative du nombre d’étudiants chinois en France, nombre croissant d’articles scientifiques cosignés par des chercheurs français et des chercheurs chinois, manifestations récurrentes célébrant l’amitié entre nos pays. La réalité est-elle aussi souriante ?
Ne devrions-nous pas nous interroger sur le rôle des frais de scolarité très faibles en France dans l’attractivité de nos universités ? La France est-elle vraiment le premier choix de tous les étudiants chinois qui viennent chez nous ? Quel est le niveau réel moyen de ces étudiants, comparé à celui des jeunes Chinois qui se précipitent dans les universités anglo-saxonnes, plus chères et sélectives ?

En matière de co-publications scientifiques, la France, longtemps aux premiers rangs des articles co-publiés avec la Chine, est maintenant devancée par le Canada, loin derrière les États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Australie, talonnée par Singapour. Or le potentiel scientifique de l’Australie, du Canada et de Singapour est bien plus faible que celui de la France. C’est une détérioration importante de notre position.

L’accroissement du nombre de chercheurs français se rendant en Chine est mis en avant. Mais cela ne cache-t-il pas au contraire une attractivité grandissante des laboratoires chinois pour nos chercheurs plutôt que la volonté de ces derniers de développer leur coopération avec la France ? Ou bien simplement le fait que de plus en plus de grands colloques internationaux sont organisés en Chine, destination incontournable pour les chercheurs du monde entier ?

La Chine vient de publier trois plans quinquennaux de développement scientifique et prévoit de consacrer 2,5% de son PIB à des dépenses de Recherche et Développement à l’horizon 2020. Cette année-là, sa dépense de R&D passera à 400 milliards de dollars, dépassant celle des États-Unis. Dans ces conditions, il devient à l’évidence essentiel pour les chercheurs de développer des collaborations et de se positionner en Chine car la science y vit un véritable âge d’or. La Chine n’attend plus de la France mais c’est la France qui devrait attendre de la Chine !

A l’évidence, l’organisation actuelle de la coopération scientifique franco-chinoise ne nous permet plus de tenir nos positions. Comment réagissent nos principaux voisins européens ? L’Allemagne accueille 5 000 doctorants chinois, alors que nous en accueillons seulement 1 500 ! La Grande-Bretagne affiche des dépenses annuelles de coopération scientifique avec la Chine supérieures à 15 millions d’euros ; l’Allemagne dépense aussi plusieurs millions, très loin devant la France. Le nombre de chercheurs allemands expatriés dans des laboratoires chinois est sans commune mesure avec ce que fait la France. Plus important, les Britanniques et les Allemands ont engagé une réflexion globale sur leur coopération scientifique avec la Chine. L’Allemagne a publié fin 2015 un rapport stratégique, résultat de deux années de consultations auprès de 300 institutions académiques allemandes. Les recommandations et les priorités explorent des pistes nouvelles, définissent des positions et tirent les leçons des pratiques antérieures.

Rien de tout cela en France où l’on constate un incroyable immobilisme avec des orientations stratégiques inchangées depuis plus de 15 ans pour la coopération avec la Chine. Depuis deux ans, l’ANR, l’Agence nationale de la recherche, n’a financé qu’un ou deux projets franco-chinois, alors qu’elle pouvait en soutenir jusqu’à dix auparavant. L’unique programme exploratoire de coopération France-Chine du CNRS a atteint un taux de sélection proche de 10% en 2016 alors que le nombre de dépôts dépasse la centaine de projets, en croissance régulière depuis des années. La situation financière du CNRS a sa part dans cette situation, mais c’est dans tous les cas une mauvaise nouvelle pour ses chercheurs qui aimeraient développer les relations scientifiques avec leurs homologues chinois.

En réalité nous organisons notre coopération scientifique avec la Chine en pensant toujours à la Chine d’il y a trente ans, toujours vue comme une puissance scientifique marginale qui attendrait tout de nous, comme un pays en développement !

Plusieurs grands projets scientifiques, dont certains adossés à des entreprises industrielles ou académiques françaises présentées comme des succès par Paris et Pékin lorsqu’ils sont signés en grande pompe, sont ensuite censurés sans aucune explication par les hauts fonctionnaires défense et sécurité. Un phénomène qui semble s’intensifier depuis quelques mois. Les porteurs de projets scientifiques français, cibles commodes et inoffensives, sont pris en otage sans recours possible et finissent par se décourager. Sur le terrain, ce système se révèle pernicieux puisqu’il amène même des chercheurs à dissimuler leurs collaborations ou pire à ne pas les formaliser. Finalement, certains responsables scientifiques en arrivent à dissuader leurs chercheurs de collaborer avec la Chine. Dans une certaine tradition française, nous avons érigé par les voies règlementaire et administrative une sorte de ligne Maginot pour protéger notre patrimoine scientifique. Mais comme toutes les lignes Maginot, elle est contournée. Pire, elle cache les vrais risques pour ce patrimoine derrière un semblant de protection. Sans doute existe-t-il des façons plus subtiles et plus efficaces de défendre nos intérêts stratégiques, industriels et technologiques : en instaurant un dialogue incitatif avec les porteurs de projet et les chefs de laboratoires plutôt que de censurer les projets une fois signés et lancés. Comment font les autres Etats ? Croit-on que des pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, par exemple, seraient à ce point si peu soucieux de leurs intérêts qu’ils ouvriraient sans précaution les portes de leurs laboratoires ?

Du côté du Quai d’Orsay, les stratégies sont décidées sans réelle concertation avec le monde académique, conduisant ainsi à des situations désastreuses : lancement de programmes sans aucun relai dans le monde scientifique, peu ou pas d’évaluation sérieuse des quelques programmes pilotés par le ministère des Affaires étrangères, financement sur le budget du Quai d’Orsay de postes d’expatriés au service de laboratoires chinois, sans aucune évaluation de leur activité, ni contenu collaboratif, ni contrepartie. Le cahier des charges des programmes pilotés par le ministère n’a pas évolué depuis près de 10 ans alors que les enjeux de la coopération scientifique bilatérale ont radicalement changé. Le réseau de coopération français est le seul de ceux des grands pays qui soit entièrement placé de facto sous la tutelle des Affaires étrangères. C’est le Quai d’Orsay qui a toujours le dernier mot pour les nominations dans le réseau et l’orientation de la coopération.

Depuis plus de 10 ans, il n’y a eu aucune tentative pour fédérer les énergies françaises, ni pour élaborer un texte d’orientation donnant un référentiel commun des acteurs en France. Ce document permettrait de faire ressortir les intérêts de notre communauté scientifique, pour le coup jamais consultée alors qu’elle exprime une grande appétence à travailler avec la Chine ; en témoignent les relations fécondes que nous développons en physique corpusculaire ou en chimie, par exemple.

Globalement, cela conduit à un dialogue bilatéral sinon déséquilibré du moins incertain avec les Chinois. La dernière Commission mixte scientifique franco-chinoise a eu lieu il y a 6 ans et les visites de grands responsables scientifiques français ou d’autorité ministérielle de la recherche vers la Chine se comptent sur les doigts d’une main depuis près de 10 ans. Certes, le dialogue de haut niveau pour les échanges de personnes, troisième pied du dialogue stratégique, lancé il y a quelques années englobe les questions de recherche. Mais il s’agit davantage d’un exercice formel de diplomatie bilatérale et non d’une discussion partenariale sur la matière scientifique. Lors de la dernière session, pratiquement aucun accord scientifique n’a été signé ! Lorsqu’on connait l’importance accordée par la Chine à la science et à la technologie, on ne peut imaginer que ce déficit de dialogue dans le domaine scientifique n’ait pas des conséquences fâcheuses pour nos présences industrielle, commerciale et même culturelle finalement assez fragiles là-bas.

Tous les éléments sont là pour installer la recherche française sur une trajectoire d’effacement de la scène scientifique chinoise. Cette situation peut encore être renversée à condition d’une mobilisation, d’un jeu collectif et d’une véritable implication directe des établissements de recherche français et de leurs ministères de tutelle. Il faut définir une stratégie autour de nouveaux thèmes et de nouvelles modalités de coopération. A tout le moins imposer une cohérence de l’action publique. Ce sera difficile, mais nos partenaires chinois n’attendent que cela. Lassés du manque réel d’implication de la France, les responsables chinois ne cachent plus leur déception. Pour beaucoup, la France n’est plus leur priorité depuis longtemps et ils se tournent sans état d’âme vers d’autres pays.

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