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​​Expert - Economie chinoise

Chine : l’effervescence de la digitalisation

Des visiteurs au stand de Ant Fortune, filiale du géant chinois Alibaba, lors d'un salon à Hangzhou, le 20 novembre 2015.
Des visiteurs au stand de Ant Fortune, filiale du géant chinois Alibaba, lors d'un salon à Hangzhou, le 20 novembre 2015. (Crédit : Zhejiang Daily / Imaginechina, via AFP).
Face à la nécessité du pays de réorienter son économie, et de se défaire complètement de son image d’usine du monde, la Chine mise tous ses efforts sur la digitalisation de son économie. Déjà présents au sein du 12ème plan quinquennal (2010-2015), les programmes de développement allant dans ce sens sont renforcés dans le 13ème (2015-2020). Par ailleurs, avec 731 millions d’internautes fin 2016, la Chine représente la population connectée la plus importante du monde, et des fleurons de l’Internet ne cessent de réinventer sa manière de consommer. La révolution digitale de la Chine est en marche !

Digitalisation de l’industrie

Autrefois usine du monde, la Chine a amorcé depuis quelques années sa transition vers une société de l’innovation. Inspiré du programme allemand sur les hautes technologies, Pékin a mis en place plusieurs « feuilles de routes » pour digitaliser ses entreprises. Le pays ambitionne ainsi de créer des usines connectées et hyper-compétitives sur la scène internationale ; autrement dit, des usines 4.0.

Ce concept, initié en 2013 par l’Allemagne à l’Hannover Messe trade show, traduit une nouvelle organisation des moyens de production grâce à l’utilisation du numérique et notamment les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’Internet des objets et le big data. L’objectif est d’instaurer un nouveau modèle économique et social, face à la baisse de la croissance et à l’augmentation du coût de la main-d’œuvre qui instaure une concurrence avec les pays de l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Philippines et Thaïlande).

*Source : Staufen AG, « China – Industry 4.0 Index 2015 ».
Pour combler leur retard important, de nombreuses entreprises chinoises ont d’ores et déjà mis en place des projets en faveur du développement de l’industrie 4.0. Ainsi, 58 % des industries chinoises se sont déjà investies dans le développement de systèmes intelligents, et une entreprise sur dix a mis en place des projets indépendants*.

Les grandes entreprises nationales, Huawei et ZTE en tête, sont celles qui bénéficient du meilleur niveau de modernisation 4.0. Mais d’autres sont aussi bien avancées, à l’image que Sany, 6ème plus grand manufacturier du monde, qui dispose de machines connectées et utilise les données collectées pour l’amélioration du processus de production. La Changying Precision Technology Company va encore plus loin avec une usine entièrement automatisée à Dongguan (province du Guangdong, dans le sud du pays). Fabriquant des composants pour téléphones portables, elle est pilotée uniquement par des robots, allant des lignes de productions aux engins de transports. De 650 employés, l’usine n’en emploie plus que 60, principalement pour la maintenance informatique. Les résultats sont extrêmement satisfaisants : trois fois plus de pièces sont produites (un « bras » robotique équivalant à 6 ou 8 ouvriers) et le niveau de défaut est passé de 25 % à 5 %. La province du Guangdong, hautement manufacturière, a par ailleurs annoncé un plan de financement sur trois ans afin d’inciter la création d’usines intelligentes. Il prévoit notamment l’achat de robots pour les industriels souhaitant s’installer.

Deux programmes gouvernementaux cadrent cette révolution industrielle : « Made in China 2025 » et « Internet+ ». De manière générale, ils formalisent tous deux l’adoption du cloud, du big data, de l’Internet mobile et de l’Internet des objets dans le secteur industriel, mais aussi dans le domaine de la finance, du secteur médical ou encore agricole. Ils soutiennent ainsi le développement du e-ecommerce, des fintech et l’accroissement de la présence des entreprises numériques chinoises sur le marché international. Dorénavant, les services entièrement connectés sont l’apanage des consommateurs chinois, qui ne peuvent plus se passer de leur smartphone, et pour cause !

Le digital au service de la consommation

*Source : McKinsey.
Les derniers chiffres concernant le nombre d’internautes chinois ne mentent pas : la population de la Chine est ultra-connectée. Des secteurs tels que le commerce en ligne ou encore le tourisme ont su s’adapter à ces nouveaux consommateurs toujours plus exigeants. Ainsi, le pays est le plus important marché de e-commerce avec une croissance spectaculaire en quelques années. En 2015, les ventes en ligne représentaient 630 milliards de dollars, soit près de 80 % de plus qu’aux États-Unis. Selon un rapport du cabinet Forrester, elles pourraient représenter 1 milliard de dollars en 2019.
*Selon les chiffres cités par Reuters.
Parmi les champions du e-commerce, nous retrouvons bien évidemment Alibaba avec Tmall et Taobao, mais aussi JD.com et Dangdang. La plateforme Alibaba, a d’ailleurs battu des records de ventes en 2016, notamment lors du Single’s Day (Journée des célibataires, équivalent du Black Friday américain) le 11 novembre, avec 17,8 milliards de dollars*. Des secteurs tels que le tourisme ont également su tirer parti de cette digitalisation de la consommation. Des plateformes comme Ctrip et Qunar surfent sur la vague et proposent de comparer les prix, acheter des billets et prestations sur un seul et même site. Cela s’explique aussi par un changement des habitudes de consommation. Avec l’arrivée d’Internet, 70 % des touristes chinois organisent désormais leur voyage de manière indépendante. Cela représente un changement considérable par rapport aux générations précédentes, qui faisaient appel à des agences.
La croissance des ventes générale a été accentuée par l’utilisation massive du smartphone. En effet, parmi les 731 millions d’internautes chinois, 95 % des utilisateurs accèdent à Internet via un appareil mobile et plus particulièrement leur téléphone. Ainsi, l’ensemble des sociétés chinoises de service connaissent une certaine « uberisation », à l’instar de l’application de réservation de taxi Didi Chuxing, qui a racheté la filiale Uber China en août 2016, ou encore les services de location de vélo dans les grandes villes – Mobike et Ofo. A la différence des modes de location traditionnels, la recherche d’un vélo ou le paiement d’un trajet s’effectuent uniquement à travers une application mobile. Signe de leur succès et de leur caractère innovant, ces deux entreprises bénéficient du soutien de grands groupes comme Tencent pour Mobike, Didi Chuxing et Xiaomi (développeur de téléphones) pour Ofo.
*Source : McKinsey.
Dans le secteur des fintech [soit un domaine d’activité dans lequel les entreprises utilisent les technologies de l’information et de la communication ; le terme étant la contraction des termes « financier » et « technologique », NDLR], la Chine est aussi en bonne position. En effet, selon une étude du cabinet Research and Markets, en 2015, 83,1 % des transactions bancaires ont été effectuées par mobile. Les Chinois, qui n’ont jamais été de grands utilisateurs de carte bancaire, sont aujourd’hui conquis par la facilité et la rapidité de paiement permise par une simple application. Les principaux fournisseurs de ce marché sont Alipay par Alibaba et la fonction wallet de WeChat par Tencent. Ce sont les deux premiers fleurons de l’Internet chinois, qui ont su reconnaître très tôt les opportunités de ce type de service. Ils détiennent actuellement près de 90 % de ce marché*.
Cette digitalisation s’est étendue aux systèmes de prêts notamment au travers de Lufax, la plateforme de l’assureur Ping’An. Elle est aujourd’hui valorisée à 18,5 milliards de dollars. Vient ensuite Ant Financial, une filiale d’Alibaba, géant du e-commerce présents sur tous les fronts, dont la plateforme de prêt comptait plus de 7 millions d’utilisateurs en juillet 2015.
*Source : The 2016 WeChat Data Report.
Enfin, il est aujourd’hui difficile de parler de l’environnement digital chinois sans évoquer WeChat (WeiXin en chinois – 微信), l’application à tout faire de Tencent. Au départ un simple service de messagerie instantanée, WeChat est aujourd’hui utilisée pour commander un taxi, acheter des places de cinéma, promouvoir sa marque, transférer de l’argent, etc. En septembre 2016, elle compte 768 millions d’utilisateurs journaliers, soit une augmentation de 35 % par rapport à l’année précédente. La moitié d’entre eux utilisent WeChat en moyenne 90 minutes par jour !* Son succès s’explique par sa facilité d’utilisation et surtout par la multitude de services offerts.
Ainsi, il est possible d’envoyer des messages écrits mais aussi vocaux, de publier des photos et de courtes vidéos sur son espace personnel appelé « moments », de suivre les actualités de ses marques et sites favoris, de participer à des groupes thématiques, de transférer de l’argent (service appelé hongbao, en référence aux enveloppes rouges offertes lors du Nouvel an). L’application permet aussi de réserver et payer un taxi, grâce à l’intégration de l’application Didi Chuxing. Un service d’achat de billets d’avion a également été ajouté en 2014, en partenariat avec la plateforme de réservation en ligne LY.com.
Le secteur digital chinois est même une source d’inspiration pour d’autres pays comme le prouve le 2016 FrenchTech Tour China. Piloté par Business France et BpiFrance, il s’agit d’un programme intensif d’immersion de deux semaines dans les quatre principaux centres des nouvelles technologies du numérique que sont Hong Kong, Shenzhen, Shanghai et Pékin. Douze start-ups évoluant dans le secteur de l’Internet, des fintech ou encore des télécommunications et de l’audiovisuel ont ainsi pu observer les opportunités de développement de leurs produits sur le marché chinois.
La volonté de redynamiser son économie, l’évolution croissante des modes de consommation et d’accès à Internet accentuent la nécessité pour la Chine de miser sur le digital. Son entrée dans la quatrième révolution industrielle se fait timidement, mais il est indéniable que du côté des innovations mobiles et sociales, ses entreprises ont une longueur d’avance sur leurs rivaux américains tels que Facebook et Twitter. L’innovation digitale apporte ainsi un nouvel élan prometteur à l’économie chinoise.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de la Chine, Elodie Le Gal est chef de projet en intelligence économique. Son focus se porte sur les problématiques socio-économiques et politiques chinoises, ainsi que sur la scène digitale et technologique du pays.