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Expert - Economie chinoise

 

Chine : l’épineuse question du statut d’économie de marché

Une ouvrière chinoise travaille sur des cellules photovoltaïques pour panneaux solaires destinés à l'exportation vers l'Europe et les Etats-Unis, à l'usine de Shanghai Shenzhou New Energy Development Co., Ltd, dans la ville de Lianyungang, dans la province chinoise du Jiangsu, le 21 mai 2014.
Une ouvrière chinoise travaille sur des cellules photovoltaïques pour panneaux solaires destinés à l'exportation vers l'Europe et les Etats-Unis, à l'usine de Shanghai Shenzhou New Energy Development Co., Ltd, dans la ville de Lianyungang, dans la province chinoise du Jiangsu, le 21 mai 2014. (Crédits : Si Wei / ImagineChina / via AFP)
Nous en parlons peu mais cela pourrait devenir le sujet chaud de la fin de l’année. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) va devoir traiter la demande de la Chine. Lors de son adhésion à l’OMC en 2001, figurait une clause à l’accord qui précisait que d’ici 2016, le pays pourrait obtenir le statut d’économie de marché. Des réformes du système économique chinois étaient donc attendues. L’heure a sonné, et le pays réclame ce changement. Quels sont les enjeux derrière cette évolution ?
Le dumping est l’exportation d’une marchandise à un prix inférieur au coût de revient.
Avec le statut d’économie de marché, la Chine rejoindrait le club des économies les plus puissantes de la planète. Mais surtout, elle serait protégée de toute mesure anti-dumping*. Or, le pays compte à son actif près de 22 restrictions sur ses exportations et deux nouvelles enquêtes ont été ouvertes concernant certains de ses produits (tôle forte et acier laminé à chaud). A l’annonce de l’entrée de cette question à l’agenda de la Commission européenne en janvier 2016, les contestations ne se sont pas fait attendre. En février, une manifestation organisée par l’AEGIS (l’alliance regroupant une trentaine de fédérations industrielles européennes) a rassemblé près de 500 personnes à Bruxelles, dont une majorité du secteur sidérurgique. Selon elles, l’obtention de ce statut donnerait à la Chine un « permis de dumping » menaçant des milliers d’emplois dans l’Union européenne. Une étude de l’Institut de Politique économique de Washington estime qu’entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois pourraient être menacés en Europe d’ici 2020, dont 183 000 à 367 000 en France. De quoi faire frémir.
Une consultation publique a été lancée par la Commission européenne le 10 février dernier, mais face au mécontentement des organisations syndicales et des entreprises, une contre-consultation, dite citoyenne, a été mise en place par les parlementaires socialistes Edouard Martin et Emmanuel Maurel. Ouverte jusqu’au 1er mai, celle-ci avait pour objectif de laisser les représentants des travailleurs, et les travailleurs eux-mêmes, s’exprimer sur cette question afin d’inciter la Commission à refuser l’octroi de ce statut.

Soyons honnêtes : la Chine n’est pas une économie de marché. Si elle l’était, le système des prix et la parité de la monnaie ne seraient pas sous le contrôle de l’Etat, le gouvernement ne subventionnerait pas des pans entiers de l’économie et les statistiques officielles ne seraient pas manipulées. La concurrence, elle, ne serait pas faussée et la propriété intellectuelle serait protégée.

Pourquoi la Commission hésite ?

Il se trouve quelques personnes au sein de la Commission européenne qui pensent que la Chine va, d’un coup de baguette magique, offrir plus de transparence sur ses exportations et respecter les règles de l’OMC. Elles pensent également qu’elle va participer activement au plan de financement de Jean-Claude Junker, qui prévoit notamment la création d’emplois européens grâce à de grands projets d’infrastructures. L’enjeu de réciprocité, ou d’accord « gagnant-gagnant », vanté par la Chine fait toujours rêver. Seulement, le pays voit son économie ralentir, et le besoin d’aller vendre ses produits à l’étranger est plus fort. Un abaissement, voire une suppression, des taxes douanières permettrait à ses industries de conquérir le marché européen avec des prix inférieurs à la concurrence.

Enfin, la Chine dispose de moyens de pression importants. En effet, ce n’est pas moins de 1 milliard de dollars de marchandises qui sont échangées chaque jour entre l’Europe et la Chine. Un refus d’accorder le fameux Graal impliquerait obligatoirement des représailles de la part de l’Empire du Milieu. Celles-ci concerneraient sa participation au plan de financement, mais toucheraient également les exportations vers la Chine et les entreprises européennes installées dans le pays. Certains observateurs parlent même de guerre économique ! Ce qui n’est toutefois pas prêt d’arriver, la Chine étant encore dépendante de la demande extérieure et des investissements étrangers dans certains domaines (luxe, biens de consommations, agroalimentaires, nouvelles technologies…).

D’un autre côté, une acceptation privilégierait surtout les grands groupes européens qui renforceraient leurs liens commerciaux avec la Chine, dont les débouchés sont incontournables. Les petits industriels seraient les grands perdants, même si le pays a promis de diminuer ses exportations d’acier.

Aujourd’hui, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont favorables, la France et les pays du Sud de l’Europe sont contre, l’Allemagne est partagée, beaucoup de ses industries étant très présentes en Chine. La majorité des parlementaires européens sont contre. Le pôle d’inquiétude se situe au niveau de la Commission, qui doit évaluer les répercussions économiques et diplomatiques en cas de refus.

Pour les médias chinois, il s’agit déjà d’un sujet brûlant. Les tournures de phrases varient mais le sens reste le même : le pays doit juridiquement devenir une économie de marché ; le caractère obligatoire de ce changement est fréquemment mis en avant par Pékin. La rhétorique est plutôt confiante, arguant que la Chine est injustement traitée malgré ses efforts et subit plus qu’elle n’encourage les mesures anti-dumping.

Ainsi, l’Agence Chine Nouvelle insiste sur le fait que l’octroi de ce statut permettrait de renforcer les relations sino-européennes, et que le développement technologique de la Chine ouvrirait de nombreux débouchés aux industries européennes. L’accent est mis sur cette transformation de l’économie, non plus basée sur les exportations mais sur la demande intérieure et les services. L’Europe n’a donc pas à s’inquiéter !

Il est fort probable que ce statut soit accordé. Peut-être sous condition. Mais les enjeux sont trop importants pour risquer des représailles auxquelles nous serons incapables de faire face sans une stratégie de défense commerciale forte. Ainsi, il devient très difficile de refuser les demandes de la Chine du fait de son poids sur la scène internationale, de ses investissements dans des projets européens et de sa puissance de frappe en cas de refus.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de la Chine, Elodie Le Gal est chef de projet en intelligence économique. Son focus se porte sur les problématiques socio-économiques et politiques chinoises, ainsi que sur la scène digitale et technologique du pays.
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