Culture
Entretien

Yan Zhenquan : "Ce que les Chinois veulent apporter au monde"

Copie d'une corbeille à thé datant de la dynastie Tang. (Crédit S Lagarde)
Les diplomates n’auront pas à chercher très loin pour célébrer l’amitié franco-chinoise. Il n’aura en effet échappé à personne que l’animal emblème de l’année qui commence en Chine, n’est autre que le roi de la basse-cour. Est-ce que le coq de feu de 2017 est en tout point semblable au coq gaulois ? Disons, en tous cas, que cela rapproche. Disons aussi qu’à la rédaction d’Asialyst, cela nous a donné envie d’aller toutes plumes dehors à la rencontre de Yan Zhenquan, le nouveau directeur du Centre Culturel de Chine à Paris. Après un passage dans les missions diplomatiques chinoises en Afrique, cinq années au bureau culturel de l’ambassade de Chine en Belgique, un retour au ministère des Affaires Étrangères à Pékin, puis la direction du Centre Culturel de Chine à Bruxelles, M. Yan effectue sa première mission à Paris. Quels sont ses projets pour le rayonnement de la culture chinoise en France ? Où en est le soft power de la Chine ? Et comment sa culture résiste-t-elle à la mondialisation ?

Contexte

C’est l’un des concepts qui s’exporte le mieux hors du pays du milieu. Jusqu’au 27 janvier au Centre Culturel de Chine à Paris, l’exposition « Au-delà de l’Art » offre aux visiteurs un aperçu de cette notion fondamentale de la pensée chinoise qu’est le « Tao » ou, en pinyin, le « Dao ». Les manuels scolaires occidentaux s’arrêtent souvent à la traduction du caractère, qui en mandarin courant signifie « route, voie, chemin… » La présente exposition déroule sa portée universelle : genèse de l’univers, principe du monde, vérité intangible, philosophie changeante et pourtant intemporelle, le « Dao » se trouve à l’exact opposé de notre modèle de pensée cartésien – d’où peut-être d’ailleurs sa fréquente relégation au rayon « on n’y comprend rien » de nos bibliothèques.

Choix de pensée non-discursif et non-analytique, le « Dao » est pourtant accessible si on sait par où l’aborder, suggère l’exposition. Pourquoi ne pas le considérer par exemple, comme un art qui va au-delà de l’art et du verbe ? Un artisanat du ressenti en quelque sorte, comme ces lieux et objets des cérémonies du thé, de l’encens et des fleurs. Sur ce plan, les Ming que nous connaissons bien en Occident en sont restés aux vases et aux armoires. Question raffinement, allez plutôt voir comment on servait le thé à la cour des Tang et des Song ! Comme le dit Wang Luxiang, l’un des commissaires de l’exposition : « les perfections utilitaires et esthétiques des objets artisanaux sont les valeurs qui font l’élégance. » Cette exposition est donc à la fois un éloge de l’excellence et de la beauté, elle marque aussi le début d’une « renaissance spirituelle ». L’art du thé comme art de vivre et comme la voie vers la compréhension et l’appréciation de notre état d’existence. Nous sommes là, bien loin du « côté obscure de la force » et de toutes ces parodies plus ou moins réussies autour du « Dao ». Sagesse pleine d’humanisme et spiritualité qui s’exprime par des objets quotidiens, c’est le message de l’exposition « Au-delà de l’art », du 21 au 27 janvier au Centre Culturel de Chine, 1 rue de la Tour Maubourg, 75007 Paris.

Zhenquan YAN, le nouveau directeur du Centre Culturel de Chine de Paris (Crédits Centre Culturel de Chine de Paris)
Commençons par cet événement « Au-delà de l’art ». Le commissaire de l’exposition affirme que le « Dao » n’est pas exprimable par les mots et que c’est une notion qui doit être ressentie. Pouvons-nous quand même tenter de la définir ?
Yan Zhenquan : Le « daoïsme » est un point essentielle de la tradition chinoise. Un principe et une notion que l’on retrouve dans la cérémonie du thé par exemple, grâce à laquelle vous pouvez percevoir votre existence intérieure et en tous cas apprécier ce qu’est l’esprit chinois. Vous avez pu remarquer l’ambiance très calme de l’exposition. Une atmosphère posée et sereine permet de mieux prendre conscience de notre état d’existence, c’est aussi le meilleur moyen de réfléchir et de prendre les bonnes décisions.
Est-ce que cette philosophie chinoise du Dao est un remède aux bruits et à la fureur du monde d’aujourd’hui, les guerres, le chaos ?
C’est en tous cas ce que nous voulons montrer au travers des nombreux événements que nous organisons à l’occasion du nouvel an lunaire et du début de l’année du coq. Le ministère chinois de la Culture a souhaité que ces événements festifs soient célébrés dans le monde entier. L’objectif est de montrer sur la scène internationale, ce que les Chinois entendent apporter au monde d’aujourd’hui. Et notre objectif n’est autre que le bonheur, l’harmonie entre les personnes et les peuples, sans oublier l’harmonie entre l’homme et la nature. Nous voulons mieux faire connaître les valeurs traditionnelles chinoises ; nous voulons montrer que la Chine a de bonnes intentions vis-à-vis de tous, afin que le monde soit plus stable, plus tranquille.
On découvre encore au travers de cette exposition que les « Dao Chang » (道场), les lieux et objets des cérémonies, sont aussi une réflexion sur la chute des valeurs traditionnelles dans la société chinoise. C’est aussi votre sentiment, les valeurs traditionnelles chinoises ont-elles trop longtemps été oubliées ?
Pour moi, l’avenir ne peut se construire que sur les traditions. Il faut avancer, c’est certain, mais on ne peut pas avancer en oubliant ses racines. Les traditions sont ce qui nous conduit vers un meilleur avenir.
Ustensiles dorés et argentés retrouvés au temple Fa Men Si. A l'époque des Tang, la cérémonie du thé se déroulait en pas moins de six étapes. (Crédit S Lagarde)
Il y a dans l’exposition des broderies venues de Suzhou qui représentent la nouvelle route de la soie. C’est aussi là un lien entre le passé et l’avenir ?
Oui et vous pouvez constater que nous proposons, en parallèle, une exposition de photographies sur la nouvelle route de la soie. Les photos ont toutes été prises par les élèves du centre. Et là encore, c’est la preuve qu’un tracé ancestral, que le chemin des caravanes d’autrefois peut contribuer aux efforts que nous faisons aujourd’hui pour faire revivre cette route mythique. Le passé travaille avec l’avenir.
« Beaucoup de jeunes Chinois aujourd’hui s’inspirent d’autres cultures et préfèrent voyager seuls pendant les fêtes du nouvel an lunaire, délaissant la famille pour les plages de l’Asie du Sud-Est par exemple. »
Ye Fang, l’artiste de cette exposition « Au-delà de l’art », exprime sa vision de la transmission de l’art traditionnel dans un contexte de mondialisation. Qu’en est-il de la culture chinoise aujourd’hui ?
Je vous répète qu’on doit avancer, mais sans oublier l’essentiel de ses traditions. Voilà pourquoi en cette période de fête, à l’occasion du nouvel an lunaire, nous répétons aux jeunes qu’il faut se réunir en famille, et cela même si c’est au prix de longs trajets parfois pénibles. Le bonheur est aussi là dans ces célébrations familiales. Beaucoup de jeunes Chinois aujourd’hui s’inspirent d’autres cultures et préfèrent voyager seuls pendant les fêtes du nouvel an, délaissant la famille pour les plages de l’Asie du Sud-Est par exemple.
Après des années de Made in China et des productions industrielles à bas coûts destinées à l’export, la Chine a redéfini son modèle de croissance. Les Chinois réclament aujourd’hui du beau dans l’habitat, de l’esthétique dans les objets du quotidien…
C’est donc aussi le retour de l’artisanat traditionnel. C’est pour cela que nous proposons ces très belles copies des ustensiles dorés et argentés retrouvés au temple Fa Men Si et employés pour la cérémonie du thé sous la dynastie Tang. Il y a aussi les céramiques et les poteries laquées du « thé fouetté » apprécié à l’époque des Song. Cela vaut aussi pour les encensoirs en cuivre par exemple.
Encensoir en cuivre à forme hexagonale qui rappelle la forme de la Chine. Tient, encore un point commun avec la France ! (Crédit S Lagarde)
La route de la soie, comme ces cérémonies du thé et de l’encens, remonte à des époques glorieuses de la civilisation chinoise. On voit que depuis, et c’est signalé au visiteur dans l’exposition, les Japonais ont repris à leur compte par exemple l’art du thé. Cela veut dire que le soft power chinois doit reprendre ses droits ?
Non, pas du tout. Je dirais au contraire que la culture appartient à tout le monde, et que les cultures se croisent de façon presque amoureuses, il y a donc la des échanges, des transmissions qui sont bonnes pour tous.
Sans langue de bois, on sait aussi que les États-Unis ont appuyé leur superpuissance sur Hollywood. Est-ce que la Chine ne doit pas à son tour mettre l’accent sur sa culture et la faire mieux connaître dans le monde ?
C’est vrai, et cela n’est pas contradictoire avec ce que je disais juste avant. Notre président, Xi Jinping, accorde ainsi une grande place au développement de la culture. Et l’année dernière, l’une des sessions de l’Assemblée nationale populaire a été entièrement consacrée au développement culturel. Vous voyez donc que c’est quelque chose qui occupe les esprits au plus haut niveau de l’État. La France a une tradition culturelle très ancienne ; c’est la même chose pour la Chine. L’idée de croiser nos deux cultures et de s’inspirer mutuellement est pour moi une chose réjouissante, voilà pourquoi d’ailleurs la Chine a décidé d’ouvrir un centre culturel à Paris. Mais ce n’est pas non plus une idée complètement neuve. Depuis très longtemps la culture européenne et, en particulier la culture française, sont allés à la rencontre de la culture chinoise, et vice versa. Nos deux pays ont leurs héros qui sont partis à l’aventure sur les routes de la soie. Cet échange a fait la grandeur de nos civilisations respectives.
Lancement des festivités du nouvel an lunaire et de l'entrée dans l'année du coq de feu au Centre Culturel de Chine de Paris (Crédit CCC de Paris)
La culture chinoise est en concurrence avec les « puissances douces » d’autres pays asiatiques. J’ai évoqué le Japon, il y a aussi la Corée du Sud dont la force de projection culturelle n’est plus a démontrer. Cela veut dire qu’il y a une compétition entre les instituts culturels ici à Paris ?
Non, je ne crois pas. Je pense même le contraire. Je viens de prendre mon poste, mais je compte bien dans les semaines qui viennent aller visiter les centres culturels du Japon et de la Corée notamment, de manière à coopérer et pourquoi pas à organiser des expositions communes.
Et pour ce qui est des expositions du Centre Culturel de Chine à Paris, quels sont les temps forts à venir ?
Nous avons programmé pour février prochain une exposition intitulée « le Chant du Coq », une exposition de haute joaillerie sur le thème des animaux du zodiac chinois. Le 8 mars prochain, nous espérons faire l’événement en réunissant les œuvres du peintre et sculpteur chinois Han Meilin. Nous aurons aussi une exposition sur les habits et les bijoux des Miao, l’une des 56 ethnies de Chine. Je vous parlais du croisement des cultures… Les pièces qui seront présentées proviennent de la collection de deux Français qui ont voyagé dans la province chinoise du Guizhou il y a fort longtemps.
Par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.