Politique

Corée du Nord : sanctionner n’est pas gérer

Drapeaux nord-coréens à Pyongyang le 28 novembre 2016.
Drapeaux nord-coréens à Pyongyang le 28 novembre 2016. (Crédits : AFP PHOTO / Ed JONES)
Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies a adopté ce mercredi 30 novembre la résolution 2321 sanctionnant le dernier et cinquième essai nucléaire nord-coréen du 9 septembre dernier. Selon Ban Ki-moon, il s’agit des « sanctions les plus dures et les plus larges jamais mises en œuvre » contre la Corée du Nord. La résolution cible avec une particulière application les sources de revenus du régime. Pourtant, l’isolation et l’affaiblissement du régime de Pyongyang ont montré leurs limites.
En 17 pages, la résolution du Conseil de sécurité s’attaque, entre autres, aux exportations de charbon de la Chine vers la Corée du Nord en y apportant une limite de 7,5 millions de tonnes par an ; ce qui en plafonnerait les bénéfices à 40 millions de dollars pour Pyongyang. Cette disposition réduirait les revenus du régime d’au moins 700 millions de dollars annuel. Elle a fait l’objet d’âpres discussions entre les États-Unis et la Chine. Pékin est en effet soupçonné de contribuer à un soutien indirect du programme d’armes de destruction massive nord-coréen par le biais de ses achats de charbon au régime, dont le volume a augmenté en 2016. La rédaction de la précédente résolution, la 2270, laissait en effet le champ ouvert à des importations de charbon pour des raisons touchant au bien-être des populations, ce dont la Chine avait pris prétexte pour poursuivre ses achats. Par ailleurs, la nouvelle résolution instaure un embargo sur le cuivre, le nickel, l’argent et le zinc nord-coréens censés représenter un revenu annuel de 100 millions de dollars au régime.

Autre domaine attaqué par la résolution : les propriétés immobilières que Pyongyang possède ou loue au sein des pays des membres du Conseil de sécurité pour des activités autres que consulaires ou diplomatiques. Ces dernières représentations sont également sous le coup d’un durcissement restreignant le nombre de leur personnel et de leur compte bancaire limité à un par mission. Enfin, 11 individus et 10 entités soupçonnés d’avoir des liens avec le programme de développement d’armes nucléaires font l’objet de restrictions allant de l’interdiction de déplacement à l’étranger au gel des avoirs.

Quelle vision derrière les sanctions ?

On peut s’interroger sur l’effet recherché dans la mise en place de ces nouvelles sanctions. Veut-on inciter Pyongyang à revenir à des négociations, veut-on l’empêcher de poursuivre le développement de ses programmes balistiques et nucléaires ? Veut-on provoquer la chute du régime ? Les difficultés à mettre au point ce texte, soit 82 jours de discussions entre l’essai du 9 septembre et la résolution, montrent assez l’absence d’unité diplomatique du Conseil de Sécurité quant à la politique à suivre vis-à-vis de la Corée du Nord. Lors du premier essai nucléaire en 2006, le Conseil de Sécurité avait émis une sanction en 5 jours.

En se focalisant sur le charbon, les sanctions laissent curieusement des espaces économiques inexplorés. Ainsi en est-il de la réforme que Kim Jong-un a lancé via un plan quinquennal dont l’objectif est de moderniser l’économie nord-coréenne. Pyongyang, vitrine du régime, montre des signes d’activités. Le trafic de voiture est en hausse et les constructions neuves se multiplient. On ne sait cependant pas comment interpréter ces éléments. Par ailleurs, on sait peu de chose des exportations chinoises de pétrole vers Pyongyang dont on suppose, en l’absence de chiffres précis depuis 2013, qu’elles demeurent importantes. Le volume standard généralement avancé est de 500 000 tonnes par an. La KOTRA, Korea International Trade Association, dont les estimations sont raisonnablement fiables, le chiffre pour sa part à 280 millions pour l’année 2015. De la même façon, un regard extérieur sur le volume du trafic commercial empruntant le pont transfrontalier reliant Dandong à la ville nord-coréenne de Sinuiju, tendrait à prouver que celui-ci est resté stable. En l’absence de relations commerciales entre Pyongyang et Séoul, ralenties à partir de 2010 suite au torpillage de la frégate Cheonan puis suspendue depuis la fermeture de la zone industrielle de Kaesong en 2016, la Chine reste à ce jour le seul partenaire commercial significatif de la Corée du Nord avec, en moindre proportion, la Russie, l’Inde et la Thaïlande. On notera que Pékin vient d’accorder une aide humanitaire décisive à Pyongyang lors des inondations majeures de septembre dernier, qui ont dévasté la province nord-coréenne du Hamgyong, suite à un débordement du fleuve Tumen.

Le triomphe de la realpolitik avec des caractéristiques chinoises

Le décryptage de l’arrière-plan politico-économique à l’adoption de ces dernières sanctions est intéressant à plus d’un titre. Des interrogations subsistent en effet sur la nature de la politique nord-coréenne de la nouvelle administration républicaine, sachant que Donald Trump, alors candidat, avait émis l’idée d’un dialogue direct, sans pré-condition avec Pyongyang. Pour l’heure, la décision de mise en place à horizon 2017 d’un système de défense antimissile de type Thaad par les États-Unis en Corée du Sud a considérablement tendu la relation États-Unis/Chine/Corée du Sud. Elle ne peut que renforcer la posture chinoise d’un soutien opiniâtre, mais lucide, à un régime nord-coréen avec qui la proximité politique s’est amoindrie. Après tout, « l’épouvantail » nord-coréen reste une constante de la politique chinoise visant à neutraliser la marge de manœuvre des États-Unis et de ses alliées japonais et sud-coréens en Asie du Nord-Est.

Si d’un côté, la Chine a sanctionné une entreprise nationale, la Dandong Hongxiang, soupçonnée d’aider le programme d’armes de Pyongyang, on n’imagine mal qu’elle veuille étroitement contrôler les flux transfrontaliers de marchandises à sa frontière nord-est tant ils profitent aux provinces chinoises du Liaoning, Jilin et Heilongjiang. En effet, à trop vouloir observer l’impact économique de la relation Pékin-Pyongyang avec un angle nord-coréen, on en oublie la réalité des intérêts chinois. Pékin a ainsi largement investi dans la modernisation des infrastructures de l’est de Jilin afin de soutenir le projet de développement liée à l’initiative du Grand Tumen. A terme, les échanges entre la Chine, la Corée du Nord et la Russie devraient en ressortir renforcés et les Chinois en attendent d’appréciables retombées économiques.

Enfin, dans une perspective plus large, il faut comprendre que le Parti communiste chinois (PCC) ne peut rompre les liens avec le Parti des Travailleurs de Corée du Nord, tant les appareils d’État sont objectivement liés. Un effondrement du régime nord-coréen ou une crise grave de leadership aurait un impact direct sur les dirigeants chinois. En dépit d’une orthodoxie communiste revisitée, la mise en danger du régime nord-coréen entamerait la stabilité idéologique du PCC, ce que Xi Jiping ne peut permettre. Cette inquiétude chinoise s’exprime pleinement dans la politique de rapatriement forcé des Nord-Coréens tentant de fuir leur pays. Elle vient d’être tragiquement illustrée par le renvoi en Corée du Nord d’une trentaine de ses ressortissants arrêtés à Shenyang alors qu’ils comptaient gagner le Vietnam.

Isoler et affaiblir la Corée du Nord, est-ce vraiment la solution ?

Si ces nouvelles sanctions, qui ne sont qu’un durcissement des dispositions prises en mars dernier avec la résolution 2270, aboutissent à réduire les revenus du régime, on ne voit pas comment elles auraient un effet direct sur la poursuite du programme balistique et nucléaire nord-coréen, qui est par essence prioritaire pour son jeune dirigeant. Plus de sanctions ne veut pas dire dénucléarisation. Au contraire, en isolant davantage la Corée du Nord, elles ne feront que renforcer sa dépendance au nucléaire, plus que jamais source de légitimité et garantie de survie du régime. Plusieurs exemples montrent que les sanctions économiques sont sans effet si elles ne s’accompagnent pas d’initiatives diplomatiques fortes. Le long embargo subi par Cuba n’a pas fait plier le régime castriste. Acculer Pyongyang ne fera que renforcer la bellicosité du régime tout en accroissant son tropisme nucléaire.

Depuis la première crise nucléaire des années 1990 et en dépit de nombreuses initiatives multilatérales, dont les Pourparlers à Six, les échanges entamés avec la Corée du Nord n’ont pas su créer le minimum de confiance réciproque qui permette d’avancer dans l’élaboration d’un compromis acceptable. La politique de rapprochement intercoréen entamée grâce à la Sunshine Policy (initiée par l’ancien président sud-coréen Kim Dae-jung) avait débouché sur des initiatives inédites : réunion des familles séparées, raccordements ferroviaires, échanges économiques et commerciaux. La transition politique que connait la Corée du Sud avec la vraisemblable démission de Park Geun-hye dans les prochaines semaines, pourrait amorcer un nouveau cycle des relations intercoréennes.

Quoi qu’il en soit, il faut avoir le courage de réactiver un espace politique susceptible d’ouvrir une séquence de dialogue. La nouvelle administration américaine en prendra-t-elle l’initiative ? En s’interdisant de créer un environnement favorable à une reprise de contact, la communauté internationale esquive toute responsabilité en postulant implicitement que tout dialogue ou négociation sont impossibles avec la Corée du Nord. Bien plus, elle déporte insidieusement tout le succès de la politique des sanctions sur l’adhésion ou non de la Chine, s’exonérant à l’avance en cas d’échec.

L’auteur s’exprime ici à titre personnel.

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A propos de l'auteur
Marianne Péron-Doise est chercheur à l'Institut de Recherche stratégique de l'Ecole militaire. Elle est experte des questions de sécurité et de défense, de sécurité maritime et de lutte contre la piraterie dans la zone Asie-Pacifique, et en particulier l'Asie du Nord-Est.