Politique

Corée du nord : à nouveau président à Washington, nouvelle posture de Pyongyang ?

Le leader nord-coréen Kim Jong-un dans un cliché fournie en 2015 par la Korean Central News Agency (KCNA) on 2015.
Le leader nord-coréen Kim Jong-un dans un cliché fournie en 2015 par la Korean Central News Agency (KCNA). (Crédits : Seung-il Ryu / NurPhoto / via AFP)
*Cf. la manifestation rassemblant le 12 novembre dans le centre de Séoul entre 200 000 et 500 000 participants réclamant la démission de la chef de l’Etat, Madame Park Geun-hye, aux prises avec une grave crise politique lui aliénant une majorité de l’opinion. **Cf. la troisième nuit de mobilisation populaire dans diverses villes américaines, en Californie, à New York, Portland ou encore Chicago.
Alors que la fronde populaire* (contre l’actuelle présidente) se fait de plus en plus pressante dans les rues de la capitale sud-coréenne, que de l’autre côté du Pacifique une partie de l’opinion américaine manifeste (dans un format certes encore contenu**) son désarroi quant à l’issue du récent scrutin présidentiel, dans la plus austère Pyongyang, capitale recluse de la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC), on semble en ce 12 novembre 2016 bien loin d’une quelconque effervescence, d’un schéma de tension.
*Les 4e et 5e essais nucléaires effectués par la Corée du nord. Les trois premiers ont été réalisés en 2006, 2009 et 2013.
Certes, comme il se doit dans cet Etat totalitaire placé (à juste titre et de son fait) au ban des nations, les derniers propos de ses dirigeants n’invitent pas pour autant à la félicité ou à la rêverie ; loin de là. Au lendemain de la victoire surprise du candidat républicain, on pouvait notamment lire dans les colonnes du Rodong Sinmun (le quotidien officiel du régime), les propos limpides suivants : « Les espérances de Washington en une Corée du Nord dénucléarisée constituent une illusion dépassée. » Sans aller dans le sens de la très discutable politique de Pyongyang en la matière, il est vrai qu’avec deux nouveaux essais nucléaires réalisés* (nonobstant diverses résolutions onusiennes condamnant cette pratique) depuis janvier (sans parler de la vingtaine de tirs de missiles balistiques menée ces dix derniers mois), l’objectif initial visant à prévenir la nucléarisation de la péninsule semble mal engagé…
*Korean Central News Agency, le 11 novembre.
Dans les jours précédents l’élection américaine, les observateurs du « cas nord-coréen » mettaient en garde contre l’imminence d’une nouvelle provocation de Pyongyang, généralement enthousiaste à l’idée de retenir l’attention de Washington, de Séoul et de Pékin quand de besoin. Une provocation qui prendrait éventuellement la forme d’un énième tir de missile balistique (Musudan), lorsque l’hypothèse d’une nouvelle péripétie nucléaire n’était pas évoquée. Contrairement aux augures, souvent aussi prompts à s’enflammer que Pyongyang l’est à haranguer sa voisine méridionale Séoul, il n’en fût rien. Trois jours après que le nom du futur locataire de la Maison-Blanche fût connu, alors que la stupeur peine à se dissiper dans diverses capitales asiatiques (à commencer par Séoul et Tokyo), le régime nord-coréen parait volontairement se positionner, dans un premier temps (d’étude et de réflexion), dans une logique passive, tout en distillant, comme à son habitude, quelques messages subliminaux à destination du monde extérieur. Ainsi en est-il de la visite symbolique de son énigmatique leader trentenaire Kim Jong-un, relatée par la presse nord-coréenne*, sur l’île de Mahap, située à une vingtaine de kilomètres de la (disputée) frontière maritime (en mer Jaune) entre les deux Corées. Un déplacement lors duquel ce dernier assista à des manœuvres militaires ; histoire sans doute de montrer sa détermination à mener, ces prochains mois, une politique d’apaisement avec Séoul et Washington…
Souvent très en phase avec les calendriers (nationaux ou internationaux), le régime nord-coréen a ces prochaines semaines amplement de quoi afficher la couleur et ses intentions. D’ici un mois (le 17 décembre), Pyongyang célébrera le premier quinquennat au pouvoir de son jeune dirigeant, propulsé à la tête de l’atypique République Populaire Démocratique au décès de son père Kim Jong-il fin 2011. Le 30 décembre, pour clôturer une année 2016 d’une exceptionnelle densité dans la péninsule, la population sera appelée à louer comme il se doit la nomination, intervenue cinq ans plus tôt, de Kim Jong-un, le « jeune maréchal », en qualité de commandant des forces armées.

Peu après, le 8 janvier 2017, les 25 millions de Nord-Coréens seront (fortement) conviés à fêter avec ferveur l’anniversaire de leur dirigeant suprême. Une dizaine de jours plus tard (le 20 janvier) interviendra l’investiture officielle du 45e Président des Etats-Unis d’Amérique ; quatre événements à forte résonance domestique et internationale susceptibles de donner prétexte, d’une façon (spectaculaire) ou d’une autre, à des célébrations et/ou manifestations d’humeur de l’irrascible Pyongyang. Quitte à ce que ces dernières lui aliènent un peu plus l’opinion publique internationale – elle n’est certes plus à ça près – ou irritent un peu plus encore Pékin, son ultime (avec Moscou) parapluie diplomatique majeur, dont les hésitations à l’égard du régime nord-coréen sous le règne de Kim Jong-un sont aussi notoires que son souhait de prévenir tout écroulement brutal, contraire à ses intérêts.

*Le pendant sud-coréen – la présidence – de la Maison-Blanche américaine.
S’il est par nature bien hasardeux de prétendre tenter de lire dans le jeu (dangereux) de cet Etat parmi les plus isolés et sanctionnés du concert des nations, il parait cependant possible d’esquisser quelques pistes à court terme que pourrait emprunter l’ombrageuse Pyongyang, à l’endroit de Washington et de Séoul notamment. Vis-à-vis de sa voisine du Sud, engoncée dans une crise politique domestique majeure qui devrait quasi-exclusivement accaparer les autorités et limiter considérablement leur investissement sur les grands dossiers extérieurs, le régime nord-coréen devrait sauf surprise ou improbable empathie considérer que le crédit désormais des plus limités de l’administration Park hypothèque tout intérêt de discuter, composer avec cette dernière. A ce niveau de fragilisation de la Maison-Bleue*, on pourrait même s’étonner que Pyongyang ne se soit pas engouffrée dans cette brèche facile pour participer à la curée ; cela pourrait naturellement intervenir du jour au lendemain…
Enfin, à l’adresse de Washington, dont les autorités et porte-voix officiels nord-coréens déploraient il y a encore peu la politique de « patience stratégique » adoptée lors des deux mandats du président démocrate Barack Obama, il est possible d’envisager une courte période d’observation, de retenue, de mesure, le temps de jauger les premières saillies de la future administration républicaine, de calibrer d’éventuelles réponses, rhétoriques ou plus contentieuses.
Si la perspective de devoir composer avec Hillary Clinton à la Maison-Blanche n’enchantait guère les cercles du pouvoir de Pyongyang, ces derniers – on peut à ce niveau les comprendre… – restent probablement encore très indécis à cette heure sur les contours de leur future politique américaine et les angles d’attaque à privilégier avec Donald Trump et son gouvernement. Même à Pyongyang, la défiance n’exclut ni une certaine forme de patience – encore que ce concept échappe fréquemment à ses dirigeants – ni une relative prudence.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Birmanie 2020 : de l’état des lieux aux perspectives" (IRIS/Dalloz) et de ''L'inquiétante République islamique du Pakistan'', (L'Harmattan, Paris, décembre 2021). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.