Benjamin Decoin : "Je ne peux pas croire que toute la Corée du Nord soit mise en scène !"
Contexte
Benjamin Decoin a effectué deux séjours en Corée du Nord, en novembre 2015 et en avril 2016. Au-delà de la capitale Pyongyang, cet ouvrage nous offre une plongée dans les provinces nord-coréenne. Clic-clac ! Nous voilà dans une ferme collective au milieu des champs de pommes de terre destinées notamment à la fabrication du soju – l’alcool national -, ou en pleine récolte du chou qui, une fois fermenté, atterrira sur toutes les tables sous le nom de kimchi – le condiment emblème du pays. Ces 200 pages nous conduisent encore dans un temple bouddhiste, dans un orphelinat ou dans une colonie de vacances modèle ; des lieux régulièrement au programme des visites pour étrangers en Corée du Nord, mais rarement photographiés. Le boitier Fuji X100 porté en bandoulière et un objectif de 35 millimètres permettent au photographe de rester le plus discret possible, cela malgré la présence de guides-interprètes qui l’accompagnent dans chacun de ses déplacements.
Les images sont capturées au grand angle. L’appareil semble encore au repos, en position « touriste » sur le ventre de celui qui déclenche. Un dispositif qui donne à voir une toute autre Corée du Nord que celle promue par la propagande. Oubliez les gros missiles à nez rouge des défilés militaires de la place Kim Il-sung, oubliez aussi les chorégraphies de masse d’un peuple supposé chanter et danser à l’unisson de ses dirigeants ! Les photos de Benjamin Decoin nous proposent un portrait plus intime de ce pays et surtout plus proche de ses habitants. Soldats occupés au nettoyage des rues ou à la distribution de nourriture, ouvrières des rizières, lycéens à vélo… Au final, c’est une Corée du Nord plus humaine qui est racontée dans ses pages.
Les textes courts et thématiques d’Antoine Bondaz, docteur associé au CERI/Sciences Po et chercheur associé à Asia Centre où il coordonne la revue Korea Analysis, viennent compléter les visages et les paysages, sans jamais perdre de vue la réalité de la dynastie des Kim. Derrière ces montagnes parmi les plus belles d’Asie, ces fermes qui produisent l’un des meilleurs riz au monde, ces immeubles rutilants du nouveau Pyongyang, ce jardin en partie préservé des dérives de la société de consommation, les auteurs dévoilent aussi un système totalitaire des plus tenaces.
En avisant l’un de ces arbres, Kim Il-sung a demandé combien il portait de fruits. On lui a répondu qu’il y en avait 500. Le dirigeant s’est alors frotté le menton, et a estimé qu’il y en avait environ 800. On a recompté les fruits, il y en avait exactement… 804 !
Le plus drôle, c’est qu’on m’avait déjà raconté cette histoire. Quand mes guides en sont venus à la question du nombre de fruits, je les ai devancés. J’ai dégainé le « 804 », ce qui n’a pas manqué de les surprendre. Je me suis rendu compte à ce moment-là, que nous connaissions mieux ces anecdotes qu’eux-mêmes parfois. Parce que ce sont toujours les mêmes histoires qu’ils racontent aux étrangers. C’est comme un mythe qu’ils entretiennent à force de le ressasser. Tout cela n’est peut-être pas vrai, mais cela permet de structurer la société nord-coréenne, ce qui est le rôle du mythe au fond.
J’étais donc à Kaesong le matin, une ville près de la zone démilitarisée qui marque la séparation avec la Corée du Sud. J’ouvre la fenêtre, et j’entends un chant venant des hauts-parleurs. Je vois alors des femmes en train de balayer la rue. C’est souvent le cas en Corée du Nord, les rues sont toujours très propres. Puis soudain, les balayeuses se sont rassemblées et elles se sont mises à danser en cercles de façon très joyeuses. J’ai demandé à mes guides ce qu’il en était. Ils m’ont expliqué qu’elles préparaient une fête de village. On peut imaginer que ce genre d’événement est mis en scène, parce que parfois la scène est trop parfaite.
Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux en Corée du Nord ? Il est toujours très difficile de le savoir même en se rendant sur place.
Le plus terrible, c’est de ne pas pouvoir faire un pas de côté, de ne pas pouvoir choisir la porte à ouvrir, de pas pouvoir être en retard ou en avance, ou simplement s’asseoir et ne rien faire.
A lire
Corée du Nord : Plongée au cœur d’un Etat Totalitaire. Editions du Chêne, octobre 2016.
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