Disco à gogo avec Wangpan
Qui a déjà mis les pieds dans une méga discothèque chinoise sera sans doute ressorti atomisé, les oreilles encore bourdonnantes d’une techno douteuse, les yeux clignant de ces flashs stroboscopiques qui s’abattent comme des éclairs sur la foule en délire en traçant des stries phosphorescentes sur le corps de danseuses peu vêtues. Colonnes dorées, canapés moirés, tables couvertes de fruits, de magnums de whisky et de thé vert, il y a quelque chose de dionysiaque, de grandiloquent et de complètement décadent dans ces clubs où le client semble venir autant pour étaler sa richesse que pour s’oublier totalement dans des flots de boisson et des chorégraphies mystiques.
Le clubbing en Chine est « un spectacle excessif », comme disait Roland Barthes en parlant du catch et de ses vertus. Loin de l’élégance des clubs berlinois ou parisiens, les clubs chinois sont des sanctuaires du kitsch et de la surabondance ; et c’est ce monde-là que Wangpan, en sus de ses travaux officiels, photographie inlassablement dans le cadre d’une série intitulée « 夜店众生相 » (soit « Créatures de boîtes de nuit »).
Les lieux de la nuit m’ont toujours intéressé : ce sont des lieux de mystère pour beaucoup de chinois, des lieux de perdition et de vice. Moi ce qui m’intéresse c’est de voir comme les gens aiment toujours se retrouver dans des endroits sombres des grandes villes pour y jeter leur masque l’espace d’une nuit et revenir à leurs instincts. Un peu comme des fauves dont on ouvre la cage, ils se précipitent à l’extérieur et s’adonnent à tous les plaisirs possibles. J’ai pris des photos dans pratiquement tous les nightclubs de Chine ! Mais surtout dans les clubs de grandes et moyennes villes comme Pékin, Shanghai, Xi’an, Fuzhou, Hangzhou ou même Urumqi.
Quand j’avais 15 ans, j’adorais chanter, alors un « grand frère » m’a laissé faire ça dans son club et puis je dansais aussi. Je dansais le break dance, le space dance, les soft postures, le moonwalk etc… quand je dansais tout le monde venait créer un cercle autour de moi. Dans les boîtes il y avait toute sorte de gens : des jeunes branchés, des petites frappes. Il y avait souvent de la bagarre, souvent à cause d’une fille.
荷东猛士 (Hedong/Mengshi)
Quand la Chine continentale s’est ouverte après que soit impulsée par Deng Xiaoping la campagne de réforme et d’ouverture, la culture audiovisuelle asiatique et occidentale s’est engouffrée dans le pays via Hong Kong où le divertissement battait son plein grâce à une industrie cinématographique et musicale prospères.
A Tsim Sha Tsui (à Kowloon), les discothèques fleurissaient et c’est dans l’une d’entre elles, le Hollywood East, que des Djs locaux ont commencé à jouer des remixs de tubes de groupes internationaux comme Modern Talking, Pepsie & Shirlie, HI-NRG ou encore Yazoo présentés sur une compilation européenne éponyme (Hollywood East Star Trax).
La réaction du public fut si puissante que le label hongkongais FACE fit la licence de la dite compilation (dont le nom abrégé est 荷东 en chinois) et en édita 10 volumes qui explosèrent les ventes hongkongaises et dont la popularité gagna les lointaines discothèques de Chine Populaire !
Voilà donc comment les clubbeurs chinois du Shaanxi jusqu’au Zhejiang ont pu découvrir Sabrina (et son « Boys boys boys ») et la Lambada !
Il y avait une sorte de boîte de campagne au bord de la nationale 108 ; c’était rudimentaire, juste un cube de béton posé au milieu des champs avec des lumières et des enceintes ! J’adorais aller là-bas. Quand j’y repense c’est très drôle, ca rappelle des scènes des films de Jia Zhangke. J’étais sauvage et naïf, je portais les cheveux longs et j’avais des gants blancs pour faire cool. Je buvais et je fumais des clopes mais je ne prenais pas de produits illicites. J’étais là pour siffler les filles et faire la course en moto. C’est tout. Ceci dit, j’ai aussi entendu parler de gens qui se sont fait attraper pour consommation de drogue.
Une autre fois je me suis battu à cause d’une fille, le sang coulait de partout, j’ai dû être hospitalisé et j’ai eu la tête gonflée comme celle d’un cochon pendant des semaines…. Après tout ça je me suis demandé si je n’allais pas reprendre des études et me calmer un peu. J’ai repris la fac à Xi’an en 1996 où j’ai étudié le droit. Là, des camarades de classe m’ont emmené dans la plus grosse discothèque de la ville où j’ai entendu pour la première fois MC Hammer !
Quel choc !
Quand j’ai vu l’ambiance qui régnait dans le club, le Dj sur son podium, j’étais trop excité, je me suis dit que moi aussi je voulais être Dj ! Par contre quand je suis allé sur la piste pour danser je me suis rendu compte que j’avais moins de style qu’avant, haha !
Mais je me considère tout de même comme un autodidacte. Je pense que c’est la photo qui m’a choisi plutôt que l’inverse, en tout cas, elle m’a sauvé la vie. Elle m’a permis de prendre un meilleur chemin que celui sur lequel je m’étais engagé. Maintenant je fais des portraits de gens aussi célèbres que Zhang Yimou, Jack Ma ou Chris Lee, c’est un peu fou pour moi !
Quant aux boîtes de nuit, j’y vais beaucoup plus rarement. Maintenant, je suis rangé, j’ai une femme et un enfant et je me couche tôt.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don