Culture
Expert - Transistor Asie

Trance kawaii à Taïwan

Trance Baby Meow, l'une des deux membres du groupe "Trance Zone Family".
Trance Baby Meow, l'une des deux membres du label "Trance Zone Family". (Crédit : DR.).
Le Web asiatique regorge décidément de curiosités. Récemment, mon attention s’est portée sur de drôles de nymphettes Taïwanaises qui répandent des vidéos transgéniques depuis quelques mois sous le nom de code de Trance Zone Family (劝世总亲会), groupuscule adepte de musique électronique teintée d’influences 90’s, mené par Trance Baby Meow et sa copine Trance Beauty Wawa.
A première vue, les deux jeunes filles répondent à tous les critères kawaii identifiables de Tokyo à Taipei : jolis minois, dress code de school girl mâtiné de cyber punk… On pourrait croire à des lolitas manufacturées à la chaîne comme on en trouve tant à Taïwan (S.H.E., Jolin Tsai etc…).
Mais en regardant leurs vidéos de plus près on se dit que quelque cloche dans l’esthétique de poupée Barbie. Un piercing sur la lèvre, une série de tatouages sur le bras, des fringues un peu trop désassorties, on voit bien qu’il n’y a pas de directeur marketing derrière ce style hybride, juste des filles en chair et en os, purs produits de la culture kawaii, mais bien décidées à la transgresser.
« Nous sommes conscientes que nous vivons dans une ère déformée par l’information, alors on a décidé de s’amuser avec ça, de créer un concept artistique complet avec toutes ces images », commente Trance Baby Meow.
Le procédé est simple : des vidéos ultra  » low-fi » (de basse qualité, NDLR) réalisées avec des logiciels basiques reprenant tous les codes visuels de la culture du loisir taïwaino-japonais : icônes, émojis, lettrages colorés qui défilent comme sur les moniteurs vidéo des clubs karaoké, sur fond de trance très mal produite émaillée de paroles niaises : tous les éléments d’un rêve psychotrope fluorescent sont réunis !

« En fait nous avons commencé dès 2011 à expérimenter des choses en vidéo, mais ce n’était pas ça, commente Trance Baby Meow. Avec Trance Beauty Wawa on allait dans des parcs et on filmait un peu n’importe comment des séquences pour évoquer des éléments typiques de la culture télévisuelle taïwanaise des années 90. Ensuite on a travaillé autrement, on a fait des choses plus « trash » ».

Trance Beauty Wawa, l'autre membre du tandem de "Trance Web Family".
Trance Beauty Wawa, l'autre membre du label de "Trance Zone Family". (Crédit : D.R.).
En effet, ce que veulent montrer les deux jeunes femmes à grand renfort de bugs numériques et de larsen vidéo dans leur série « Trance Babies » c’est une autre version de la féminité – pas celle de la piété filiale et du mariage parfait. D’où l’esthétique moins « plastique » que dans les canons de la variété taïwanaise féminine. Trance Beauty Wawa qui a confié à des journaux qu’elle avait eu une enfance difficile avec des parents divorcés et un père violent, utilise ouvertement ses chansons pour exulter ses frustrations d’enfance comme par exemple dans l’une de ses chansons qui commence avec ces paroles : « Je ne rentre pas ce soir papa. Ah oui ? Je ne suis pas une bonne fille ? N’utilise pas ton insécurité pour me contrôler »
Dans la société taïwanaise où les valeurs confucéennes prévalent encore, ces mots font l’effet d’une bombe. Ironiquement c’est dans les Karaokés que la jeune fille a appris à chanter et faire sortir ses émotions – ce qui m’amène sérieusement à me demander si le karaoké en tant qu’espace social n’a pas fonction de psychanalyse après tout… Quant à l’électro trance, les demoiselles sont tombées dedans au moment du lycée, dans l’une des nombreuses discothèques de Taïpei où les jeunes vont boire des cocktails multicolores et dansent en secouant la tête.

Trance Baby Meow quant à elle, joue davantage la carte de la jolie fille qui « l’air de rien » vit sa vie comme elle l’entend. Avec ses cheveux au carré et ses mini jupes droites, elle évoque une France Galle de 20 ans télé-transportée dans l’Asie du futur. Inventrice de toute une série de vocables autour du miaulement du chat, elle a fait un véritable carton avec son titre « 喵电感应 » (l’effet du Miaou électrique) et descendue du Web, elle sait tenir une scène.

Plongez-vous dans les vidéos de la Trance Zone Family, et ne vous tracassez pas si vous ne comprenez rien : c’est normal, les textes sont truffés de néologismes et de références au bouddhisme ancien. Après tout, ce qui compte c’est de ressentir les « merveilleuses sensations du Miaou électrique », comme qui dirait.

A découvrir deux autres clips de Trance Zone Family

好想你 (Tu me manques vraiment vraiment beaucoup)

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A propos de l'auteur
Basée en Chine pendant 16 ans où elle a passé sa post adolescence au contact de la scène musicale pékinoise émergente, Léo de Boisgisson en a tout d’abord été l’observatrice depuis l’époque où l’on achetait des cds piratés le long des rues de Wudaokou, où le rock était encore mal vu et où les premières Rave s’organisaient sur la grande muraille. Puis elle est devenue une actrice importante de la promotion des musiques actuelles chinoises et étrangères en Chine. Maintenant basée entre Paris et Beijing, elle nous fait partager l’irrésistible ascension de la création chinoise et asiatique en matière de musiques et autres expérimentations sonores.