"Je me sens vidé" : le tube chinois de l’été
Les Chinois ont depuis les temps les plus anciens excellé dans les détours et les circonvolutions métaphoriques pour décrire les phénomènes sociaux. Le Net chinois regorge de ce genre d’anecdotes aussi imagées qu’illisibles sans un brin de références. En Chine, l’écriture et l’histoire sont ainsi faites et si inextricablement liées que l’on peut toujours se servir d’analogies à des faits antiques pour décrire le contemporain, mais aussi de jeux subtils avec l’homophonie des caractères pour substituer des noms à d’autres, et pointer sans vraiment dénoncer les dysfonctionnements de ce grand pays qui parait toujours sous contrôle.
Jin Chengzhi, le cerveau derrière « Je me sens vidé » n’est pourtant pas ce que l’on peut appeler un rebelle, il est même un pur produit du système d’excellence à la chinoise. Diplômé du conservatoire de Shanghai, Jin a étudié le piano dès son plus jeune âge avant de rejoindre le département de composition du conservatoire en 2007. Il est le fondateur et le chef d’orchestre du « Chœur de l’Arc En Ciel », et l’auteur de nombreuses pièces aux noms impressionnistes comme Recueil de la montagne Ziya, qui font les louanges des beautés de la nature près de Wenzhou.
En somme, Jin Chengzhi est un lettré de son époque. A seulement 29 ans, il se revendique de culture classique, compare les textes qu’il écrit pour le chœur au Classique Des Odes (recueil de chansons qui date de l’antiquité), mais grâce à son humour, son sens aigu de la dérision et de la narration, il parvient à faire passer l’art savant de la chorale dans le domaine populaire en utilisant les outils du monde actuel. C’est comme si aujourd’hui, au lieu d’envoyer des rouleaux calligraphiés à l’empereur, le jeune lettré publiait ses essais sur le Net sous forme d’une vidéo bien éditée et ne tardait pas à faire entendre sa voix en créant un véritable buzz. Le but n’est bien sûr plus de se faire entendre de l’empereur mais des netizens. Et depuis juillet, Jin Chengzhi n’a pas à se plaindre : de grosses sociétés comme Kodak ou Durex ainsi que des producteurs de films, avides de nouvelles idées marketing, sont séduits par le succès en ligne du « Chœur de l’Arc en Ciel » et le contactent spontanément pour des campagnes sur Internet ou des bandes originales. Peut-être même que les membres du Politburo écoutent « Je me sens vidé » dans leur bureau climatisé de Zhongnanhai, en regardant les pétales des fleurs tomber au crépuscule.
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