Birmanie : les racines de la violence entre bouddhistes et musulmans du Rakhine
Sous développement et griefs sous-jacents
Ajoutés à un sous-développement chronique, les griefs sous-jacents entre les deux communautés ont conduit à l’éclatement de violences dans le nord du Rakhine en 2012 et ont encore aggravé leurs conditions de vie. Déclenchées par le viol d’une femme bouddhiste par un musulman, ces violences s’étaient étendues, contrairement aux précédentes, à l’échelle nationale en 2013 : à Meiktila (Région de Mandalay), puis à l’ouest de la Région de Bago, à Okkan et Kantbalu (Région de Sagaing), Lashio (État Shan), et Thandwe (État Rakhine). Elles avaient resurgi en 2014, lorsque des manifestants rakhine avaient accusé les organisations internationales de favoriser les musulmans. Près de 200 personnes avaient été tuées, 100 000 autres déplacées, des milliers de maisons brûlées, brisant de fait les liens anciens entre les deux communautés.
Restrictions et conditions de vie insalubres
Leur situation est encore plus dramatique à Sittwe, où les musulmans ne représente que 30% de la population. La plupart d’entre eux vivent actuellement enfermés dans des camps insalubres en périphérie, suite à leur expulsion de la ville et à la destruction de leurs villages dans les violences de 2012. Aujourd’hui, ce sont plus de 140 000 déplacés internes, essentiellement des Rohingyas, qui (sur)vivent dans ces camps insalubres au nord du Rakhine, à la frontière avec le Bangladesh. Cet entassement favorise la propagation des maladies telles que l’hépatite A, B ou C, contractées par une majorité d’entre eux et non soignées puisqu’ils ne sont pas autorisés à se rendre à l’hôpital. Par ailleurs, leur inactivité forcée les empêche de subvenir aux besoins fondamentaux de leur famille et les isole dans un état de misère. Malgré leur situation, les membres de la communauté rakhine n’envisagent pas le retour des musulmans dans leurs quartiers.
Des perspectives de radicalisation limitées
Le Rakhine semble aujourd’hui faire face à une autre menace liée à ces restrictions : la radicalisation de certains d’entre eux et l’utilisation des tensions par les réseaux djihadistes. Le gouvernement a attribué la responsabilité des attaques au groupe Aqa Mul Mujahidin, lié au RSO, un mouvement rohingya fondé dans les années 1980 pourtant considéré dissous. Financé par l’extérieur et dirigé par un Bangladais entraîné par les Talibans pakistanais, le groupe de 400 militants aurait armé et persuadé des jeunes à recourir à la violence. En septembre 2014, Al-Qaïda avait déjà annoncé la création d’une branche qui « hisserait le drapeau du djihad » en Inde, au Bangladesh et en Birmanie, au moment où l’État islamique tentait d’étendre son pouvoir en Afghanistan, au Pakistan et au Cachemire.
En mai 2015, dans une déclaration rare sur une affaire externe à la Corne de l’Afrique, le groupe djihadiste somalien Al-Shabaab affilié à Al-Qaïda avaient déjà appelé les musulmans d’Asie du Sud-Est à venir en aide aux Rohingyas. La Malaisie et l’Indonésie venaient de déclarer l’asile temporaire à des milliers de migrants bloqués en mer, à condition que la communauté internationale les réinstalle sous un an. En juin 2015, le groupe militant Tehreek-e-Taliban Pakistan avait appelé la jeunesse musulmane de Birmanie à « prendre les armes » contre les dirigeants du pays, déclarant que leurs « centres d’entrainement, leurs ressources et leurs armes étaient à leur disposition ». Néanmoins, ces perspectives de radicalisation semblent limitées en Birmanie, la grande majorité des Rohingyas affirmant s’opposer à la violence et nécessiter l’appui des gouvernements occidentaux pour défendre leurs droits.
Le cloisonnement des communautés, une menace pour la transition démocratique birmane
Ajouté au sous-développement de la région, le cloisonnement des deux communautés menace en effet la transition démocratique de la Birmanie vers la paix, la réconciliation et le développement. C’est pour répondre à ce problème qu’une Commission consultative sur le Rakhine, dirigée par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, a été mise en place le 23 août dernier. Elle a pour objectif de proposer d’ici un an, à la conseillère d’État Aung San Suu Kyi, des solutions pour la prévention des conflits, la protection des droits fondamentaux, l’assistance humanitaire, la mise en place d’institutions et le développement de l’État Rakhine. Un acte stratégique de la part de la conseillère d’État pour s’attaquer à cette situation complexe, qui pourra féliciter son gouvernement s’il apaise les tensions, ou rejeter la faute sur la communauté internationale si la mission de la Commission échoue.
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