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Chine : les applications de live streaming en plein boom

Sur le stand de YY, l'un des principaux éditeurs d’applications de live streaming en Chine, lors de la 13ème China Digital Entertainment Expo, appelée aussi ChinaJoy 2015, à Shanghai le 28 juillet 2015.
Sur le stand de YY, l'un des principaux éditeurs d’applications de live streaming en Chine, lors de la 13ème China Digital Entertainment Expo, appelée aussi ChinaJoy 2015, à Shanghai le 28 juillet 2015. (Crédits : Stringer / ImagineChina / via AFP)
Dans une ville de la banlieue de Chengdu, comme chaque mardi en début de soirée, une jeune fille chante devant son smartphone dans sa chambre. Plusieurs milliers d’utilisateurs de Yingke, l’application de live streaming qu’elle utilise, la regardent, lui posent des questions et lui envoient des cadeaux virtuels. Elle fait partie des 600 000 diffuseurs de Yingke, déjà téléchargée 50 millions de fois en Chine. Et ce n’est qu’une application parmi les dizaines qui se partagent le marché.
D’après Feng Yousheng – CEO de Yingke – deux phénomènes peuvent éclairer l’émergence et la popularité du live streaming. Le premier est technologique. Dans un pays où la part d’utilisateurs d’Internet est passée de 38 à 52% de la population totale ces cinq dernières années, le smartphone est devenu roi. Le second phénomène est générationnel. Selon Feng, les « personnes nées après 1990 ont une forte tendance à être connectées en permanence », une tendance qui s’intègre à part entière dans leur mode de vie.

Alors qu’en Occident des applications de live streaming comme Periscope et Meerkat en Occident connaissent un succès naissant en 2015, des dizaines de start-ups chinoises se lancent sur ce même créneau. Aujourd’hui, deux applications semblent dominer le marché.

Yingke – régulièrement en tête des classements de l’App Store chinois – compte plus de 50 millions de téléchargements. Sa rivale, Douyu, soutenue par les investissements de Tencent et de Sequoia Capital China, affirme que 600 000 personnes ont déjà diffusé une vidéo et 150 000 sont des « réguliers ». Si ces applications se sont directement inspirées de la Silicon Valley, elles présentent des spécificités propres à la Chine.

En 2008, David Li Xueling co-fonde YY avec Lei Jun – le fondateur du géant Xiaomi. YY est une plate-forme virtuelle destinée aux joueurs de jeux vidéos pour échanger et jouer en temps réel. Aujourd’hui, elle compte 10 millions d’utilisateurs et a étendu loin du jeu vidéo les différents genres de contenus accessibles sur la plate-forme. Comme pour les applications de live streaming aux Etats-Unis ou en Europe, leur usage s’étend de l’information à la prise de parole spontanée par des célébrités, en passant par des scènes de vie quotidienne ou des tutoriels beauté.

Les marques chinoises semblent cependant mieux saisir les opportunités de ce nouveau media. TaoBao a lancé cette année une plate-forme de vidéos en ligne où des « influenceurs » font la promotion de produits en direct. L’une de ces vidéos, vantant une marque de vêtement, a vendu plus de 200 000 pièces lors d’une session de deux heures.

Réaction des autorités chinoises

Outre son potentiel commercial, pour Cao Xi de Sequoia Capital, le volume des utilisateurs de ces applications tient en partie des libertés qu’elles suggèrent. « Dans un pays où la pornographie n’est pas accessible, le marché est plutôt porteur », affirme-t-il. Les amendes que Douyu et Yingke ont payées ces derniers mois pour « information pornographique, de mauvais goût et inappropriée », selon un organe de communication officielle du parti, semble donner raison à l’investisseur.

En réaction à plusieurs vidéos mettant en scène des couples ou des jeunes filles nues et à l’utilisation grandissante des services de live streaming, l’Etat chinois a en effet rendu obligatoire l’obtention d’une licence de télédiffusion d’une valeur de 10 millions de yuans. Licence que le gouvernement a tout pouvoir de retirer de même que l’accès à Internet aux entreprises, selon un rapport du China International Capital.

Les start-ups s’adaptent

Devant l’obligation d’accepter une surveillance totale de l’Etat, les start-ups ont développer différents moyens pour attirer des utilisateurs. Le premier a été de filtrer les contenus diffusés. Au sein de Yingke, 500 personnes surveillent le contenu contre 150 pour les opérations. Tout comme chez Douyu où autant d’employés sont responsables de surveiller ce qui est partagé, et le supprimer si besoin, que de développer le produit.

Leurs efforts se sont également concentrés sur le renforcement des moyens de monétisation disponibles pour ses utilisateurs. C’est ce qui fait la particularité principale des applications chinoises. Dans la droite lignée de la hong bao (l’enveloppe rouge pleine d’argent), les spectateurs ont la possibilité d’envoyer des cadeaux virtuels – des fleurs, un câlin ou encore un bateau – aux « live streamers » si le contenu leur plait ou si ces derniers leur suggèrent. Bien que virtuels, ces cadeaux peuvent être échangés en yuans. Les cadeaux les plus chers peuvent aller jusqu’à 500 yuans et les utilisateurs actifs peuvent donc gagner facilement plusieurs milliers de yuans par jour. L’application et l’utilisateur se partagent les gains. Yingke prendrait une part – 10% selon un utilisateur. Douyu affirme partager de manière égale.

Pour garder un flux de contenu constant et construire une programmation attractive et variée, certaines applications ont également des contrats avec des influenceurs. La source principale de rémunération des utilisateurs restent cependant les spectateurs eux-mêmes.

En ce sens, le live streaming est à l’échelle du smartphone, une version mobile et instantanée de la télé-réalité. Les applications mettent par exemple en avant les heures de diffusion des utilisateurs les plus actifs comme le ferait une chaîne de télévision pour ses programmes. La licence délivrée par l’Etat devenue obligatoire, est la même que pour une chaîne de télévision. Outil pour utilisateurs en quête de popularité ou de reconnaissance de leurs talents, le live streaming réduit la distance entre les célébrités et le reste de la population, dans un pays où accéder à son « quart d’heure de célébrité » est une nouvelle forme de liberté.

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A propos de l'auteur
Marketeur basé à New York, ayant vécu et travaillé en France et en Chine, Hadrien s'intéresse à l'économie numérique et aux écosystèmes entrepreneuriaux de l'Asie de l'Est.
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