Société
Entretien

Chine : vers une fermeture politique au détriment du développement économique ?

De jeunes diplômés chinois lors d'ue foire à l'emploi à Huangshan, dans la province de l'Anhui à l'est de la Chine, le 28 mai 2016.
De jeunes diplômés chinois lors d'ue foire à l'emploi à Huangshan, dans la province de l'Anhui à l'est de la Chine, le 28 mai 2016. (Crédits : Shi yalei / Imaginechina / via AFP)
Si l’on calcule sa puissance économique en PIB ajusté en fonction de la parité de pouvoir d’achat, la Chine est au premier rang mondial. Pourtant, elle continue d’être relativement absente des media français. La psychologie, les conditions de vie et les aspirations réelles des 1,38 milliards de Chinois – dont plus de 35 000 font des études en France actuellement (50 000 à l’horizon 2020) – restent encore largement méconnues alors que beaucoup de clichés circulent. En s’attachant à cerner et chiffrer les toutes dernières évolutions, tout en s’appuyant sur un rappel de l’histoire récente, Alain Wang dresse un portrait vivant, bien documenté et très tourné vers l’avenir des Chinois dans toute leur diversité. Dans Les Chinois, paru chez Tallandier le 25 août dernier, le sinologue aborde notamment des questions clés pour l’avenir : l’évolution du Parti communiste, l’ouverture/fermeture du pays, la protection de l’environnement, Internet et les libertés, sans oublier l’évolution des mœurs.

Contexte

Né en France de père chinois, Alain Wang, écrivain-journaliste, se rend régulièrement en Chine depuis 1978. Il est depuis 2001 chargé de cours à l’Ecole Centrale Paris et à l’Institut français de la Mode (IFM). Coach et conseil interculturel, il a régulièrement effectué depuis 1992 des missions pour de grandes sociétés françaises dans le domaine du management des entreprises chinoises ainsi que dans celui de la négociation et de la vente à une clientèle asiatique. Il a été rédacteur en chef de la revue Asia Magazine et écrit pour Politique Internationale, Long Cours, ou encore le site Atlantico… Auteur de La Chine nouvelle (Larousse, 2012) avec Cyrille J.D. Javary et de Géopolitiquement correct et incorrect (Tallandier, 2014) avec Harold Hyman, traducteur en français de plusieurs ouvrages du Dalai Lama, il vient de publier chez Tallandier un ouvrage clair et synthétique sur Les Chinois.

L'écrivain-journaliste et sinologue Alain Wang.
L'écrivain-journaliste et sinologue Alain Wang. (Copyright : Anne Garrigue)
Votre livre aborde la Chine sous l’angle des gens. Vous commencez par le politique et finissez par l’économique, vous traitez très tôt les questions des religions et des minorités et vous faites la part belle à l’histoire. Pourquoi ces choix ?
Alain Wang : Il est difficile de comprendre les évolutions de la Chine d’aujourd’hui et de demain sans revenir sur son histoire récente. La mise en place du système communiste s’est faite dans la violence. Durant la Révolution culturelle, dix-sept millions de jeunes citadins ont été envoyés dans des régions lointaines et déshéritées. La transmission intergénérationnelle s’est mal effectuée. Beaucoup de jeunes Chinois ne connaissent pas leur histoire. Néanmoins, ils portent en eux ces moments de violence de désespoir qu’ils n’arrivent pas toujours à verbaliser. Cela constitue leur psyché. Ce silence et ce refoulé dominent les rapports sociaux.
La société chinoise est dans son ensemble une société violente, qu’il s’agisse des rapports entre hommes et femmes, entre urbains et migrants, entre chefs d’entreprise et employés. Corruption, arrestations, expropriations, cette violence des autorités est peut-être le seul point commun à travers toute la Chine. On la retrouve sous d’autres formes au Xinjiang et au Tibet. Les jeunes générations ont du mal à la comprendre.
Vous insistez sur quatre points : le Parti communiste, l’écologie, Internet et la libéralisation des mœurs. Pourquoi ces priorités ?
Le Parti est la colonne vertébrale du pays. Il a peu évolué depuis 1949 quand les grandes familles ont pris possession des rênes du pouvoir. Elles dominent toujours le pays, ce qui explique la corruption dans le monde économique, intrinsèque au fonctionnement du parti. Une ouverture politique existe grâce à la ligue de la jeunesse révolutionnaire qui permet aux jeunes de grimper dans les sphères de décision par le mérite. Ce mélange d’aristocratie et de méritocratie qui apporte du sang neuf est une des explications de la durabilité du système. Le Parti est loin d’être un parti de dirigeants âgés : à partir d’un certain âge, il faut quitter ses fonctions. Ce « grand réseau » de 88 millions de membres facilite l’obtention de bon poste, ou donne l’accès à des financements pour les entrepreneurs.
Vous insistez sur la question écologique. L’espérance de vie a baissé dans certaines régions à cause de la recrudescence des cancers, une conséquence de la pollution. Pensez-vous que le régime pourrait tomber sur cette question?
La population chinoise est hypersensible aux questions écologiques. On l’a vu à l’occasion de la diffusion sur le Net du reportage de la journaliste Chai Jing « Sous le dôme » vu par 200 millions de personnes en quelques jours avant d’être censuré. Le pouvoir central est obligé d’en tenir compte. Les manifestations de ceux qui ne veulent plus voir leur environnement se dégrader représentent la moitié des mouvements de masse contestataires en Chine ces dernières années. Le régime reconnaît le mouvement écologique émanant d’associations ayant pignon sur rue mais une nouvelle loi sur les ONG renforce le contrôle de l’État restreignant leurs activités. D’autre part, la prise de conscience écologique, certes réelle, se conjugue avec une envie tout aussi forte de rouler en voiture, d’avoir le confort d’une vie moderne à l’occidentale, qui est responsable de la dégradation de l’environnement. Aller vers le choix et la préservation d’un environnement durable va exiger des Chinois des solutions originales. Je suis optimiste. Les Chinois sont pragmatiques et la recherche de la préservation de la santé a une longue histoire dans ce pays.
Vous parlez longuement des libertés sur Internet et de la menace du « Big Brother »…
Dès le début, le gouvernement chinois avait conçu l’embryon d’Internet comme un intranet qui pouvait être séparé du monde et isoler à l’intérieur des provinces ou des villes. La police Internet surveille en permanence les réseaux, élimine les informations qui gênent ou s’arrange pour les faire se noyer sous une avalanche d’informations anodines.
Xi Jinping a donc pris la main sur l’information puisqu’il préside le Comité de pilotage sur la sécurité de l’Internet qu’il a créé. Jusqu’où cela peut-il aller et comment est-il apprécié par les Chinois aujourd’hui?
Son arrivée au pouvoir en 2012 a été plutôt bien perçue. Son attaque contre les corrompus du système a été vue positivement. Après, se pose la question : jusqu’où ira-t-il ? Ces attaques ressemblent trop à une véritable purge politique. Il reste populaire sauf dans les milieux économiques où les fonctionnaires gèlent des budgets par peur, coupant ainsi les crédits et les projets d’investissements indispensables aux entrepreneurs. L’incertitude s’exprime par une évasion fiscale gigantesque depuis un an et demi.
Quel contrat lie actuellement Xi Jinping aux Chinois?
Le contrat, c’est la stabilité. Mais je ne suis pas sûr qu’elle soit suffisante pour la jeunesse qui regarde vers l’extérieur et a besoin de s’émanciper. La stabilité nécessaire à l’époque de leurs parents pour régénérer le pays ne répond peut-être plus tout à fait à la période actuelle. L’erreur du président Xi est de mettre trop l’accent sur la sécurité et pas assez sur de nouvelles réformes qui changeraient la vie de la population.
Et son « Rêve chinois » ?
C’est une forme de propagande pour l’intérieur et l’extérieur. Il a l’ambition de remettre en place les Routes de la soie qui replacent la Chine au centre du monde. Mais ces Routes furent aussi de formidables accélérateurs des échanges d’idées entre la Chine et le reste du monde alors que, pour le moment, aucun grand courant culturel chinois n’est en mesure de balayer la planète et d’obtenir une réelle adhésion. Le régime ne montre pas d’ouverture quand il lance des campagnes contre les croix et les clochers des Églises chrétiennes, ni quand il s’engage dans un confucianisme d’État renouvelé, dirigé par le haut, qui sert à opposer la tradition chinoise à la pensée occidentale.
Y a-t-il un regain du nationalisme en Chine ?
Oui, il y a des nationalistes comme en Occident. Mais les Chinois dans leur majorité restent ouverts vers l’extérieur. Difficile de chiffrer ce phénomène. Les Chinois sont bien conscients de la nécessité de collaborer pour traiter des problèmes de la pollution de la planète. Leur gouvernement vient de ratifier les accords de Paris de la COP 21.
Couverture de l'ouvrage d'Alain Wang, "Les Chinois", paru aux éditions Tallandier le 25 août 2016.
Couverture de l'ouvrage d'Alain Wang, "Les Chinois", paru aux éditions Tallandier le 25 août 2016. (Crédit : Editions Tallandier)
Vous terminez par l’économie, c’est un choix délibéré ?
Beaucoup d’observateurs sous-estiment la force des idées. En Chine, l’économie qui est dirigée par le Parti n’est pas le seul centre d’intérêt des Chinois. J’ai voulu mettre en évidence d’autres questionnements des Chinois, regarder les tendances dans lesquelles ils s’engouffrent : Internet, libération des mœurs, autres pensées religieuses. L’hyper-croissance et l’argent roi existent, mais comme ailleurs, les Chinois, de plus en plus, sont à la recherche aussi d’autre chose.
*Croissance économique faible à cause du coût du travail plus élevé, après une croissance forte grâce au bas coût du travail, qui se retrouve souvent dans les pays émergents asiaitiqes et latino-américains.
Pour éviter de se retrouver coincé dans le « middle income trap » [piège du revenu intermédiaire*, NDLR], le pays doit faire monter en gamme ses productions, rechercher de l’innovation indispensable pour poursuivre sa croissance. Pour y réussir, il faut pouvoir regarder ce qui se fait ailleurs, avoir accès au crédit sans contrainte politique, engager qui on veut… La démocratie, c’est d’abord un débat libre des idées qui stimule la créativité et permet d’obtenir une réelle adhésion volontaire des individus à des projets. Une forme de liberté d’entreprendre existe dans la classe moyenne, chez les cols blancs et les « cols d’or », mais ce n’est pas le cas pour l’ensemble des Chinois. Les paysans et les migrants ruraux qui représentent encore la majeure partie de la population active sont à l’écart.

Dans le deuxième quinquennat de Xi Jinping, la question du modèle politique va être posée. Ira-t-on vers une fermeture politique plus forte – ce qui se passe en ce moment -, au risque d’entraver le développement économique et ses acquis ?

Existe-t-il des modèles pour démocratiser la Chine?
La Chine a deux laboratoires in vivo : Taïwan où vient d’être élue à la présidence Mme Tsai Ing-wen issue du Parti démocrate progressiste, et Hong Kong où des jeunes, issus du mouvement « Occupy Central » de 2014, favorables à une forme d’indépendance de la Région autonome spéciale, viennent d’être élus députés au Conseil législatif. Il faudra suivre ce qui se passera en 2017 lors de l’élection du « chief executive ».
Propos recueillis par Anne Garrigue

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A propos de l'auteur
Ecrivain-journaliste résidant à Paris depuis 2014, Anne Garrigue a vécu et travaillé près de vingt ans en Asie de l’Est et du Sud-Est (Japon, Corée du Sud, Chine et Singapour). Elle a publié une dizaine d’ouvrages dont Japonaises, la révolution douce (Philippe Picquier), Japon, la fin d’une économie (Gallimard, Folio) , L’Asie en nous (Philippe Picquier), Chine, au pays des marchands lettrés (Philippe Picquier), 50 ans, 50 entrepreneurs français en Chine (Pearson) , Les nouveaux éclaireurs de la Chine : hybridité culturelle et globalisation ( Manitoba/Les Belles Lettres). Elle a dirigé les magazines « Corée-affaires », puis « Connexions », publiés par les Chambres de commerce française en Corée et en Chine.