Société
Entretien

Lycée français à Pékin : "regagner la confiance des parents"

Une mère accompagne ses enfants au Lycée français international de Pékin le 14 juin 2016.
Une mère accompagne ses enfants au Lycée français international de Pékin le 14 juin 2016. (Crédits : FRED DUFOUR / AFP)
Les élèves du Lycée International français de Pékin restent privés de gymnase et d’auditorium en cette période de rentrée des classes. Comme nous l’avons révélé en juin dernier, des polluants ont été découverts dans certaines parties de l’établissement. Sur la cinquantaine de mesures de décontamination engagées pendant l’été, quinze sont toujours en cours. Ce plan d’action a, semble-t-il, permis de rétablir la confiance avec l’ensemble des parents d’élèves et d’aborder cette rentrée dans un climat plus serein malgré des effectifs en baisse. Entretien avec Michel Villegas, le nouveau proviseur du lycée International Charles de Gaulle de Pékin.

Contexte

C’est l’un des fleurons du réseau AEFE des établissements français à l’étranger. Un peu plus de 800 élèves ont fait leur rentrée cette année sur le nouveau campus du lycée international Charles de Gaulle de Pékin. Conçu par l’architecte Jacques Ferrier, il est capable d’accueillir jusqu’à 1500 élèves dans ses 21 000 m2 de surface bâtie. On en est encore loin ! La réputation du nouvel établissement livré en mai dernier s’est trouvée entachée par une crise sanitaire dans les jours qui ont suivi son ouverture. Le grand coup de vent cet été sur les peintures, et les travaux de réaménagement des infrastructures et du mobilier polluants ont permis d’assainir en partie la situation. La question de la qualité de l’air intérieur et extérieur à l’établissement et la santé des élèves restent toutefois l’un des grands défis du nouveau proviseur du lycée. L’enjeu étant intimement lié au degré de confiance des parents d’élèves vis-à-vis de l’institution, dans un pays habitué aux scandales sanitaires à répétition.

Michel Villegas, proviseur du Lycée françajs à Pékin.
Michel Villegas, proviseur du Lycée françajs à Pékin. (Crédit : Olivier Got / Dépêche du Midi)
Comment s’est passée cette rentrée ?
Michel Villegas : La rentrée s’est déroulée dans un climat tout ce qu’il y a de plus serein. D’abord, la rentrée des personnels le 31 août dernier, puis nous avons fait connaissance avec les élèves le lendemain. Nous avons 816 élèves inscrits pour cette rentrée 2016 et 70 personnels enseignants.
Des aménagements ont eu lieu cet été pour décontaminer certaines parties du lycée.
Depuis mon arrivée, je me suis inscrit dans la continuité du plan d’action qui a été mené par l’agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et mon prédécesseur ici au lycée de Pékin. Cet été, avant ma prise de fonction, je me suis intéressé au dossier et j’ai proposé un plan de pilotage de ce plan d’action. En tant que nouveau proviseur, ma priorité en arrivant a donc été cette question des polluants, de façon à pouvoir gagner, ou regagner s’il en était besoin la confiance de tous les parents. Je suis arrivé le 25 août à Pékin, j’ai pris mes fonctions le 26 août et j’ai réuni toutes mes équipes le matin même afin de faire la visite de l’établissement et me faire expliquer les problématiques à chacun des lieux.

Cette visite a été suivie d’une réunion avec prise de décisions sur des choses sensibles. La première décision que j’ai prise, c’est de faire enlever dans tout le secteur primaire les panneaux de liège qui servaient à l’affichage. On savait que ces derniers étaient polluants. Des tests devaient avoir lieu le lundi avant la rentrée permettant de vérifier le caractère polluant de ces panneaux. J’ai décidé de les faire immédiatement retirer sans attendre le résultat des tests, ces derniers ont d’ailleurs confirmé plus tard que ces panneaux de liège étaient nocifs et source de pollution. C’est donc une première décision forte qui a été prise avant la rentrée, de manière à préserver tous les espaces.

Des réunions régulières avec les parents ont été organisées avant l’été. Est-ce que cela va continuer ?
Dans la continuité de ce qui avait été mené en juin dernier, effectivement, j’ai convoqué le 30 août une commission d’hygiène et sécurité qui avait déjà été réunie de façon à informer les représentants des personnels et les représentants des parents du plan d’action qui avait été décidé. J’ai présenté un tableau de bord, un outil dont personnellement je souhaitais la finalisation et qui est désormais en ligne sur le site de l’établissement. Cet outil précise secteur par secteur où sont les problèmes et quelles sont les actions à mener pour les résoudre.
Est-ce que selon vous il y a eu un défaut de communication de la part de l’institution auprès des parents l’année dernière ?
Je n’étais pas là, et ce n’est certainement pas à moi de tenir un jugement sur la question. Je suis un professionnel qui prend les choses telles qu’elles se présentent. Ce n’est pas un métier facile. Quand on est chef d’un établissement scolaire que ce soit à Pékin ou en France, on se retrouve régulièrement à gérer des situations difficiles. C’est dans les situations de crise que l’on voit la valeur des hommes et la qualité des personnes avec qui l’on travaille. Et puis, on peut tout à fait sortir d’une crise de façon très positive.
Comment s’est passée la réunion de rentrée sur les questions d’hygiène, de santé et de sécurité ?
Il y a eu des échanges très intéressants, suivis par des propositions. Je souhaite être tout à fait transparent sur ces questions. Je veux être à l’écoute des préoccupations des parents et être factuel dans les réponses à leur apporter. On m’a par exemple suggéré de mettre en ligne un protocole de conduite à tenir pour les parents en cas de pathologie, ce que nous avons fait dès le lendemain. Le protocole figure sur le site du lycée de façon à montrer que nous sommes à l’écoute des bonnes idées pour améliorer la conduite de tout ce qui concerne l’hygiène, la santé et la sécurité.

J’ai aussi tenu une réunion publique d’information le vendredi soir après la rentrée, en présence du conseiller consulaire, du conseiller culturel adjoint et de l’inspectrice de l’ambassade, là encore de façon à répondre aux interrogations des parents et à présenter les actions de cet été. Cette réunion s’est déroulée dans un climat serein. Il y avait nécessité d’entendre la parole des parents et de répondre de façon très précise à ce qui avait été demandé.

Fin juin dernier, 45 cas d’allergies ont été déclarés à l’infirmerie du lycée. Est-ce que l’établissement a reconnu ces symptômes et où en est-on aujourd’hui ?
Je veux là aussi être très précis : à ce jour, je n’ai pas de cas d’allergie déclarée et vérifiée. J’ai le cas d’un élève qui a des boutons sur un bras. L’infirmière me fait un compte-rendu quotidien sur la situation sanitaire dans l’établissement. Elle pense ici à une varicelle. Dans le protocole, nous conseillons de toute façon aux parents de vérifier de quoi il retourne auprès de leur médecin traitant. Pour le reste, j’ai quelques égratignures aux genoux comme dans n’importe quelle cour d’établissement. Il y a en tout cas une vigilance particulière sur tout type de signalement qui pourrait se présenter. A ce titre, j’ai reçu un courriel d’une maman inquiète, car un de ses enfants avait saigné du nez. Dans ce genre de cas, j’appelle personnellement les familles.
Peut-on parler aujourd’hui d’un établissement totalement débarrassé de ses polluants ?
A ce jour, deux lieux dans l’établissement restent fermés. J’ai indiqué aux parents que l’ouverture des espaces aux élèves garantissait une qualité de l’air en conformité avec la réglementation. Deux espaces ne sont toujours pas conformes. L’auditorium où les fauteuils posaient problème et qui ont été retirés avant mon arrivée. On vient aussi de faire des tests sur la moquette. Cette dernière n’est pas bonne, elle sera donc remplacée. L’auditorium sera lui rouvert mi-janvier. Concernant le gymnase, le revêtement de sol en PVC est émissif de polluants nocifs à la santé. Le sol sera donc entièrement refait et nous avons mis en place un rétro-planning. Si tout va bien, le gymnase pourra rouvrir ses portes à la mi-novembre, et donc avant l’hiver ici à Pékin.
Au-delà des problèmes de pollution liés aux matériaux et aux infrastructures, quels sont les moyens employés pour garantir aux élèves un air respirable ?
Concernant la filtration de l’air extérieur, le système qui a été livré au démarrage n’a pas donné pleinement satisfaction. De l’air pollué entrait toujours via ce système de filtration. Les travaux menés cet été ont réglé la question de manière radicale. Tout le système de gainage a été entièrement nettoyé. Et tous les filtres du système sur l’ensemble de l’établissement ont été changés. Il reste malgré tout un peu d’inquiétude du côté des parents. Je me suis engagé, avec les parents d’élèves qui vont travailler avec moi au sein de la commission hygiène et sécurité, à organiser des tests régulièrement sur la qualité de l’air sortant du système de filtrage, en particulier sur les particules fines et sur le CO2. Les données récoltées seront publiées de manière tout aussi régulière sur le site Internet de l’établissement.
Suite à « l’airpocalypse » de 2013, les élèves de terminale de l’ancien lycée français de Pékin avaient été exceptionnellement dispensés de l’épreuve de sport au bac. Est-ce que cette situation peut se reproduire dans le nouveau lycée ?
Évidemment, nous ne pouvons pas maîtriser la pollution de Pékin. Je sais simplement que la situation s’améliore d’année en année et nous communiquons encore une fois toutes les données concernant la qualité de l’air aux parents. Si des taux de pollution importants sont constatés le jour des épreuves de sport, nous décalerons ces dernières de quelques jours. Le plus important, c’est la santé des élèves.
Il faut un gymnase aussi…
Nous avons fait un rétro-planning avec une démarche de qualité ; on a bien fléché chacune des phases ; on a évalué les délais. Je vous ai donné la date de la mi-novembre pour la réouverture, c’est quelque chose qui me tient à cœur en tant qu’ancien sportif. Je suis particulièrement attentif aux conditions d’exercices des cours d’EPS. En ce moment, il fait un temps remarquable à Pékin et les cours d’EPS ont lieu en extérieur, mais il faut pour la mi-novembre que ce gymnase soit opérationnel.
Fin juin dernier, l’ambassade de France à Pékin indiquait que le Lycée français (LFIP) se réservait le droit de porter plainte contre les fournisseurs de meubles et de matériaux qui ont présenté des faux certificats de conformité. Une plainte a-t-elle été déposée ?
Cette question est à l’étude, en lien avec nos avocats.
Les effectifs de rentrée ont-ils diminué en raison de cette affaire de polluants ?
Il n’y a jamais une cause unique à la complexité. Nous sommes passés de 882 élèves à la précédente rentrée, à 816 cette année. Ce qu’on constate, c’est qu’il y a effectivement une forte baisse des effectifs, mais encore une fois, c’est toujours une combinaison de facteurs et non une cause unique qui permet d’expliquer une tendance. Évidemment, je ne me satisfais pas du tout des effectifs constatés à cette rentrée. Je souhaite être volontariste sur la communication et le marketing de l’établissement. Je vais donc réactualiser le projet d’établissement et redynamiser le projet collectif dans les mois qui viennent, de manière à renforcer la promotion de l’établissement à partir de janvier prochain. Ma priorité dans l’immédiat, vous l’avez compris, ce sont les questions de santé et d’hygiène. Je tenais absolument à ce qu’on revienne à un climat serein en la matière, en intégrant tous les parents et toute la communauté des parents d’élèves aux réflexions sur ces questions. Mais je tiens aussi à ce que les parents d’élèves participent au rayonnement de l’établissement.
Quels sont vos projets justement en matière de rayonnement de l’institution ?
Nous sommes en concurrence avec d’autres établissements étrangers ici à Pékin. Il faut donc que le lycée français mette davantage en avant l’excellence de son enseignement. Comme je suis un ancien sportif, je crois beaucoup à l’émulation, c’est en se frottant à ses concurrents que l’on progresse.
Pékin est une ville de plus en plus chère, et les entreprises, y compris les multinationales réduisent leur budget expatriation… Est-ce que cela modifie le visage de vos classes ?
C’est quelque chose qui ne m’a pas échappé en accueillant les élèves et leurs parents. Aux côtés des familles franco-françaises expatriées, j’ai pu constater la présence de nombreuses familles franco-chinoises. Si nous voulons augmenter nos effectifs, c’est dans cette direction qu’il faut œuvrer afin de gagner la confiance d’autres parents. Nous devons même aller plus loin, je pense aussi qu’il faut chercher la confiance de familles venues de pays qui n’ont pas d’école ici à Pékin.
Il a été question de louer une partie des locaux du lycée à une école de Hong Kong. Est-ce toujours d’actualité ?
Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai passé plus d’une heure mercredi avec M. Gilbert Choy, directeur de la fondation Sunwah et directeur de l’école 3E (Explore, Express, Experiment), créée en 2005 à Pékin par la volonté du président hongkongais de cette fondation, M. Jonathan Choi. Je suis d’ailleurs convié à visiter cette école jeudi prochain [le 15 septembre, NDLR] avec un représentant de l’ambassade. Nous pouvons accueillir davantage d’élèves, la capacité du lycée livré étant de 1 500 élèves. M. Choy est très ouvert à un partenariat : nous allons l’accueillir dans nos locaux, nous allons travailler entre équipes pédagogiques. Il a la volonté que nous menions un ou deux projets en mettant ensemble nos élèves. Et j’ai annoncé à la prérentrée à nos personnels que dorénavant il y aurait en fin d’année scolaire une grande fête du lycée français de Pékin et M. Choy est partant pour s’intégrer à ces festivités.
Vous prenez les clés d’un établissement de prestige, mais affecté par la crise de juin dernier, qu’est-ce qui vous a conduit a accepter cette mission ? Plus personnellement, quels sont vos liens avec le monde chinois et pourquoi Pékin ?
Pékin faisait partie de mes vœux et je suis très heureux d’être ici. Je découvre une culture, un pays et même un continent. Je suis un ancien sportif, un ancien professeur de tennis. J’ai fait beaucoup de compétition et j’aime relever les défis. On a un magnifique établissement et on a maintenant à redynamiser tout un projet collectif avec les très belles compétences dont on dispose dans la maison. Nous avons, j’en suis persuadé, les moyens de faire grandir l’établissement en augmentant les effectifs et en montrant ce que nous sommes capables de faire.
Quels sont les atouts du lycée français de Pékin ? Sommes-nous capables de rivaliser avec les écoles anglo-saxonnes ?
Notre langue et notre culture peuvent attirer, je crois, de nombreux élèves et notamment dans certaines familles anglo-saxonnes ou chinoises. Outre le chinois et l’anglais, l’idée d’avoir une troisième langue et une troisième culture est intéressante pour ces familles et nous allons essayer de progresser sur l’enseignement des langues justement. Et puis nous avons aussi à proposer toutes les valeurs de la République. En dehors des compétences que l’on acquiert à l’école, nos élèves sont là aussi pour devenir des citoyens éclairés, responsables et épanouis et capables plus tard de trouver toute leur place dans une société mondialisée.

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