Chine : polluants au Lycée français de Pékin, l'enquête se poursuit
Contexte
Le 9 juin, Asialyst publiait un article intitulé « Mystérieuses allergies au nouveau lycée français de Pékin« . Nous faisions état des inquiétudes de certains parents d’élèves du lycée – qui avaient contacté notre rédaction en premier lieu – face aux cas d’allergies constatés chez leurs enfants. Il s’agissait alors de 16 cas de rougeurs, plaques, gonflements ou conjonctivites. Sans établir de lien entre ces symptômes et la qualité des locaux ou du mobilier de l’établissement, Asialyst informait de la tenue d’une réunion accordée par la direction du lycée le lendemain, le vendredi 10 juin, aux parents inquiets.
Si nous avons décidé de relayer cette inquiétude, c’est parce qu’il s’agissait là d’une affaire de santé publique qui aurait pu concerner n’importe quelle communauté française en Asie. Aujourd’hui, la région compte 25 établissements d’enseignement français, de Tokyo à Pondichery. Asialyst se préoccupe naturellement des questions d’éducation et de santé des expatriés hexagonaux sur le continent asiatique. Avec pour unique objectif d’informer et, le cas échéant, de sensibiliser afin de permettre la résolution des problèmes. N’hésitez pas à nous écrire à [email protected].
Depuis, les choses ont évolué. Dans une lettre adressée mardi 21 juin à l’ambassadeur de France en Chine et au proviseur du Lycée, la nouvelle présidente de l’Association demande « d’organiser la venue d’un toxicologue ou d’un expert de France qui pourrait enquêter sur les allergies et déterminer leur cause. » Un expert indépendant pour aider à trouver les causes de mystérieuses réactions chez les élèves depuis l’ouverture du nouvel établissement. Il en va de la « santé des élèves et de l’ensemble du personnel enseignant et technique » mais aussi de « la réputation du lycée », insiste le député Thierry Mariani, dans sa lettre aux Français de la 11e circonscription, et tous les doutes doivent être levés le plus vite possible. »
Présence d’hydrocarbures
Cela dit, une fois la conversion effectuée, les chiffres demeurent parlants : « Si l’on regarde le formaldéhyde présent dans l’espace maternelle, il y a un dépassement, explique Claire-Sophie Coeudevez, la directrice associée de ce bureau d’études spécialisées sur la relation entre la santé et le bâtiment. Les résultats sont de 100 µg/m3 pour le Lycée Français de Pékin, alors que dans les écoles en France aujourd’hui, la valeur guide pour une exposition de longue durée est de 30 µg/m3 depuis le 1er janvier 2015. Mais le plus préoccupant, poursuit l’experte, ce sont les hydrocarbures. Pour le Benzène par exemple, on est à 0,11 mg/m3 soit 110 µg/m3, contre une valeur limite de 10 µg/m3 en France selon le décret sur la surveillance obligatoire de la qualité de l’air intérieur pour les établissements recevant du public. La valeur guide pour exposition de longue durée est descendue à 2 µg/m3 depuis le 1er janvier 2016. Les résultats sont donc ici entre 10 et 50 fois supérieurs aux seuils français, ce qui est très important. »
Ces chiffres doivent cependant être mis en relation avec les techniques de prélèvement employées, la fermeture du bâtiment et l’absence de renouvellement de l’air : « C’est une méthode qui permet de déceler les composés recherchés dans l’air, mais qui ne représente pas les conditions réelles d’occupation des lieux qui habituellement sont ventilés. »
Mesures préventives
Pour la codirectrice de Medieco, là aussi ce sont les concentrations en hydrocarbures (benzène, toluène et xylène) qui posent le plus question : « Et encore, ce n’est que ce qu’on voit, précise-t-elle. Les mesures portent sur quatre substances et sur les composés organiques volatils totaux (COVt). Or, quand on additionne les différents milligrammes par mètres cubes, on n’atteint pas la concentration en COVt. Autrement dit, il y a autre chose dans l’air. De plus, ces analyses ne permettent pas de dire si les émanations d’hydrocarbures viennent des bâtiments, des équipements, du sous-sol ou même d’ailleurs. » Le bureau d’études français suggère ainsi d’utiliser la technique du « screening » permettant de relever les principaux composés de l’air intérieur, le remplacement des matériaux contaminés, une surventilation des espaces pollués et éventuellement des mesures complémentaires du sol.
Ces mesures ont également été en partie évoquées lors du premier comité d’Hygiène et de Santé réuni lundi 20 juin. Composé de représentants de la direction et des personnels du lycée français de Pékin, de membres de l’APE et de « parents d’élèves volontaires », le comité a annoncé une nouvelle série de prélèvements concernant la piste de vitesse, le revêtement de la cour maternelle et la pelouse synthétique du terrain de foot afin d’en effectuer une analyse de toxicité. Reste à tester les espaces verts et le revêtement de la cour élémentaire.
Cas d’école
Dans son communiqué du 14 juin dernier, l’ambassade de France en Chine ne fait pas allusion à ce type de sondage, mais confirme l’apparition de « quelques problèmes au lycée après la livraison de certains équipements pour lesquels le lycée avait pourtant reçu des certificats de conformité. (…) Le lycée se réserve ainsi la possibilité de poursuivre les entreprises ayant fourni des certificats erronés. » Le nouveau lycée français qui se voulait exemplaire est donc peut-être confronté aux irrégularités souvent constatées sur d’autres chantiers en Chine. Ce serait même un cas d’école, à en croire Bruno Gensburger, la plupart des nouveaux bâtiments étant sujets à des problèmes liés aux matériaux utilisés lors de leur construction « Pendant les premières semaines qui ont suivi l’ouverture de la nouvelle ambassade de France en Chine, confie cet ex-conseiller et chef interprète à l’ambassade, l’ancienne ambassadeure de France souffrait de maux de tête terribles dans sa chambre et devait dormir la fenêtre ouverte. Il y a eu aussi le cas de cet ancien ambassadeur des Pays-Bas tombé gravement malade après la réfection de sa résidence. Des produits hautement toxiques avaient été utilisés. Il a fallu décontaminer les lieux avant qu’il ne puisse reprendre son poste. «
Ces problèmes d’environnements intérieurs sont monnaie courante et font régulièrement les gros titres des journaux chinois. Ce jeudi 23 juin, les autorités chinoises ont fermé 9 usines après des rapports indiquant l’usage de déchets industriels toxiques dans la fabrication de pistes d’athlétisme pour les écoles. Ces dernières semaines, les parents d’élèves d’une école élémentaire de Pékin s’étaient plaint de « réactions allergiques » chez leurs enfants, après les cours d’éducation physique sur la piste d’athlétisme.
Flagrant déni
C’est peu dire que la communauté des parents d’élèves au Lycée français de Pékin s’est divisée. « Le bon sens et le principe de précaution auraient dû prévaloir dans cette affaire, affirme Renaud de Spens. On a vu au contraire beaucoup de mépris au départ vis-à-vis des mères chinoises. » La question n’est pas seulement communautaire, elle serait aussi sociale, avec des différences de perceptions et d’intérêts entre des expatriés considérés par certains comme des « notables » et en tous cas comme des « privilégiés », et les couples mixtes qui restent plus longtemps en Chine sans forcément disposer des avantages pourvus par les grosses entreprises. « Cela s’est traduit par des tensions sur les réseaux sociaux, poursuit notre confrère écrivain qui est parfaitement sinophone. Des insultes ont été échangées lors de réunions publiques. Or pour moi, tout cela est lié essentiellement à la question de l’accès aux sources chinoises. Les mères chinoises sont hypersensibles sur ces questions d’environnement en milieu scolaire, alors que certains parents français qui ne lisent pas le chinois ont pu oublier le contexte dans ce pays justement, et croire qu’il s’agissait d’une école du 7e arrondissement de Paris. »
Pour certains parents, notamment parmi ceux qui ont des enfants qui passent le bac cette année, ces histoires de « pseudo allergies » et de « mères chinoises paranoïaques » ont été ressenties comme un élément menaçant pour la tranquillité et même la continuité du nouveau lycée. Mais pour les parents d’élèves qui s’inquiètent d’un éventuel empoisonnement lié aux infrastructures ou aux équipements de l’école, cette attitude constitue au contraire un véritable flagrant déni et revient à traiter leurs enfants de malades imaginaires.
« Caillou dans la chaussure »
Le refus d’être écouté et les sarcasmes sont difficiles à supporter pour certains parents : « Le fait est qu’on a refusé de nous entendre, raconte l’un d’entre eux joint au téléphone. Il aurait mieux valu chercher des solutions plutôt que de parler de rumeurs et de Chinoises hystériques qui se montent le bourrichon sur les réseaux sociaux, » ajoute ce père d’enfants scolarisés en petite section. Sur la messagerie mobile Wechat, les mères chinoises ironisent : « Regardez ces femmes françaises qui sont grossières et agressives. Regardez comme la liberté d’expression n’est qu’un discours chez les Français ! » Contacté a plusieurs reprises par email et par téléphone, le proviseur du lycée français de Pékin n’a finalement pas souhaité répondre aux questions d’Asialyst.
Le rappel du calendrier des mesures prises par l’établissement et posté sur le site du lycée, propose toutefois une autre version de l’histoire. Selon les responsables de l’établissement, les plaintes des parents d’élèves inquiets ont été prises en considération dès le début, sachant que ces derniers ont été associés au choix du laboratoire et qu’ils ont pu assister aux premiers tests des 21 et 22 mai derniers. « Je trouve que l’attitude de l’école a évolué dans le bon sens, estime Cao Xinyi. Le lycée a reconnu qu’il y avait un problème et les parents sont tenus régulièrement informés. (…) Pour le reste, il y a une différence culturelle entre les parents d’élèves chinois et les familles françaises qui est compréhensible. Les parents chinois sont beaucoup plus sensibles aux questions de santé à l’école dans un pays où les scandales sont récurrents surtout lorsqu’il s’agit de nouveaux bâtiments. Nous voulons tous la même chose pour nos enfants, mais au départ nous ne partons pas avec la même vision du problème. On ne comprend pas pourquoi, par exemple, on ne nous a toujours pas envoyé le rapport original et complet des résultats des premières analyses. »
Feng shui
Loin de ces anciennes querelles franco-françaises, les parents d’élèves franco-chinois évoquent surtout le principe de précaution ou encore celui du très traditionnel Feng shui, « l’étude du vent et de l’eau » permettant l’harmonie et la santé dans un lieu de vie. « Pour n’importe quel Chinois, le bon sens aurait été ici de laisser passer du vent dans le bâtiment avant de faire entrer les élèves, estime un expatrié dont le fils est inscrit en petite section. On n’est probablement pas dans le cadre d’une pollution gravissime, ce n’est pas radioactif… Ils suffisait d’aérer le site pendant quelques semaines, mais ils ne l’ont pas fait pour des raisons qui nous échappent. »
« C’est un accouchement dans la douleur cette école, poursuit un autre parent d’élève qui lui aussi souhaite rester anonyme. On a perdu énormément d’argent et de temps parce que certains expatriés sur des périodes courtes en Chine bloquaient le projet dans les réunions, sachant que l’ancien site de Sanlitun au centre de Pékin leur permettait d’emmener leurs enfants au lycée en vélo tout en allant faire leurs courses. On se retrouve donc aujourd’hui avec ce site situé au-delà du 5ème périphérique ; même si les autorisations ont retardé le chantier, même si les travaux n’étaient pas terminés, il fallait absolument ouvrir avant la rentrée de septembre ! »
Crise existentielle
« Il est tout à fait justifié que les parents d’élèves soient inquiets pour la santé de leurs enfants, affirme Francis Nizet. Ceci étant, l’administration a su dès le début prendre la mesure des problèmes, poursuit ce conseiller consulaire pour la Chine, la Mongolie et la Corée du Nord et fin connaisseur de la communauté française dans la région. Il est important que les élus agissent auprès de l’administration, mais ne communiquent pas de façon sensationnelle vers l’extérieur. Le chimiste que je suis rappelle que lorsqu’on ramène des vêtements du pressing, il est vivement conseillé de ne pas les ranger tout de suite dans l’armoire. C’est ce qui se fera pendant les vacances prochaines au lycée, avec des équipes spécialisées en toxicologie qui sauront définitivement identifier les sources responsables des symptômes chez les élèves pour rendre le site définitivement sain. »
Des propos rassurants qui ne sauraient à eux seuls faire oublier la véhémence de certains échanges pendant la crise. A la peur de voir fermer le lycée de certains parents d’élèves, répond la blessure et l’amertume des lanceurs d’alertes qualifiés de « boutefeux » au départ de l’affaire. Parmi les couples franco-chinois, certains nous ont affirmé réfléchir à une alternative au lycée français pour la rentrée prochaine. Ce que veut absolument éviter l’APE : « On a été entendu, assure Marianne Daquet, la nouvelle présidente de l’association des parents d’élèves. Un expert français indépendant va être envoyé au lycée, avec pour objectif de comprendre les causes de ces allergies et d’éviter de nouvelles divisions entre les parents. »
En attendant, la liste des élèves malades recensés par les services de santé du lycée s’allonge. 45 cas d’allergies ont été déclarés à l’infirmerie du lycée sur près de 850 élèves, dont 29 au primaire, 12 en maternelle, 2 au collège et 2 enseignants. Le communiqué du lycée précise : « Parmi eux, tous n’ont pas consulté de médecin. »
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