L'Indonésie et ses communautés de droit coutumier, un devoir de justice
Pour les funérailles, l’adat prévaut encore chez certains groupes, comme les Balinais et leurs crémations, ou les Toraja de Célèbes avec leurs sacrifices d’animaux. L’habitat est l’aspect le plus visible de l’adat. Un dépliant touristique sur l’Indonésie qui se respecte se doit de présenter des photos de maisons minangkabau de l’ouest de Sumatra ou toraja, qu’on désigne d’ailleurs par l’expression rumah adat, « maison coutumière ». Dans différents endroits d’Indonésie, on trouve même des kampung adat ou « hameaux coutumiers », notamment dans l’ouest de Java, dans lesquels il est interdit de construire autrement que selon les règles dictées par la coutume. Les moissons sont également le moment de rituels ancestraux. A Java par exemple, il existe encore des villages où l’on offre la première gerbe coupée à la déesse du riz : en pays sundanais, dans l’ouest de l’île, c’est le Seren Taun, « l’offrande à la (nouvelle) année ».
Comme l’écrit le politologue britannique Adam D. Tyson, « [l]’adat est un concept fluide, contingent englobant une large gamme de coutumes et traditions propres à chacun des principaux groupes ethniques d’Indonésie » (7). Nous ne contesterons pas le propos de l’historien australien Peter Burns, qui explique que « le pouvoir colonial lui-même a contribué à la formation du sens d’identité ethnique chez ses sujets » en chargeant « un groupe de savants d’observer, enregistrer et traiter des données concernant les coutumes et les valeurs à signification légale dans diverses communautés indonésiennes » (8). Il n’empêche que ces identités sont désormais une réalité dans l’Indonésie indépendante.
En effet, l’Indonésie n’est pas seulement le deuxième pays du monde pour la diversité linguistique, avec plus de sept cents langues parlées selon le site ethnologue.com (9) (voir notre article). Elle est également un des pays les plus divers sur le plan ethnique. Le recensement national de 2010 dénombre en effet 1 331 suku bangsa (10) (« parties de la nation »), expression qu’on peut traduire par « groupes ethniques ». Dans ce recensement, l’appartenance ethnique repose sur l’auto-déclaration : c’est donc l’individu qui nomme le groupe auquel il considère appartenir, et non l’Etat, qui se contente de l’enregistrer. Pour comparaison, la République populaire de Chine, plus de cinq fois plus peuplée que l’Indonésie, ne reconnaît officiellement que cinquante-cinq « minorités ethniques » aux côtés des Han, le groupe majoritaire, alors qu’ethnologue.com dénombre un peu moins de trois cents langues parlées dans ce pays (11).
Toutefois, seuls deux groupes représentent plus de 10% de la population indonésienne : les Javanais avec 40,1%, et les Sundanais, qui habitent l’ouest de Java avec 15,5%. Le troisième groupe le plus nombreux, les Malais (12), vient loin derrière avec 3,7%. Quinze groupes seulement représentent plus de 1% et totalisent près de 85%.
L’adat peut en effet carrément déterminer le mode de vie de communautés entières, dont la plus étudiée sont sans doute les Baduy de l’ouest de Java. Ceci inclut non seulement l’habitat et le vêtement, mais aussi le mode de vie, y compris les objets de la vie quotidienne. On parle alors de masyarakat hukum adat ou « communautés de droit coutumier ». Selon Tyson, « [la] terre est la caractéristique la plus importante de l’adat en Indonésie » (13). Il existe ainsi des tanah adat, des « terres coutumières » sur lesquelles la population locale considère avoir des droits ancestraux définis par la coutume. Ces droits peuvent entrer en conflit avec ceux de l’Etat, notamment pour les forêts, qui sont devenues une importante source de revenu à l’époque de Soeharto. En effet, ce dernier avait en 1967, l’année suivant son accession au pouvoir, mis en place un système de désignations et de concessions pour leur exploitation commerciale, créant un ministère des Forêts pour les contrôler (14). Or, il y a de nombreux cas où des zones que le gouvernement classe comme « forêts » sont en fait des villages, des rizières, des vergers, des bassins de piscicultures, des pâturages (15). En outre, « pas plus la Constitution indonésienne que la loi agraire de 1960 ne donne la propriété des forêts à l’Etat. Au contraire, ces textes en laissent majoritairement la jouissance aux collectivités locales » (16).
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